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Critique de film
Le film

Le Retour de Frank James

(The Return of Frank James)

L'histoire

Ayant appris que Bob et Charles Ford avaient été acquittés par la justice, Clem (Jackie Cooper), un adolescent que Frank a pris sous son aile, pousse ce dernier à aller rendre justice lui-même. Réticent au départ, il finit pourtant par se lancer à la recherche des frères Ford. Pour avoir les mains plus libres, ils font croire à la mort de Frank, Clem racontant y avoir assisté. Cette légende est reprise dans le principal journal de Denver suite à l’article d’une jeune reporter, la charmante et émancipée Eleanor Stone (Gene Tierney) qui tombe amoureuse de son présumé défunt ! Frank retrouve Bob et Charles dans un théâtre où ils interprètent eux-mêmes leur exploit qui consiste à abattre héroïquement "les vils frères James". Une poursuite s’ensuit dans les montagnes escarpées ; Charles fait une chute mortelle dans un torrent mais Bob parvient à s’enfuir. Désormais tout le monde est au courant que Frank James est encore en vie. Ce dernier est bien décidé à aller jusqu’au bout de sa vengeance mais, dans le même temps, il apprend que Pinky, l’homme noir travaillant à sa ferme, est arrêté pour complicité de meurtre et condamné à mort. Sur les conseils d’une Eleanor agacée par les priorités vengeresses de l’homme qu’elle aime, Frank rebrousse alors chemin pour aller défendre celui que l’on accuse à tort…

Analyse et critique

Au vu de l’immense succès obtenu par le Jesse James d’Henry King, la Fox pensa immédiatement lui donner une suite. Il ne faudra aux spectateurs patienter qu’à peine un an et demi avant de pouvoir découvrir comment Frank James allait se venger des deux assassins de son frère. Chose assez inhabituelle, le western de Fritz Lang débute par la reprise de la séquence finale du film précédent, à savoir celle du meurtre de Jesse. Il est intéressant de voir d’une année sur l’autre deux cinéastes, aussi talentueux que différents par leur style et leur sensibilité, poursuivre la même histoire avec huit des acteurs du premier film. Mais attention, une fois encore, l’histoire n’a rien à voir avec la réalité puisque Frank James n’est jamais parti à la recherche de ses ex-complices ; il s’était volontairement rendu à la justice en déclarant à la presse : « Je suis fatigué de cette vie de hors-la-loi… Je désire vivre comme les autres hommes, avoir un foyer, une épouse et des enfants. » Il fut acquitté en 1883 lors d’un long procès. Un destin trop peu enthousiasmant et héroïque pour les spectateurs qui demandaient à ce qu’il y ait une vengeance en bonne et due forme ; une idée peu originale mais, en sachant qu’il s’agissait d’un des thèmes de prédilection du grand Fritz Lang, son choix en tant que réalisateur s’avérait assez judicieux même s’il n’était aux USA que depuis cinq ans et qu’il n’avait auparavant encore jamais tourné de western.

Une histoire somme toute très conventionnelle, mais dans laquelle on trouve quelques ambigüités au sein même du personnage joué merveilleusement par un Henry Fonda magistral. Avec sa manière toute personnelle de chiquer son tabac, son regard bleu acier perdu dans une espèce de perpétuelle mélancolie, sa démarche particulière, il est tout bonnement parfait d’autant que son personnage n’est pas exempt d’aspects antipathiques. Dès le début on le sent assez condescendant envers son "nègre" qui ne s’en laisse pourtant pas compter (le rôle de Pinky est d’ailleurs plus étoffé que dans le film de King, Ernest Whitman maniant ici une ironie assez bienvenue pour l’époque), et il a des idées assez réactionnaires sur le rôle des femmes dans la société, ne comprenant pas comment l’une d’elle peut prétendre à être journaliste alors que sa place devrait être devant les fourneaux. Frank est également un personnage indécis et peu enclin à aller de l'avant de sa propre initiative. Pour rendre le tout encore un peu moins ordinaire que l’on aurait pu l’imaginer, Sam Hellman et Fritz Lang iront à l’encontre de l’héroïsme du personnage interprété par Tyrone Power puisque Frank ne sera à l’origine d’aucune des deux morts. Dommage que les autres personnages principaux soient plus convenus, que ce soit Jackie Cooper ou même l’adorable Gene Tierney qui, pour sa première apparition à l’écran, s’avérait non pas encore une actrice prometteuse mais en tout cas une femme à la formidable photogénie ; Fritz Lang l’avait visiblement remarqué et George Barnes la photographie divinement comme tout le reste du film d’ailleurs.

Plastiquement, on sent grandement l’influence de Lang avec ses clairs-obscurs, sa profondeur de champ, son travail sur les ombres, et certaines séquences semblent encore devoir beaucoup à l’expressionisme allemand comme celle du hold-up ; rarement encore dans un western nous avions vu un travail aussi recherché au niveau de la photographie, d’autant que George Barnes manie aussi le Technicolor de la Fox avec génie. Quant aux extérieurs, ils sont splendidement filmés et photographiés, témoin l’une des rares séquences mouvementées, celle de la poursuite à cheval des frères Ford qui, malgré quelques transparences embarrassantes, est tout simplement parfaite. Fritz Lang est tellement confiant en la force et la beauté de ses images et de son montage qu’il n’a même pas voulu y inclure de musique et que cela fonctionne pourtant à la perfection. Une partition musicale d’ailleurs très réussie de la part de David Buttolph, dont le leitmotiv inquiétant n’est pas sans préfigurer certains des futurs thèmes de Bernard Herrmann.

Une suite toute à fait honorable au très beau film d’Henry King, moins romantique, moins mouvementée, moins captivante, moins émouvante, moins bucolique et pourtant presque tout aussi réussie du fait justement de ces différences de tonalité et de style ; un accent plus noir sans pour autant se départir d’un humour jamais gênant et au contraire bienvenu dans un western aussi austère. Le procès final au cours duquel on juge Frank James, pour le meurtre d’un employé lors du hold-up qui ouvre le film, voit Henry Hull se déchainer en tant qu’avocat de la défense qui fait comprendre aux jurés la collusion très forte existant entre l’accusation et la compagnie de chemin de fer, à l’origine de tant de spéculations et de spoliations qui ont causé bien des malheurs aux petits fermiers du Sud des Etats-Unis dont la plupart font partie. Une séquence qui finit de rendre ce film un poil trop bavard, mais qui se révèle très intéressante par la mise en présence des deux conceptions opposés du rôle des frères James à l’époque de leurs méfaits, des thèses historiquement réelles cette fois et qui divisèrent l’opinion publique à la fin du 19ème siècle. S’ensuit un final digne des grandes précédentes réussites du cinéaste allemand, celle se déroulant dans une grange à peine éclairée entre Frank James et Bob Ford ; un superbe travail une fois encore sur les ombres et lumières pour terminer ce beau western.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 7 avril 2010