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Critique de film
Le film
Affiche du film

Trois jours à vivre

L'histoire

Simon Belin est acteur de second rôle dans une petite troupe de théâtre qui fait la tournée des petites salles de province. Un soir, alors que l’équipe vient de fêter la fin d’une tournée dans un restaurant parisien, Belin est témoin d’un meurtre dans une rue parisienne. Il a vu le visage du tueur, ce qui lui vaut immédiatement une petite notoriété médiatique. Le directeur de la troupe profite de cette publicité inattendue pour le promouvoir dans le premier rôle de Lorenzaccio. Lorsque la police arrête Lino Ferrari, défavorablement connu des services de police, et demande à Belin s’il le reconnait comme coupable, il sait qu’il n’est pas le tueur. Mais grisé par sa notoriété récente, Belin décide de mentir pour conserver son statut et fait condamner Ferrari. Quelques mois plus tard Ferrari s’évade, et menace Belin.

Analyse et critique

Après avoir débuté sa carrière dans un registre léger, la rencontre de Jean Gabin a amené Gilles Grangier à se tourner de plus en plus fortement vers le polar, avec où sans la grande star du cinéma. La filmographie de Grangier dans la seconde partie des années cinquante ressemble ainsi à une alternance de récits portés par la figure charismatique de Gabin et de films moins marqués par la présence d’une tête d’affiche écrasante et fonctionnant plutôt sur des interactions nombreuses entre ses personnages. C’est le cas de Trois jours à vivre, qui appartient lui aussi au genre policier, mais qui y mêle également des éléments de drame plus légers tout en permettant à Grangier, comme souvent, de se plonger dans un environnement socio-professionnel précis, celui du théâtre, le tout tissé par une histoire d’amour qui se développe dans les deux tonalités. Car il y a bien presque deux films dans le film, qui sans s’opposer, existent chacune avec leur atmosphère propre, avec chacune sa musique, sa lumière, comme l’illustre la rupture nette, mais non moins fluide, entre le repas et le meurtre au début du film, où l’éclairage passe à l’expressionisme et la musique se fait glaçante.


Hormis la scène du meurtre, la première partie du film est plus principalement consacrée à une peinture détaillée du monde du théâtre, qui fait écho à celle que Grangier faisait du monde des marchands d’art dans Meurtre à Montmartre. Si on ressent toute la tendresse de Grangier pour les acteurs qu’il met à l’écran, son regard est pourtant lucide. Sans jamais juger ses personnages, il sait se faire le critique d’un milieu théâtrale médiocre, où chaque jour la troupe joue dans des salles qui se ressemble toutes, dans un décor de mauvais carton-pâte, un monde où tout est bon pour faire sa promotion, où les habilleuses sont actrices, et où la vedette qui cabotine et se prend pour une star est encore probablement encore moins douée que l’habilleuse. Un monde qui compense tout cela par un peu de chaleur humaine, même si dès le premier repas on ressent de la fausseté, un jeu de dupes derrière les sourires. Belin se saoule car il est insatisfait de son sort, personne n’écoute Alexandre, vedette illégitime de la troupe, et le discours du directeur semble en lasser plus d’un. C’est dans ce contexte que Belin est témoin d’un meurtre. Une aubaine, il devient un petit phénomène médiatique qui va améliorer l’ordinaire de la troupe et par conséquent le sien, alors qu’il est propulsé dans le rôle principal de la pièce pour sa notoriété plutôt que par son talent.


