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Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Aventurier du Texas

(Buchanan Rides Alone)

L'histoire

Tom Buchanan (Randolph Scott), un mercenaire ayant participé à la révolution mexicaine, décide maintenant de retourner dans son Texas natal pour s'y fixer. A la frontière californienne, il s'arrête dans la petite ville d’Agry dont il se rend vite compte qu’elle est sous la coupe de la famille du même nom. Pour avoir pris la défense de Juan (Manuel Rojas), un Mexicain venant de commettre un meurtre sur la personne du fils du juge Agry, Tom est arrêté, dépouillé de son argent et jeté en prison : les habitants comptent bien le lyncher dès le lendemain en compagnie de l’assassin. Mais la pendaison est stoppée net par le juge qui vient d’apprendre que le riche père du criminel a l’intention d’octroyer une juteuse rançon en échange de la vie de son fils. Dès cet instant, Tom se trouve malgré lui emporté dans un tourbillon de jeu de dupes entre les trois frères Agry - le juge (Tol Avery), l’hôtelier (Peter Withney) et le shérif (Barry Kelley) - qui espèrent chacun de leur côté s’approprier cette manne financière. Avant que ne se résolve l’affaire et que Tom et Juan se sortent enfin de la situation fâcheuse dans laquelle ils se trouvent, les morts vont s’accumuler, tout ce petit monde s’entretuant joyeusement pour une simple sacoche d’argent qui circule des uns aux autres...

Analyse et critique

En cette année1958 sort le western de Budd Boetticher le plus iconoclaste, un film à l’ironie mordante et qui confirme la richesse de la collaboration entre le cinéaste et le comédien Randolph Scott (un cycle communément appelé Ranown pour englober ses deux producteurs, Randolph Scott et Harry Joe Brown), une "série" loin de ne comporter que des films interchangeables mais au contraire, malgré leurs innombrables points communs, très différents les uns des autres. Ici, Tom Buchanan, un aventurier ayant participé à la révolution mexicaine décide de retourner dans son Texas natal pour y couler des jours paisibles avec l’argent gagné à se battre qui devra lui servir à s’acheter un ranch. A la frontière californienne, il a la très mauvaise idée de s'arrêter dans la petite ville d’Agry, dont il découvre très rapidement en lisant les enseignes qu’elle est sous la coupe de la famille du même nom dont les membres sont tous plus infâmes les uns que les autres. Pour avoir pris la défense d'un Mexicain venant de commettre un meurtre sur la personne du fils du juge (un Agry évidemment), il se trouve malgré lui emporté dans un tourbillon de jeu de dupes entre les trois frères Agry (le juge, le tenancier d’hôtel et le shérif) qui espèrent chacun récupérer la rançon que le riche père du criminel doit apporter en échange de la vie de son fils. L’inénarrable Amos, interprété par Peter Whitney, passe son temps à courir d’un de ses frères à l’autre en fonction de leurs situations dans cette histoire, se rapprochant à chaque fois de celui sur le point de remporter le gros lot... On l’aura compris à la lecture de cette description, autant 7 hommes à abattre (Seven Men from Now), L’homme de l’Arizona (The Tall T) et Decision at Sundown, les trois westerns précédents du cycle, étaient graves et tendus, autant celui-ci s’avère détonant par son humour dévastateur et sa dérision constante. Un western au ton unique, qui ne ressemble et ne ressemblera à aucun autre. Dans la filmographie de Boetticher, il pourrait cependant s’approcher du diversement apprécié et pourtant fort séduisant La Cité sous la mer (City Beneath the Sea) avec Robert Ryan et Anthony Quinn, tout aussi divertissant.

