Femme ou Démon (Destry Rides Again, 1939) de George Marshall UNIVERSAL
Sortie USA : 30 novembre 1939
Voilà une faste année qui se terminait en beauté avec, certes non pas un chef-d’œuvre, mais un film éminemment agréable. Face à
La Chevauchée Fantastique et
Sur La Piste des Mohawks de John Ford,
Pacific Express de Cecil B. DeMille,
Le Brigand bien aimé d'Henry King ou
Les Conquérants de Michael Curtiz,
Femme ou démon est pourtant resté injustement en retrait, abusivement taxé de "
comédie westernienne sympathique mais sans prétention", alors qu’il n’avait pas tant que ça à rougir de la proximité de ses autres illustres titres.
Destry Rides Again (de son vrai titre d’après le roman de Max Brand adapté à de multiples reprises) raconte
l’histoire d’une ville régentée par le propriétaire d’une maison de jeu (Brian Donlevy) et dont les habitants vont faire appel au fils d’un impitoyable homme de loi, Tom Destry (James Stewart), et le nommer shérif avec l’espoir qu’il réussisse à faire cesser cette "dictature". Mais ce dernier se révèle être un "Tenderfoot" peu crédible en homme de loi, qui va d’abord faire l’objet de sarcasmes et de quolibets en tous genres sans qu’il ne s’en offusque outre mesure. Son passe-temps est de tailler des ronds de serviette dans des morceaux de bois ; il n’arrête pas de raconter des fables et anecdotes moralisatrices et refuse de porter des armes pour ne pas s’attirer des ennuis. Il va pourtant mener à bien sa mission sans coups de feu ni violence, tout au moins au départ, aidé en cela par la maîtresse de son pire ennemi, l’entraîneuse French (Marlene Dietrich)...
Tout d’abord, mettons les choses au point car beaucoup craignent les comédies westerniennes : il s’agit plus d’un western avec beaucoup d’humour que d’une farce ou d’une parodie ; à ce propos, pour s’en convaincre, il suffit de voir le final dramatique et poignant qui n’aurait jamais eu sa place à l’intérieur d’une comédie. En fait, George Marshall, prolifique artisan dont
Femme ou démon pourrait être l’un des meilleurs films, réussit le tour de force de changer de ton d’une séquence à l’autre en gardant une certaine fluidité et sans que l’unité en soit chahutée, passant avec maestria de la comédie au drame, de la romance au western sans que jamais cela nous gêne, sans que ce ne soit lourd ou indigeste une seule seconde. De plus, il a merveilleursement réussi à saisir l'effervescence de cette petite ville ; son film respire la vitalité.
Un petit joyau superbement dialogué, finement et intelligemment écrit, et qui voit en James Stewart le parfait interprète de ce personnage à la fois honnête et roublard, tout droit sorti d’un film de Frank Capra avec qui l’acteur commençait à l’époque une collaboration fructueuse et inoubliable. Le personnage de Tom Destry a beaucoup de point commun avec le Jefferson Smith de Capra qu’il joua la même année, comme si ce dernier après être sorti du Sénat s’était rendu dans cette petite ville y appliquer ses principes démocratiques pour y faire place nette. Doux et innocent mais la seconde suivante capable d’autorité et de colère ; son visage décomposé et inquiétant après la mort de son ami, sa façon de boucler son ceinturon avec une étonnante violence rentrée préfigure les rôles qu’il aura à tenir dans les westerns d’Anthony Mann.
Un régal qui voit aussi Marlène Dietrich dans un de ses rôles les plus attachants (dévolu au départ à Paulette Goddard), celui d’une "Saloon Gal", tiraillée entre l’amour que lui porte son patron, le tyrannique Brian Donlevy (grand habitué des personnages de ce genre, surtout en cette année 1939 où on le voit quasiment dans chaque western important), et ses sentiments envers ce "héros" d’un nouveau genre que se trouve être Destry. Ils forment tous deux un duo inoubliable. Il faut la voir, agonisant dans les bras de James Stewart, s’essuyer d’un revers de main le rouge à lèvres pour que ce dernier garde d’elle un souvenir ému en l’embrassant ; il lui avait fait auparavant la remarque comme quoi elle devrait enlever ce maquillage outrancier afin d’être encore plus belle. Un très beau moment parmi tant d’autres délectables dont la première ‘prise de bec’ de Frenchy et Destry, l’entraîneuse jetant à la figure du nouveau shérif adjoint tout ce qui lui tombe sous la main ou encore les trois chansons que Marlene interprète, écrites par les duettistes habituels Frank Loesser et Friedrich Hollander.
Avec sa tripotée de savoureux seconds rôles,
Femme ou démon finit de convaincre et d’emporter l’adhésion. Alors qu’on les prend tous au départ uniquement pour des faire-valoir comiques, ils s’humanisent tous au fur et à mesure de l’avancée de l’histoire. Que ce soient Charles Winninger (l’ivrogne du village retrouvant l’estime de soi en étant nommé shérif alors qu’au départ cette ‘élection’ avait été montée de toute pièce par les escrocs de la ville afin que ce représentant de la loi ne leur fasse pas d’ombre et soit à leur botte), Mischa Auer, Una Merkel, Irene Hervey ou Jack Carson, ils se révèlent tous au final bien plus intéressant qu’on aurait pu le croire au départ, chacun d’eux évoluant et gagnant notre sympathie. D’ailleurs, les ‘gags’ récurrents de cet attachant western ne servent d’ailleurs eux non plus pas uniquement à nous faire sourire mais se révèlent parfois le point de départ de très belles idées dramatiques ; voire l’exemple de celui voyant James Stewart remettre la chemise correctement dans le pantalon du shérif à chaque fois qu’il se trouve en face de lui qui sera l’occasion d’un joli moment d’émotion à la mort de ce dernier. Appréciant énormément l’histoire, George Marshall tournera lui-même un des remakes de son film en 1954,
Le Nettoyeur (
Destry), avec Audie Murphy dans le rôle titre. Mais nous n’en sommes pas encore là ; en tout cas ce remake devrait sortir cette année chez Sidonis sous le titre
Les Forbans