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Critique de film
Le film
Affiche du film

Vacances sur ordonnance

(Last Holiday)

L'histoire

Petit ouvrier d'une entreprise de matériel agricole, George Bird apprend de la bouche de son médecin qu'il est atteint d'un mal incurable, la maladie de Lampington. N'ayant pas de famille ou d'amis à qui transmettre ses biens, il réunit ses maigres économies, et décide de passer ses derniers jours dans un hôtel luxueux d'une cité balnéaire. Sur place, un certain nombre de rencontres vont changer sa vie...

Analyse et critique

La comédie britannique a ceci d’infiniment séduisant qu’elle se conforme assez parfaitement à ce que l’on croit connaître d’elle, pour finalement parvenir à nous surprendre une fois de plus. Vacances sur ordonnance, film méconnu et parfois négligé, en est une preuve d’autant meilleure qu’en y repensant, après coup, on ne voit pas bien ce qui nous fait dire que c’est une comédie...

Les premières séquences de Vacances sur ordonnance représentent une illustration assez remarquable de ce qui fait le si fameux piquant du regard que portent les Britanniques sur le monde : le postulat pourrait d’emblée solliciter le larmoyant (un médecin annonce à un patient qu’il est atteint d’une maladie incurable et qu’il ne lui reste que quelques semaines à vivre), il fait au contraire appel à ce que l’esprit british a de plus malicieux, avec une ironie pleine de flegme, un humour noir grinçant, mais aussi une inscription forte dans une société de codes : il suffit que George Bird mette un beau costume et rase sa moustache pour qu’il ne soit plus perçu comme un pauvre type laborieux mais comme un élégant homme du monde.

En ce sens, qui d’autre qu’Alec Guinness pouvait interpréter ce personnage, capable d’un plan à l’autre de se fondre dans la masse insignifiante puis d’attirer tous les regards de la pièce dans laquelle il entre ? Alec Guinness, ce comédien que tout le monde connaît mais dont personne ne sait, en réalité, à quoi il ressemble vraiment... Durant sa carrière, ce prodigieux caméléon n’a en effet eu de cesse de composer des personnages singulièrement différents les uns des autres tout en parvenant à faire croire au public qu’ils étaient lui.

Au moment où il tourne Vacances sur ordonnance, Alec Guinness est surtout connu du public pour son interprétation du vieux Juif Fagin dans le Oliver Twist (1948) de David Lean ou pour sa performance de transformiste dans Noblesse oblige (1949) de Robert Hamer, où il incarne huit rôles - dont celui d’une femme. Son image publique est donc indéfinie, et ce n’est pas sa nature discrète, presque hermétique, qui aide à cerner cette drôle de personnalité. Avec le personnage de George Bird, finalement l’un de ses tout premiers "premiers rôles", Guinness va tracer les contours d’une figure qu’il ne cessera ensuite de peaufiner de film en film, et dans laquelle le public britannique saura se projeter, au point de faire de lui l’une des plus grandes stars nationales et de lui assurer une carrière internationale : la figure d’un homme modeste, humble, compétent, qui se retrouve presque malgré lui embarqué dans une "aventure" (sentimentale, criminelle, professionnelle...) et qui doit tenter tant bien que mal de préserver son intégrité. Dès 1951, il sera ainsi dans le même registre L’Homme au complet blanc pour Alexander Mackendrick, film produit par les fameux studios Ealing.

Vacances sur ordonnance n’est pas une production Ealing, mais présente pour autant un certain nombre de points nous autorisant à dresser, artificiellement peut-être, une forme de parenté. Outre cette culture de l’humour noir que le studio Ealing est alors en train de développer et qui mènera par exemple, en 1955, à Tueurs de dames (toujours avec Alec Guinness, d’ailleurs), Vacances sur ordonnance trouve l’essentiel de ses enjeux dramatiques dans la description d’une communauté fermée, celle de la clientèle de l’hôtel, dans un premier temps présentée à travers ses différences et ses chamailleries, mais qui parvient finalement à se fédérer lors de la séquence de la grève du personnel, tout le monde partageant finalement la même tablée, rituel qui achève également, par exemple, Passeport pour Pimlico.

Vacances sur ordonnance n’est d’ailleurs pas exempt de sévérité en décrivant cette micro-société de privilégiés, et l’on sent, comme dans certaines productions Ealing, la méfiance éprouvée vis-à-vis de ceux qui détiennent le pouvoir ou l’argent mais en oublient leur humanité, surtout comparativement à la simplicité et au bon sens des classes populaires. Mais encore au-delà de cela, le film décrit, avec une certaine amertume, comment le pouvoir ne cesse de venir aux puissants : en venant dans cet hôtel, Bird n’a pas changé de nature, il a changé de statut. Dès lors, on vient le solliciter, le consulter, lui attribuer des responsabilités, se confier à lui... là où, auparavant, on le négligeait ou on l’exploitait (il faut, en ce sens, repenser à la séquence du début avec son patron le suppliant de rester alors qu’avant l’annonce de son départ, il le traitait comme un chien).