J'ai déjà évoqué à quelques reprises une "certaine" filiation entre les westerns de Boetticher et ceux de Sergio Leone. Alors que dans les autres films, elle se situerait plutôt au niveau plastique (plus encore à partir des deux prochains westerns de la série, ceux en Cinémascope, et sans que le style et le ton de ces deux réalisateurs puissent être comparables), elle est encore plus flagrante ici mais cette fois plus dans le fond que dans la forme. Charles Lang, déjà auteur précédemment du génial Decision at Sundown, a écrit un scénario qui, avant Yojimbo, aurait très bien pu inspirer le réalisateur italien pour l'intrigue de Pour une poignée de dollars. En effet, le Buchanan de Randolph Scott, comme l'Homme sans nom de Leone, se retrouve coincé entre deux camps qu'il va petit à petit conduire à s'entretuer, sauf que si Clint Eastwood agit à dessein, Randolph Scott, ne comprenant rien à ce qui lui arrive, provoque les choses presque sans s’en rendre compte, d’où une partie de l’humour qui en découle. De même que les deux autres films de la trilogie leonienne semblent avoir subi une influence de son final qui voit tout un petit monde agité prêt à risquer sa vie pour s’approprier une sacoche de dollars jetée au centre de la rue. Tout aussi nonchalant que l’homme au poncho et au cigare, mais beaucoup plus naïf et dépourvu de tout cynisme, Tom Buchanan prend tout à la légère et a constamment le sourire aux lèvres, ce à quoi l’acteur ne nous avait guère habitué dernièrement (hormis dans le premier quart d’heure de The Tall T) et qu’il accomplit à merveille. Le comédien prouvait ici, après son Bart Ellison déprimé dans Decision at Sundown, qu'il avait une palette "dramatique" un peu plus large qu'on a souvent voulu lui attribuer, qu'il pouvait être aussi convaincant et efficace dans la légèreté que dans la gravité.

Malgré tout, il se ferait presque parfois voler la vedette, s’il avait bénéficié d’un plus grand temps de présence, par L.Q. Jones dans le rôle savoureux de Pecos Hill, l'adjoint du shérif qui va choisir de passer dans le camp de Buchanan pour la simple et unique raison qu’il est Texan comme lui. Après qu’il a placé son coéquipier, qu’il vient de tuer, en haut d’un arbre pour qu’il ne se fasse pas dévorer par les animaux (une idée et une image très cocasses), il lui adresse ces mots de prière : « Lafe, you and me worked for Lou Agry for nearly a year, and though I don't guess we was ever real buddies, I'm sorry it was me who stopped your clock. You had your good side, Lafe, but you had your bad side, too. Well... like cheatin' at stud and emptying my pockets whenever I got drunk. But I ain't holding these things against you, Lafe. And if you're holding a grudge against me, Lafe, just remember that when it come down to choosing between you and Buchanan here, well, I just had to choose Buchanan on account of he's a West Texan. And like I always say, let bygones be bygones. And I hope you're saying the same wherever you are. Well, so long, Lafe. You died real good. » Cette litanie a été débitée sous l’œil amusé et étonné de Buchanan. Désolé pour les non-anglophiles, mais j’ai jugé cet exemple parfait pour illustrer la qualité et la drôlerie des dialogues et pour faire appréhender l'humour noir et l’ironie constante des situations. En exagérant un peu, Buchanan Rides Alone n’est pas très éloigné du surréalisme.

L'humour est donc sans cesse présent mais jamais forcé, ne faisant jamais sombrer le film dans la lourdeur ou le burlesque : à son origine, nous trouvons surtout le personnage décomplexé de Buchanan et un comique de répétition (le barman bedonnant et couard courant sans cesse d'un de ses frères à l'autre suivant le vent, ballotté comme une balle de ping-pong, sans cesse sur le point de faire un infarctus ; les prisonniers constamment enfermés et sortis de prison...). Même Howard Hawks dans ses films les plus décontractés n’aurait jamais proposé un tel dialogue : alors que Buchanan et son associé de fortune (quelques heures auparavant, il était chargé de le trucider) viennent de faire prisonniers leurs poursuivants, le second demande au premier : « What're we gonna do now, Buchanan ? », ce à quoi Buchanan lui répond : « Foist we take care of the hawses. Then I... I don't know, I’m not sure ! » avant de tourner les talons et passer hors champ. Le raconter par écrit n’est peut-être pas très drôle, mais voir à l’écran un Randolph Scott (et son curieux chapeau trop petit pour lui) aussi "je-m'en-foutiste" et inconséquent s’avère bougrement réjouissant. Voir ensuite les prisonniers arriver à se dépêtrer de leurs liens en à peine dix secondes nous semble alors bien plus drôle que peu crédible, les deux séquences procédant plus ou moins du même "humour ZAZ" avant l’heure d’autant que le personnage de Buchanan est à la fois très charismatique (bardé qu’il est au début de ses impressionnantes cartouchières) tout en représentant une sorte de cool attitude.

