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Critique de film
Le film

Les Tuniques écarlates

(North West Mounted Police)

L'histoire

Alors qu’il est en train de faire la classe à de jeunes enfants, Louis Riel (personnage ayant réellement existé) est interrompu par deux de ses ex-compagnons de résistance, Dan Duroc et Jacques Corbeau, qui souhaitent le convaincre de reprendre la lutte pour les droits du peuple métis franco-indien. Corbeau, vil trafiquant de whisky à ses heures perdues, le décide à tenter de déloger les "Blancs" et à former un nouveau gouvernement à Batoche en lui promettant pour ce faire la mobilisation inconditionnelle de la population, l’aide des tribus indiennes de la région et l’apport d’une nouvelle arme d’une efficacité redoutable, une mitrailleuse. A Saskatchewan, les Tuniques Rouges de la reine d’Angleterre reçoivent un ultimatum de la part de Duroc qui les engage à accepter leurs conditions sous 24 heures. La troupe de soldats est dirigée par Jim Brett (Preston Foster), amoureux d’April (Madeleine Carroll), une infirmière et la sœur d’un de ses officiers, Ronnie Logan (Robert Preston), lui-même amouraché de Louvette (Paulette Goddard), une sauvageonne métis qu’il ignore encore être la fille de l’inquiétant Jacques Corbeau recherché pour meurtre par la police canadienne. Alors qu’au fort de Hudson Bay on se prépare à un éventuel combat, arrive Dusty Rivers (Gary Cooper), un Texas Ranger lui aussi à la recherche du même Jacques Corbeau, et qui n’est pas insensible aux charmes de la douce April dont Jim Brett vient de demander la main. Les personnages présentés, les situations bien mises en place, l’action et les différentes romances vont pouvoir s’engager...

Analyse et critique

« L’amour fait faire de drôles de choses » dit Gary Cooper à Paulette Goddard vers la fin des Tuniques écarlates. Cette phrase aurait d’ailleurs très bien pu être mise en exergue sur une affiche du film ; étonnant pour un western militaire et par rapport à ce que nous en attendions au vu d’un titre aussi martial promettant avant tout de la grande aventure ! Et pourtant, si l’on se penche sur les personnages principaux, on constate que la principale motivation dans leurs agissements est justement l’amour, que les conséquences soient d’ailleurs néfastes ou bénéfiques. Mais Cecil B. DeMille est moins romantique que ses protagonistes, puisque le seul personnage masculin à trouver chaussure à son pied à la toute dernière minute est celui qui aura pourtant privilégié son devoir à des sentiments plus élevés. D’ailleurs, sans le dévoiler, le final va franchement à l’encontre de tout ce à quoi nous nous attendions. Alors, vraiment "écrasant d’ennui et de convention scénaristique" comme l’affirment Coursodon et Tavernier dans leur fameux 50 ans de cinéma américain ? Rien que cette dernière séquence vient à mon avis le contredire. Tous ces paradoxes mêlés à une approche historique assez intéressante (d’autant que la période et les faits évoqués ont rarement été abordés, par la suite non plus d’ailleurs) font au contraire de ce troisième western parlant de Cecil B. DeMille un film plutôt original, une sorte de "mélodrame d’aventure humoristique" parfois balourd mais jamais ennuyeux. Il a pour toile de fond historique en 1885 la "North-West Resistance", à savoir la révolte des Métis canadiens menés par Louis Riel contre le gouvernement du Canada et le symbole de sa domination britannique, la police montée, quinze ans après l’écrasement de la première insurrection déjà menée par le même homme.


Conséquence heureuse de l’immense succès remporté par Pacific Express (Union Pacific), la Paramount accorde à nouveau un très gros budget à l’un de ses plus prestigieux réalisateurs, Cecil B. DeMille donc. Ce dernier n’obtiendra pas la possibilité de tourner sur les lieux mêmes de l’action (les rares extérieurs seront tournés en Oregon) mais, tout comme John Ford pour Sur la Piste des Mohawks et King Vidor pour Le Grand passage, il pourra se frotter pour la première fois au Technicolor. Et le résultat est à l’image des deux films précédents : plastiquement superbe, les chefs opérateurs ayant ici privilégié deux couleurs qui se complètent à merveille, le rouge éclatant des uniformes et le vert plus doux de la nature environnante et de certains attributs vestimentaires portés par Paulette Goddard et Gary Cooper. Les trois quarts du film ayant été filmés en studio, il faut savoir que les décors et les toiles peintes représentent néanmoins un véritable régal pour les yeux. Par ailleurs, on retrouve bien le style particulier du réalisateur, rarement virtuose mais toujours consistant : l’efficacité de ses cadrages (et notamment de ses gros plans), le classicisme de son montage, l’enchaînement des différentes séquences comme si nous tournions les pages d’un livre... En parfait conteur pleinement conscient de ses effets, il peut se permettre une nouvelle fois de recourir à une certaine théâtralité dans la construction de son film : le film est constitué d’un petit nombre de scènes et pour la plupart toutes plus longues que la moyenne et plutôt bavardes. Avec un tel casting et des dialogues ma foi souvent fort drôles, malgré une faible dose d’action, on ne s’ennuie pourtant quasiment jamais grâce au solide métier de Cecil B. DeMille et au très bon scénario d’Alan Le May, son premier travail pour le cinéma en tant qu’écrivain et qui marque le début d’une étroite collaboration avec le cinéaste. C’est Le May qui, au vu des dons comiques de Gary Cooper, écrira pour lui Along Came Jones, l’une des parodies de western les plus amusantes qui soient (mais n’anticipons pas).


