Après une cuvée 1958 assez décevante, 1959 commence sur les chapeaux de roue par une petite pépite méconnue du genre. Parfait pour terminer l'année 2013
Good Day for a Hanging (1959) de Nathan Juran
COLUMBIA
Avec Fred MacMurray, Margaret Hayes, Robert Vaughn, Joan Blackman, James Drury, Wendell Holmes
Scénario : Daniel B. Ullman & Maurice Zimm
Musique : Diverses reprises dont celle de 3.10 pour Yuma
Photographie : Henry Freulich (ColumbiaColor 1.85)
Un film produit par Charles H. Schneer pour la Columbia
Sortie USA : Janvier 1959
Springdale, petite ville tranquille du Nebraska. La banque est attaquée par un groupe de hors-la-loi ; le hold-up tourne mal à cause d’un employé voulant jouer au héros mais qui au final n’obtient qu’une seule chose, la mort ! Une poursuite s’organise qui se termine également par un autre décès, celui du shérif Hiram Cain. Ben Cutler (Fred Mac Murray), qui se trouvait dans le groupe des poursuivants, réussit à désarçonner l’homme qu’il croit être le meurtrier, le jeune Eddie Campbell (Robert Vaughn), le blesse et le ramène en ville afin qu’il y soit jugé dans les règles. Il réussit à convaincre ses concitoyens de ne pas en passer par le lynchage d’autant plus qu’il connaît très bien le jeune homme, un orphelin qui fut autrefois épris de sa fille Laurie (Joan Blackmann). Peu après, on vient lui proposer de prendre la succession du défunt shérif. Il accepte. Au cours du procès, on se rend très vite compte que tous les participants au Posse ne sont pas certains que l’accusé soit vraiment le coupable. Seul Ben Cutler ne veut pas en démordre et son seul témoignage fait pencher le jury en faveur du verdict de culpabilité. Eddie Campbell est donc condamné à la pendaison. Mais, au fur et à mesure que l’échéance approche et que l’on monte le gibet en face de la prison, la population dans son ensemble, ému par la sincérité de l’accusé qui s’est écroulé en pleurs à la fin du procès, commence à changer son fusil d’épaule et à croire en son innocence. Ben Cutler, étrangement obstiné, se retrouve seul contre tous à vouloir que justice soit faite. Pourquoi un homme aussi bon et honnête peut-il en vouloir autant à ce jeune outlaw ? Pourquoi le fait d’avoir endossé l’insigne de Marshall lui fait perdre son flegme au point de le faire se battre à poings nus avec le futur gouverneur, alors avocat de la défense ? Souhaite-t-il cette pendaison pour que sa fille, toujours amourachée de ce "Bad Guy" et plus que jamais convaincue de son innocence, puisse s’en détacher définitivement ? Va-t-il risquer de perdre la femme qu’il doit épouser pour une simple question de fierté et de justice ?