Il est ainsi logique que Belin en profite, quitte à vivre de mensonge, autant le jouer aussi dans la vie. Lorsqu’on lui présente Ferrari, autant feindre de le reconnaitre pour ne pas retomber dans l’ordinaire. Belin à tout à perdre, son statut dans la troupe, et son couple avec Jeanne, qu’il a séduit, même s’il n’en est probablement pas amoureux. Dans la séquence où il est confronté à Lino Ferrari, Belin joue peut-être son plus beau rôle, et donne sa plus belle performance d’acteur, dans son hésitation avant de faire tomber son verdict, formel. Mais lorsque Ferrari s’échappe et le menace, la peur change tout et les masques tombent. Dans l’attitude de Belin qui devient peureux, lui qui était un peu fanfaron en début de film, dans les mots qu’il a pour Jeanne et même sur scène. Alors qu’il y apparait souvent dans la première partie du récit, et avec un certain succès, dans la seconde, son premier passage le voit bégayer alors que le deuxième est interrompu par une fusillade. Il a perdu ses moyens. Il ne sait plus jouer, ni sur scène ni en dehors.


C’est en fait le film qui a lui-même changé, Trois jours à vivre se tournant bien plus vers le film noir dans sa deuxième moitié. Cette bascule, marqué par l’appel téléphonique de Ferrari à Belin lui annonçant qu’il n’a plus que trois jours à vivre amorce également la transformation des personnages. Belin n’est pas un criminel, mais il a menti, il a fait de Ferrari un criminel en le dénonçant, ce qui aura pour conséquence la mort d’un agent de la sureté, et par rebond, il fera de Jeanne une criminelle également. De héros de la première partie du récit, il en devient petit à petit l’agent maléfique. Tout son personnage s’écroule, il avoue son mensonge, et son absence de sentiments pour Jeanne, toute ce qu’il a construit s’effondre. Cette dimension policière du récit est particulièrement intéressante. L’intérêt majeur d’un récit criminel est d’obliger le spectateur à un travail moral, ici il est important. Ferrari est un délinquant notoire, mais il est victime des mensonges de Simon. Au regard du strict récit noir, il est la victime, il est celui que le destin entraine. Alors, qui est moralement le plus condamnable ? Derrière le masque des faits, que dit la morale ? Un flou et une ambiguïté renforcés par la présence puissante de Ventura dans le rôle de Ferrari dans le dernier quart d’heure, qui vole la vedette, et qui charrie rétrospectivement – il n’est alors qu’un habitué des seconds rôles souvent mutiques et brutaux - l’image future de ses personnages du bon ou du mauvais côté de la loi mais toujours droits.


Le lien entre les deux tonalités de Trois jours à vivre, c’est la relation entre Jeanne et Simon. Elle évolue entre le jeu de masques du monde du théâtre et la réalité du film noir. Quels sont les vrais sentiments entre Simon et Jeanne ? Un couple de circonstance tel qu’on l’a vu se construire et tel que l’explique Jeanne à Ferrari, une relation sans amour comme le traduisent les mots qu’ils s’échangent en milieu de film ou un couple fort comme celui de la dernière image ? Après un tel jeu de dupe, celle-ci ne peut convaincre totalement, sinon que le couple s’est peut-être cimenté sur ce trajet. Elle offre en tout cas un remarquable fil rouge, ambigu mais passionnant, à un film qui sait à la fois être drôle et brutal, et donner la chance à chacun de ses personnages. Dans les rôles principaux, Daniel Gelin et Jeanne Moreau excellent, tout comme Armontel et Clariond dans des seconds rôles, remarquablement servis par les dialogues de Michel Audiard. Un an avant d’exploser dans le rôle du Gorille, Ventura impose son charisme incroyable, dans un rôle qui semble préparer celui qu’il tiendra deux ans plus tard dans Un Témoin dans la ville. Porté par une très belle bande originale de Joseph Kosma, très variée, et par la photographie de Thirard qui colle de près aux enjeux du film, Trois jours à vivre est une belle réussite, par sa dimension documentaire, dans la peinture de la province et des petites rues parisiennes, par son écriture, et par la remarquable tension criminelle qu’il impose. Il s’inscrit parfaitement dans la filmographie de Grangier dans la seconde partie des années cinquante, une succession de films marquants qui méritent d’être redécouverts.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 1 juin 2023