La Piste de Santa Fe (Santa fe Trail (1940) de Michael Curtiz
WARNER
Sortie USA : 28 décembre 1940
Nous aurions pu être en plus mauvaise compagnie pour terminer l’année qu’avec Michael Curtiz qui, par la même occasion, boucle sa trilogie westernienne avec Errol Flynn.
La Piste de Santa Fe marque également le dernier jalon de la prestigieuse collaboration entre le cinéaste et l’acteur qui avait débuté en 1935 avec le sublime
Capitaine Blood. Leur mésentente arrivant à un point de non retour, il était grand temps pour les deux hommes de se séparer.
La Piste de Santa Fe, même s’il n’égale pas les réussites exemplaires que sont
Captain Blood,
L’Aigle des Mers (
The Sea Hawk) ou
La Caravane Héroïque (
Virginia City) n’en demeure pas moins un des très bons fleurons de cette brillante association et un excellent western à réhabiliter de toute urgence surtout au vu des accusations de racisme et de pro-esclavagisme qu’on lui a injustement craché à la figure.

1854, académie de West Point. Le cadet Carl Rader (Van Heflin) a une altercation avec Jeb Stuart (Errol Flynn) et George Armstrong Custer (Ronald Reagan) à propos de John Brown (Raymond Massey), un abolitionniste forcené. Farouche partisan de Brown, Rader le soutient avec vigueur, lisant ses tracts à voix haute et accusant ses camarades de chambrée d’être en revanche de vils sudistes esclavagistes. Robert E. Lee qui dirige l’école renvoie Rader et mute les deux autres à Fort Leavenworth, poste avancé du Kansas. Nos deux officiers fraîchement émoulus sont tous deux amoureux de la même fille, Kit Carson Halliday (Olivia De Havilland), dont le père dirige la construction de la voie ferrée qui doit conduire à Santa Fe. Chargés de protéger un convoi de marchandises, la troupe de soldats qu’ils conduisent est attaquée par John Brown et ses hommes qui volent les caisses en fait remplies d’armes à leur destination. Sous prétexte de s’opposer aux esclavagistes et de rendre leur liberté aux noirs, John Brown sème la terreur au Kansas se disant le bras de Dieu ; un illuminé n’ayant aucun scrupule à tuer puisque se croyant fermement dans son bon droit. Désormais, les soldats de Fort Leavenworth ont pour mission de tout faire pour appréhender et arrêter les exactions du fanatique qui sans ça risque de mettre le pays tout entier à feu et à sang. Une expédition est mise sur pied au cours de laquelle Jeb Stuart, mis en civil pour une mission d’espionnage, est reconnu, fait prisonnier et condamné à mort…

Taxé de révisionnisme et de racisme à cause du portrait peu reluisant qui est fait de John Brown,
La Piste de Santa Fe n’est peut-être pourtant pas si éloigné que ça de la vérité. En effet même si sa pendaison en a fait un martyr de la cause anti-esclavagiste loué par Henry David Thoreau ou par Victor Hugo (qui le décrivait comme un Spartacus du 19ème siècle et qui tenta d’obtenir sa grâce), Abraham Lincoln le considérait en revanche comme un exalté intolérant ; John Brown ne se gênait pas pour massacrer quelques colons esclavagistes qu’il nommait
'les légions de Satan'. En 1959, il souhaite provoquer un soulèvement d’esclaves après s’être emparé de l’arsenal d’Harpers Ferry en Virginie. Sa révolte tourne au désastre mais il devient dès lors un symbole de la lutte pour l’abolition de l’esclavage préconisant l’insurrection armée pour y mettre fin. Bref, comme le disent les personnages principaux à plusieurs reprises, ses idées et convictions étaient louables ; c’est l’homme qui était dangereux malgré qu’il ait été héroïquement capable de sacrifier sa vie pour mettre un terme à l’asservissement de la population noire. Quoi qu’il en soit, son activisme féroce, son raid sur l’arsenal virginien et sa mort tragique font partie des causes de la Guerre de Sécession qui commencera deux ans après en 1861.En tout cas, une personnalité historique très controversée, à la fois visionnaire et terroriste, humaniste et criminel d’autant plus captivante par ses paradoxes. Michael Curtiz et son scénariste Robert Buckner (déjà à l’origine des deux précédents scénarios des westerns du réalisateur d’origine hongroise) ne font rien d’autre que de mettre le doigt sur cette ambigüité ne prenant jamais partie pour un camp ou pour un autre ; les soldats obéissent aux ordres en allant mettre fin aux agissements de John Brown et l’on sent fortement que les théories abolitionnistes ont l’aval des personnages interprétés par Olivia de Havilland ou Ronald Reagan, le Jeb Stuart d’Errol Flynn ressemblant étrangement à Michael Curtiz, à savoir ne voulant jamais prendre position dans le domaine politique.