Nathan Juran qui en 1953 avait délivré pas moins de trois westerns très sympathiques pour la Universal (
Quand la poudre parle - Law and Order avec Ronald Reagan, ainsi que
Le Tueur du Montana - Gunsmoke et
Qui est le traître ? - Tumbleweed, tous deux avec Audie Murphy) nous laissait sur un souvenir mitigé avec son western suivant réalisé en 1954, toujours avec Audie Murphy,
La Rivière de la poudre. Intrigue cette fois bien trop banale et protagonistes bien trop caricaturaux pour arriver à nous captiver. Entre temps, le cinéaste n'avait plus abordé le genre. La surprise que constitue
Good Day for a Hanging est d'autant plus grande qu'il s'agit ce coup-ci d'une véritable petite pépite oubliée du western. Et le terme 'oublié' est loin d’être galvaudé pour ce film car il semblerait que quasiment personne en France ne l’ait vu avant sa sortie en DVD. J’ai eu beau feuilleter tous les ouvrages français consacrés au genre et toutes les notules concernant Nathan Juran, personne ne l’a jamais ne serait-ce qu’évoqué, que ce soit en bien ou en mal. Il est donc temps de faire connaître ce très beau western au scénario passionnant. Avant ça, n'allant plus recroiser Nathan Juran au sein de ce parcours, refaisons un dernier rapide focus sur une carrière qui mérite qu'on s'y arrête. Né en Autriche, il a été directeur artistique à Hollywood dès 1937. Alors qu’il opère dans les services de contre-espionnage américain pendant la Seconde Guerre mondiale, il gagne un Oscar pour son magnifique travail pour
Qu’elle était verte ma vallée de John Ford. Il vient à la mise en scène en 1952 avec
The Black Castle, transposition des célèbre
Chasses du Comte Zaroff. Il se consacre ensuite surtout au western, à la science-fiction et signe un film d’aventure,
The Golden Blade, avec Rock Hudson et Piper Laurie, ainsi qu’un film de sous-marins dans lequel nous trouvons réunis Ronald et Nancy Reagan,
Hellcats of the Navy. Sous le pseudonyme de Nathan Hertz, il réalise également à la fin des années 60 des séries Z aux titres ne manquant pas de piquant tels
The Brain from Planet Arous ou
Attack of the 50 Foot Woman. Mais il est aujourd’hui surtout réputé pour avoir tourné des films cultes dans le domaine du film fantastique 'féerique', précurseurs de l’Héroic-Fantasy, les indémodables
Septième voyage de Sinbad (1958) et
Jack, le tueur de géants (1962).
S’il avait été diffusé en France, gageons que son western
Good Day for a Hanging aurait été tout à fait à sa place dans tous les bons ouvrages sur le genre ! S’il n’a pas bénéficié d’une distribution à grande échelle, cela peut s’expliquer par son faible budget de départ. Un fait ne trompe pas : la minuscule société de production Morningside (qui ne comptera à son actif que cinq films) n’a même pas eu les moyens d’embaucher un compositeur pour la musique à moins qu'elle ait été victime de la grève des compositeurs qui sévissait alors à Hollywood ; elle a donc décidé de faire un 'mix' avec des scores déjà existants et écrits pour les westerns de la firme Columbia, distributeur du film.
Good Day for a Hanging n’y a pas perdu au change puisqu’au final, il a bénéficié en partie de la somptueuse et poignante partition de George Duning pour
3h10 pour Yuma ainsi que d’extraits d’autres musiques composées par Mischa Bakaleinikoff ou Heinz Roehmeld pour ne citer que les plus connus ; et force est de constater que ce mélange tient assez bien la route. Le budget très resserré se voit aussi à l’image, le film ayant été tourné dans un procédé photographique plutôt fauché, le Columbiacolor. Mais Nathan Juran a trouvé des parades qui font que le film ne fait jamais vraiment 'cheap' ; au contraire, ces faibles moyens ne sont, dans le cas présent, absolument pas pénalisants et ne gâchent en rien la vision du film.
Attention aux spoilers désormais !

Le spectateur est happé dès la première séquence qui prend immédiatement le contre-pied des conventions habituelles. Le film débute avant le générique. Trois cavaliers surplombent une plaine au fond de laquelle caracole une diligence. Que pensons-nous qu’il va se passer ? L’attaque de la diligence évidemment ! Et bien pas du tout ! A l’intérieur de cette dernière se trouvent deux hommes que ces cavaliers n’ont pas l’air d’inquiéter. On comprend alors vite que ce sont tous des complices qui se dirigent en ville pour y effectuer un coup malhonnête. L’attaque de la banque qui s’ensuit est un modèle de suspense et de découpage, et se révèle superbement prenante. La poursuite qui s’engage, après le hold-up effectué, est également parfaitement rythmée et se termine par la mort du shérif et l’arrestation de celui qu’on pense être son meurtrier car, tout comme les six hommes du Posse, nous avons été les témoins de la scène qui va ensuite être discutée à bâtons rompues lors du futur procès. Disons d’emblée que le scénariste Daniel B. Ulmman, déjà auteur de l'excellent
Fort Osage de Lesley Selander ainsi que du chef-d’œuvre de Jacques Tourneur,
Wichita, en connaît un rayon question manipulation du spectateur. A tel point qu’il va m’être difficile d’analyser trop avant ce magnifique western sous peine de dévoiler les subtilités et les retournements de situations menés de main de maître par cet homme qui se tournera par la suite vers la télévision et signera d’innombrables épisodes de célèbres séries telles
Le Fugitif,
Les Mystères de l’Ouest,
Mission impossible,
Mannix...
Au départ, toute la ville sera derrière le nouveau Marshall dans sa volonté de faire juger et condamner l’assassin du shérif bien aimé. Puis, à mesure de l’avancée de l’intrigue, après que nous nous soyons pris nous-mêmes de sympathie pour l’accusé, Ben Cutler, comme Gary Cooper dans
High Noon (le train sifflera trois fois), va se retrouver seul contre tous, les citoyens décidant même de signer une pétition afin d’obtenir la grâce gouvernementale pour éviter une pendaison qu’ils jugent finalement inutile. Mais alors que dans
High Noon, le spectateur se range aisément du côté de l’homme seul face à la lâcheté de ses concitoyens, l’intrigue du film de Juran est beaucoup plus complexe et subtile ; si nous sommes ravis de voir une populace pleine de bon sens, clémente et abhorrant la peine de mort (fait assez inhabituel pour un western de cette époque), nous ne savons pas quoi penser de l’attitude du Marshall car nous douterons tout du long quant à savoir si le jeune Eddie Campbell est innocent ou coupable malgré le fait d’avoir vu la séquence du 'meurtre'". Et c’est l’une des grandes forces de ce scénario de nous prendre à partie de la sorte ; de même que les témoins au procès, nous-mêmes ne sommes plus certains de ce que nous avons vu précédemment et nous nous demanderons jusqu’à la fin (et même après) si nous avons bien vu ce qui s’est réellement passé. Inutile de faire un retour arrière pour se repasser le chapitre, la séquence est assez intelligemment filmée et découpée pour ne jamais vraiment faire lever le doute. Grâce à cela, nous pouvons voir et revoir le film sans que l’effet de surprise soit éventé puisque l’interrogation se posera de nouveau à chaque vision.