Hormis cela, le scénario, rocambolesque à souhait, est parfaitement bien mené, les scènes d'action ne manquent pas de punch, la photographie de Lucien Ballard magnifie les paysages et l'interprétation est globalement excellente, que ce soit les premiers ou les seconds rôles ; il s'agit vraiment d'une constante du cinéaste que de faire vivre autant de personnages sans en sacrifier un plus que l'autre. Parmi ceux-ci nous trouvons Carbo interprété par Craig Stevens (le futur Peter Gunn de Blake Edwards), tout de noir vêtu, le seul habitant d’Agry-Town semblant être loyal (même si c’est envers un salaud, en l’occurrence le juge), Barry Kelley dans le rôle du shérif corrompu ainsi que Peter Whitney dans celui du barman, sorte d’idiot du village, bedonnant et transpirant. Que l’on m’apprenne que Joel et Ethan Coen auraient vu et revu ce Buchanan Rides Alone avant de se lancer dans leur carrière au cinéma ne m'étonnerait guère tellement certains des personnages de Blood Simple, Miller’s Crossing ou Fargo font penser à ces trois-là. A l’exception de Randolph Scott, tous les comédiens de ce film ont surtout fait une carrière à la télévision et demeurent encore aujourd’hui très peu connus. Soulignons également que parmi eux, il n'y a quasiment aucun rôle de femme, donc pas la moindre trace de romance qui aurait pu affadir l’ensemble ; même si Budd Boetticher est très doué pour cela malgré sa réputation idiote de misogyne, une histoire d'amour n'aurait guère eu de raison d'être au sein de cette intrigue. Pour l’anecdote, que ceux qui auraient cru déjà entendre la musique du générique se rassurent, car il s’agit bel et bien de celle que l’on entendait dans celui de Dix hommes à abattre (Ten Wanted Men) de H. Bruce Humberstone avec déjà Randolph Scott. La grève des compositeurs battant son plein, les auteurs ont puisé dans les archives de la Columbia pour le meilleur (le générique justement, signé Paul Sawtel) ou pour le pire. Car il faut bien se rendre à l’évidence : pour le reste du film, la musique a du mal à cadrer avec l’image, s’avérant le gros point faible de ce réjouissant Buchanan Rides Alone.

Certainement pas aussi parfait que la plupart des autres films du cycle Ranown par le fait de délaisser la psychologie des personnages et de sembler parfois avoir été improvisé sur le tournage, cet opus de Boetticher se révèle néanmoins déconcertant de décontraction, extrêmement jouissif et fichtrement original par son ton, mêlant avec brio humour et action. Après trois westerns aussi sombres que ceux qui ont précédé, voilà une bouffée d’air frais bienvenue au milieu du cycle que cet Aventurier du Texas sans vengeur ni personnages rongés par leur passé, n’ayant pas d’autres prétentions que de divertir, bourré jusqu’à la gueule de punchlines enthousiasmantes et de situations drôlatiques (sans en avoir l’air), uniquement pour nous rappeler avec humour l’attrait maléfique de l’argent et le pouvoir monopolisé par quelques puissants. Un western léger, d’une belle fluidité scénaristique et d’une totale efficacité, l’action étant constamment lisible, mené tambour battant et riche en rebondissements. Bien évidemment pas aussi puissant que la plupart des autres westerns du cinéaste mais néanmoins presque tout aussi jubilatoire.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 23 janvier 2009