Menu
Critique de film
Le film
Affiche du film

White Zombie

L'histoire

En voyage de noces à Haïti, Neil et Madeleine sont invités chez Charles Beaumont. Amoureux secrètement de Madeleine, celui-ci demande l’aide de Legendre, un prêtre vaudou, afin de la séduire. Selon le plan de Legendre, Madeleine devra mourir pour mieux appartenir à Beaumont…

Analyse et critique

Bela Lugosi est désormais devenu une star de tout premier plan grâce à Dracula, et commence à se voir proposer plusieurs premiers rôles, même si ces derniers sont intégralement des rôles de psychopathes, de savants fous et de sorciers. Lugosi est désormais identifié comme une figure du mal absolu, cantonné à jouer des malades de la pire espèce, assoiffés de pouvoir et de méchanceté. L’acteur ne sortira de ces incarnations qu’en de très rares occasions. L’année 1932 fut remplie de films fantastiques, une année extrêmement productive au cours de laquelle Lugosi a participé à plusieurs films, dont les plus marquants restent Murders in the Rue Morgue, Chandu the Magician et White Zombie. Si aucun de ces films n’arrive à égaler artistiquement les autres grands classiques de cette année-là, il n’en reste pas moins que ce sont des productions relativement importantes dans la filmographie de l’acteur hongrois. Au milieu des Major Companies (principalement la Universal, la MGM et la Warner Bros., mais aussi de manière un peu plus secondaire la Paramount, la Fox et la RKO) qui font proliférer les films d’épouvante à gros et moyens budgets, certaines œuvres indépendantes moins fortunées parviennent à se frayer un chemin sur les écrans. C’est le cas de White Zombie, authentique réussite du genre produite par Edward Halperin et réalisée par son frère Victor au sein des studios de la Universal. Cette dernière néglige Lugosi depuis les résultats de Murders in the Rue Morgue qu’elle juge décevants. Pourtant, l’acteur possède une popularité intacte auprès du public et s’affiche donc en tant que star incontestée de White Zombie. Il s’agit tout bonnement d’une œuvre intrigante et palpitante. En premier lieu, c’est l’un des rares films d’épouvante de l’époque qui soient produits de manière indépendante. Ensuite et surtout, c’est le tout premier film de zombies de l’histoire du cinéma. A la différence qu’il ne s’agit pas du tout des zombies tels que les concevront définitivement les films de George A. Romero ou ceux de Lucio Fulci une bonne quarantaine d’années plus tard. Ici, ce sont des hommes à qui il ne manque que le cerveau et le cœur, des victimes-esclaves vouées à réaliser les quatre volontés d’un maître maléfique. Ce ne sont pas encore des morts-vivants avides de chair fraîche et dévorant les hommes, tels que nous les connaissons aujourd’hui.

White Zombie commence toutefois assez mal. Le début du film peine à trouver ses marques, comportant des séquences peu intéressantes, surtout à cause de la grande faiblesse de la distribution. Chaque acteur rivalise de platitude, une platitude doublée d’un jeu très souvent limité. Madge Bellamy n’a aucun charme en tant qu’actrice, malgré un jeu plutôt correct. Joseph Cawthorn interprète un docteur Bruner sans saveur et John Harron, en jeune amoureux transi trop peu convaincant et surtout trop mièvre, ne dégage strictement rien. A peine pourra-t-on compter sur Robert Frazer, ici dans le rôle de Charles Beaumont, pour livrer une interprétation un peu plus profonde. Heureusement, Bela Lugosi est en grande forme, écrasant tout le reste du casting de son charisme légendaire. Une parole, un geste, un regard lui suffisent pour produire un effet incroyable. Le personnage de "Murder" Legendre est sans aucun doute l’un de ses meilleurs rôles, à la fois simple et complexe, monstrueux et raffiné. La scène où Legendre reçoit pour la première fois Charles Beaumont, ou bien celle où il taille une petite statuette dans une bougie pour ensuite tuer l’héroïne grâce à l’hypnose (technique très distinctement assimilable au vaudouisme), ou encore la séquence dans laquelle il empoisonne Beaumont sont de grands moments transcendés par un Lugosi visiblement inspiré et de ce fait terrifiant et malsain. Sans lui, jamais certains de ces moments n’auraient atteint un tel niveau de sadisme, comme l’instant où Legendre nargue le pauvre Beaumont qui sent monter en lui la mort telle une échappatoire inexpugnable, subissant la souffrance causée par le poison.

Bela Lugosi domine la moindre de ses scènes, joue son personnage méphistophélique avec un talent de tous les instants, accapare sans cesse l’écran, même quand il n’est pas là. La réussite de White Zombie lui doit beaucoup. Mais il serait honteux d’oublier la réussite plastique que demeure également le film. Grâce à une photographie qui suggère dès le début le mystère et le surnaturel, l’aventure plonge dans une nuit noire faite d’exotisme funèbre et de bâtisses inquiétantes. Des tambours lointains, des silences terrifiants, et cette broyeuse de canne à sucre activée par des zombies aux regards exorbités et dont l’insupportable grincement terrifie le spectateur… Rien n’est à sous-estimer dans la construction de ce récit qui s’affranchit au mieux de son faible budget. Car avec peu d’argent et un tournage très court, Victor Halperin réussit à peu près tout ce qu’il tente dans le domaine de l’épouvante. Passé les premières minutes ennuyeuses, le film décolle et propose beaucoup de belles idées. Le scénario est efficacement troussé, la mise en scène ne manque pas d’originalité (notamment dans l’utilisation fort peu courante à l’époque du split-screen, scindant l’écran en deux), et les décors laissent croire à une production de plus grande envergure. La Universal ayant autorisé le tournage dans ses studios, l’équipe a pu avoir accès aux décors de Dracula et de Frankenstein. A la suite d’un évident remaniement de ces derniers, le réalisateur est parvenu à donner le change : à condition de ne pas être trop connaisseur en cinéma fantastique des années 1930, il sera difficile de faire le rapprochement avec les deux autres films en matière de décoration et d’apparat, et cela même si le style est en fin de compte indéniablement similaire. Au final, le château, situé sur un pic rocheux surplombant une falaise abrupte, ressort bien joliment.

White Zombie est une véritable petite perle du cinéma d’épouvante classique qui, malgré ses défauts de casting et son manque de moyens, n’a en aucune façon à rougir face aux ambitieuses productions collatérales. Porté par un Bela Lugosi remarquable de bout en bout et recyclant merveilleusement des décors déjà utilisés, le film est à l’effigie de ce plan exposant un personnage féminin au regard vide, sans âme, et jouant du piano : une jolie peinture froide, glacée même, qui effraie autant que son charme laisse le spectateur en apesanteur.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Julien Léonard - le 1 septembre 2011