Alors nous trouvons clairement dans le film des inexactitudes historiques (Custer n’est entré à West Point qu’après le départ de Jeb Stuart par exemple et il n’en est sorti qu’en 1861 soit deux ans après la mort de John Brown, l’année du début de la guerre civile) mais ceci est valable pour la grande majorité des films hollywoodiens. La réflexion sur cette époque troublée, annonciatrice du conflit fratricide à venir et l’approche du problème abolitionniste sont rendus justement passionnants par les côtés obscurs et prophétiques du antihéros de l’intrigue, par l’indécision voire même l’impossibilité qu’à le spectateur de savoir choisir son camp. Une période sombre et menaçante de l’histoire des USA parfaitement restituée par l’équipe de la Warner, Sol Polito en tête, nous octroyant une photographie très contrastée jouant sur les clairs obscurs avec son génie habituel. Pour s’en convaincre, il suffit de voir cette séquence plastiquement splendide au cours de laquelle, de nuit, une vielle indienne prédit l’avenir aux officiers, ces derniers, derrière les flammes vacillantes, semblant en mouvement dans ces effets d’ombres et de lumière ; dramatiquement la scène est également très forte, la diseuse de bonne aventure augurant l’antagonisme futur qui opposera ces actuels meilleurs amis du monde qui, s’ils s’en moquent au départ, rient jaune à la fin de la séance, la tempête qui se prépare ayant l’air d’être entrée dans leur esprit jusqu’à présent plutôt insouciant. Leur destin est en marche et il ne s’avère pas bien gai. Et ce ne sont pas les soupapes bienvenues de bonne humeur que constituent les bouffonneries de l’inénarrable duo formé par les habituels faire valoir Alan Hale et Guinn ‘Big Boy’ William, ou les affres drôles et plaisante du triangle amoureux, qui arrivent à faire descendre en puissance l’ambiance mortifère qui s’installe dès lors. Bref, même si les séquences ne s’enchaînent pas toutes avec liant (contrairement à celles de Virginia City), même s’il comporte quelques lacunes, mêê s'il évacue l'émotion au profit de l'efficacité, le scénario de Robert Buckner s’avère une nouvelle fois formidablement riche et parfaitement bien mené ; j‘ai toujours du mal à comprendre la sévérité avec lequel on a souvent jugé ses travaux.

Un mélange dense, riche et racé de page d’histoire et de romance à l’interprétation d’ensemble très convaincante même si le sympathique Ronald Reagan a du mal à faire le poids face à un Errol Flynn toujours aussi vigoureux et à l’aise (contrairement à Randolph Scott dans le western précédent qui faisait jeu égal avec son partenaire moustachu) ; Olivia de Havilland est charmante et pétillante, Van Heflin s’avérait un jeune débutant prometteur et Raymond Massey est tellement habité par son personnage avec son regard de dément qu’on lui redonnera à jouer 15 ans plus tard le rôle de John Brown dans un western de Charles Marquis Warren.

Sinon, en cette fin des années 40, une chose est sûre selon moi : Michael Curtiz était le plus grand réalisateur de scènes d'action de l'époque ; ses trois westerns avec Errol Flynn sont là pour le prouver : l'alchimie qui s'opère entre la gestion des figurants, la vigueur et l’élégance des mouvements de caméra, la maîtrise totale de l’espace et de la topographie, la perfection et la rigueur du montage de George Amy et la flamboyance stridente des compositions de Max Steiner aboutit à de très grands moments de cinéma d’une force peu commune pour l’époque. Bien des réalisateurs actuels feraient bien de se pencher sur ces quelques séquences d’une lisibilité édifiante et d’une virtuosité époustouflante, se les passer et repasser pour s’en servir comme cas d’école ! En ce qui concerne
La Piste de Santa Fe, elles sont au nombre de trois : la première au moment où John Brown venant de confisquer le convoi aux soldats, ces derniers décident sur un coup de tête de récupérer leur bien ; la deuxième voyant Jeb Stuart essayer d’échapper à la pendaison et sauvé in-extremis par l’arrivée de la cavalerie ; la troisième et plus impressionnante, le fameux siège d’Harpers Ferry. Rien que pour ces trois séquences le film aurait mérité de figurer dans toute bonne anthologie. En tout cas, l’un des rares films sur le vrai début des hostilités entre Nord et Sud dont le Happy end semble plaqué, très certainement imposé par les producteurs effrayés par la noirceur du propos. Mais ceci n’est pas bien grave ; voir l’un des couples les plus glamours d’Hollywood se retrouver dans les bras l’un de l’autre est un plaisir sans cesse renouvelé.