Pour ces raisons, et parce que par ailleurs le film ne contient à peu près aucun "gag" (ou alors, ils sont presque plus sinistres qu’autre chose : pensons par exemple au très révélateur "clin d’œil" du violoniste...), il est curieux de constater que tout le monde - et nous inclus - considère Vacances sur ordonnance comme une comédie. Les enjeux y sont pourtant d’une certaine gravité - l’imminence de la mort pour Bird mais aussi le deuil, la dette, l’exploitation sociale - et le point de départ même du film ne laisse augurer à peu près rien de très joyeux. C’est peut-être parce que l’esprit qui l’habite, à lui seul, prévient de toute sinistrose, et que tout ceci est finalement habité par, sinon une forme de légèreté, en tout cas une foi indéfectible en la bonté de l’Homme. Dans ces comédies britanniques de la fin des années 40 et du début des années 50 - probablement parce que la Seconde Guerre mondiale vient de s’achever - il semble souvent que l’avenir ne saurait être envisagé que comme porteur d’un "mieux", indéfini, abstrait, parfois fragile, mais toujours présent dans le cœur des gens.

[ATTENTION : LA PARTIE SUIVANTE REVELE DES POINTS IMPORTANTS DE L’INTRIGUE]

Et c’est là, finalement, que Vacances sur ordonnance sait s’avérer le plus surprenant : car pour les raisons que nous venons d’évoquer, dès la première séquence, on croit - et cette conviction ne fait que se renforcer tout au long du film - que Bird survivra à sa maladie, qu’une astuce scénaristique viendra le sauver, avec cette "langue dans la joue" (tongue-in-cheek) invitant à la complicité - et occasionnellement à l’indulgence - du spectateur. Alors oui, elle survient. Mais elle n’est pas seule. Et la deuxième astuce est d’autant plus choquante qu’elle nous semble, dans un premier temps, contredire la nature prétendument optimiste du film. Mais optimisme n’est pas naïveté, et le film ne s’est en réalité jamais départi de sa grande lucidité sur la structure même de la société : Bird a aidé ces gens à recouvrer un peu de leur humanité, mais il ne fait pas partie des leurs, et il ne le fera jamais...

[FIN DES REVELATIONS]

Il est d’ailleurs important de noter que l’auteur du film, J. B. Priestley, est un ancien journaliste et chroniqueur radiophonique, qui avait participé, à partir de juin 1940, à des émissions de la BBC chargées de soutenir le moral des populations, tout en se livrant à des analyses économiques ou sociales sur la situation du pays. Il s’agit donc d’un observateur et d’un moraliste bien plus que d’un auteur comique, et cela se retrouve dans l’écriture du film, qui fait bien plus mouche par ses observations sociologiques que lorsqu’il se lance dans la romance : en ce sens, on préfère très nettement les premières séquences avec Mrs Poole, empreintes de méfiance et de trouble, que celles de la partie finale, au registre sentimental un peu appuyé. Mais dans cette grande galerie de personnages un peu échoués, le sens du détail de Priestley offre parfois de très belles choses : un des plus beaux moments du film, extrêmement cruel, survient en conclusion d’une séquence un peu pathétique, lorsque Miss Fox vient voir Bird après son licenciement : son hésitation, son regard, et sa démarche voûtée lorsqu’elle retourne finalement auprès de sa maîtresse valent mieux que de longs discours sur la hiérarchie des classes dans la société anglaise...

Un dernier mot, enfin, sur ce casting tout à fait symptomatique de l’attention portée aux seconds rôles par le cinéma britannique de l’époque : jusqu’au énième rôle le plus anecdotique (cette vieille dame anglaise qui devient la standardiste de l’hôtel !), Vacances sur ordonnance repose solidement sur une base de comédiens pour bon nombre issus du théâtre. Parmi eux, citons la très distinguée Kay Walsh (alors récemment divorcée de David Lean), pour qui elle avait également tourné dans Oliver Twist) ;  le truculent Coco Aslan (ancien membre de l’orchestre de Ray Ventura) dans le rôle de Gambini, le directeur de l’hôtel ; Bernard Lee (futur M dans une douzaine de James Bond, de Dr. No jusqu’à Moonraker) dans le rôle de l’inspecteur Wilton ; ou Ernest Thesiger, inoubliable interprète du Dr. Pretorius dans La Fiancée de Frankenstein (1935) de James Whale, qui joue ici le Lampington donnant son nom à la fameuse maladie affectant George Bird...

Autant de raisons, donc, d’accorder une attention particulière à ce Vacances sur ordonnance, un film qui invite parfois à changer le pied de la danse et qui parvient ainsi, par ses ruptures de tons, à décontenancer joliment ; comme une preuve supplémentaire que la comédie britannique d’après-guerre réserve encore et encore de bien belles surprises...

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Antoine Royer - le 8 octobre 2013