Parlons-en justement de Gary Cooper, que DeMille ne fait malicieusement entrer en scène qu’au bout de vingt minutes qui ont dû sembler interminables pour les fans de l’acteur ! Habitué à tourner dans les meilleures comédies américaines, l’acteur avait pu démontrer aux westernophiles son talent pour l’humour avec Le Cavalier du désert (The Westerner) quelques mois auparavant. Jubilatoire, il continue ici sur sa lancée, véritable bouffon, clown maladroit à la langue bien pendue et aux répliques qui font mouche ; son Dusty Rivers est plus proche d’un personnage de parodie que d’un véritable héros westernien. Ce n’est pas que ce soit un mal, mais à travers cet exemple l’on se rend vite compte que le mélange des genres souhaité par le scénariste - et qui apporte une pointe d’originalité aux Tuniques écarlates - est également à l’origine des limites de ce dernier. En effet, pour ne prendre qu’une référence parmi tant d’autres, comment s’inquiéter pour un personnage qui, au beau milieu d’une scène de bataille épique, se plaint avec furie qu’une balle ait troué son couvre-chef alors que d’innombrables soldats tombent comme des mouches autour de lui ? D’autant plus qu’il ne s’agit pas d’un second rôle pittoresque, mais de Gary Cooper en personne ! Certes, tout cela nous fait bien sourire, mais le suspense en prend un coup dans l’aile : les séquences mouvementées sont ainsi toutes plus ou moins coupées dans leur envol par ce genre de détails qui les privent de l’ampleur réelle qu’elles auraient pu posséder. Il en va souvent de même dans de nombreux autres films du cinéaste mais parfois, comme dans The Plainsman, le mélange est beaucoup plus réussi et ne nous met jamais en porte-à-faux. Mais il convient de ne pas bouder notre plaisir pour si peu d’autant que Dusty Rivers arrive néanmoins à nous toucher, notamment quand il supprime les preuves risquant de faire accuser Ronnie de trahison ou en lui faisant endosser son propre héroïsme afin que sa réputation ne soit pas ternie. Seulement, si vous vous souvenez que Ronnie est le propre frère de la femme à qui il cherche à plaire, on se demande bien si c’est l’amitié pour le "beau-frère" qui le motivait vraiment à accomplir ces gestes de grandeur !


Aux côtés donc d’un inénarrable Gary Cooper, on trouve une somptueusement belle Paulette Goddard grimée en métis, forçant un peu trop sur la cabotinage, prenant quasiment les mêmes mimiques que dans Les Temps modernes. Son personnage est pourtant très intéressant puisque amoureux d’un membre de la police montée tout en étant la fille de leur pire ennemi. Parce qu’elle ne veut trahir ni l’un ni l’autre, les conséquences de ses actes, quoique d’une réelle grandeur d’âme, n’en seront que fatalement tragiques. Plus conventionnel est le personnage joué par Madeleine Carroll (l’actrice hitchcockienne de 39 Steps ou Secret Agent) mais tellement attachant grâce à l’actrice qui le tire vers des sommets d’émotion ! Splendidement filmée et photographiée, ce sont vraisemblablement le personnage et le visage qui vous seront les plus entêtants une fois le film terminé. Quant à Preston Foster et Robert Preston, en très bons professionnels, ils se révèlent tous deux parfaits vêtus de leurs tuniques écarlates : le premier un peu guindé mais réussissant à nous rendre son personnage sympathique, le second bien rôdé dans son éternel rôle de gentil garçon se trouvant en fâcheuse posture, écartelé entre son amour et le respect pour sa patrie.


Voilà une œuvre efficace et solide aux ruptures de ton parfois déstabilisantes (cf. le face-à-face grotesque entre Lynne Overman et Akim Tamiroff juste avant la mort de ce dernier), au paternalisme envers les Indiens qui pourrait un peu choquer aujourd’hui alors qu’il était de bon ton à l’époque, pour finalement un divertissement plaisant qui fut à l’origine des plus grosses recettes de la Paramount en cette année 1940. Même s’il manque singulièrement de souffle épique et d’aération en extérieurs, Les Tuniques écarlates n’en constitue pas moins un jalon très intéressant dans l’histoire du western, ne serait-ce que pour les faits historiques peu connus abordés et la présence inhabituelle encore à l’époque de ses paysages. Avec sa galerie de personnages folkloriques et son scénario mêlant avec habileté intrigues amoureuses et guerrières, North West Mounted Police se révèle de plus un agréable spectacle familial.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 16 avril 2010