Mais le film ne serait pas aussi réussi s’il ne tenait que sur un scénario 'malin'. Le portrait de cette petite ville, de ses habitants et les notations, par petites touches sensibles, sur leur vie quotidienne sont remarquablement écrits ; la manière de s’attarder sur de petits détails rend quasiment tous les personnages véritablement attachants. L’avocat de la défense qui se saoule par dépit à chaque fois qu’il n’a pas réussi à sauver son client ; sa discussion avec le Marshall sur la manière de rendre l’exécution la moins voyeuriste et la plus digne possible ; le Marshall discutant le menu du jour avec sa future épouse ; cette dernière n’arrivant pas à comprendre l’acharnement que porte son homme sur l’accusé, outrée de le voir prendre en charge une exécution capitale et lui demandant de choisir entre son attachement à faire respecter la loi et son amour pour elle ; la fille du Marshall persuadée de l’innocence de l’accusé dont elle demeure amoureuse malgré ses mauvais côtés ; les deux gardiens de prison trinquant avec le condamné en lui souhaitant bonne chance ; la vieille veuve du shérif évoquant la pitié et la tristesse qu’elle éprouve pour l’assassin de son mari... Autant d’idées qui rendent ce film d’une incroyable richesse psychologique et par ailleurs très émouvant. Difficile de retenir ses larmes lors de la séquence qui voit l’accusé s’écrouler en pleurs après le verdict de culpabilité ; en larmes et complètement abattu, mort de peur de sentir la mort si proche, il demande néanmoins qu’on lui accorde une seconde chance, lui qui, orphelin de naissance n’en a jamais eu de sa vie, et qui se déclare innocent en acceptant malgré tout la décision du jury et le témoignage négatif du père de sa 'fiancée'.

A ce propos, célébrons une interprétation d’ensemble de très grande qualité à commencer justement par Robert Vaughn qui nous émeut tant lors de la scène décrite ci-dessus. Le Napoleon Solo de la série
Agents très spéciaux, campe ici un hors-la-loi loin de ses rôles habituels de tueur sanguinaire et sadique. Mais cet excellent casting est dominé comme il se doit par la star du film, Fred Mac Murray que l’on a eu trop peu souvent l’occasion de voir dans de bons westerns. L’acteur reste surtout dans la mémoire des cinéphiles comme ayant été le personnage principal de deux des plus grands films noirs romantiques, vampés successivement par Barbara Stanwick et Kim Novak dans
Assurance sur la mort (Double Indemnity) de Billy Wilder et
Du Plomb pour l’inspecteur (Pushover) de Richard Quine avant d’être l’inoubliable Jeff Sheldrake dans
La Garçonnière (The Appartment) de Billy Wilder. Dans
Good Day for a Hanging, il est admirable de sobriété et foncièrement attachant dans la peau de ce personnage finalement assez ambigu, honnête homme qui peut néanmoins avoir des réactions pour le moins étranges et, par exemple, se battre avec force violence en pleine rue pour des broutilles. Tous les seconds rôles sont aussi bien campés, et notons l’importance des femmes au cours de cette intrigue, avec, dans les personnages principaux, l’épouse et la fille du Marshall ainsi que la veuve du shérif, superbe Kathryn Card.

La fin qui pourra décevoir au premier abord, ayant l’air d’avoir été imposée par la production pour finir sur une note plus conventionnelle, est assez curieuse. Faisant terminer le film sur une violence sèche et inattendue, contrastant avec tout ce qui a précédé, elle propose un revirement scénaristique assez brutal mais n’annihile pourtant pas grand chose et ne change finalement rien à la donne de départ : l’énigme reste entière. Il est certain que ce final atténue un tant soit peu ce que l’on avait pris à juste titre comme un film contre la peine de mort mais garde assez de mystère pour qu’on continue malgré tout à vouloir le croire. Ne pouvant pas en dire davantage de peur de déflorer les passages les plus importants du film, tout ceci vous paraîtra certainement un peu flou. Mais si seulement ces 'blancs' dans ma chronique peuvent vous donner l’envie de découvrir ce petit western formidablement réussi et très précieux par l’abondance de tout un tas de détails inhabituels et sa recherche du réalisme, ma mission aura été réussie ! Sinon ce film me confirme que Nathan Juran fut l'un des tous meilleurs réalisateurs de série B dans le domaine du western.