Menu
Critique de film
Le film
Affiche du film

Tonnerre sur Timberland

(Guns of the Timberland)

L'histoire

Jim Hadley (Alan Ladd) et son partenaire Monty Welker (Gilbert Roland) arrivent avec leur imposante équipe de bûcherons dans la petite bourgade de Deep Well. Ils sont là pour procéder à la déforestation de la parcelle que le gouvernement leur a accordée. Mais les habitants de la région ne voient pas cette intrusion d’un très bon œil. En effet, comme c’est arrivé à une ville voisine, leur cité risque de devenir une ville-fantôme si la destruction de la forêt vient à faire disparaitre la couche arable des terres alentours, les pluies apportant alors presque assurément des torrents de boue qui, sans la protection naturelle que constitue la forêt, détruiraient tout sur leur passage, tout autant les cultures que les prairies d’herbe grasse pour le bétail. On refuse donc logiquement aux bûcherons toute aide ; seul le jeune Bert Harvey (Frankie Avalon) propose à Jim de le conduire jusqu’au ranch où il travaille, pensant que sa patronne, Laura Riley (Jeanne Crain), leur louera des chevaux pour le débardage. Seulement, Laura refuse tout autant que ses concitoyens alors que son contremaitre (Lyle Betger) le chasse carrément de la propriété. Quoi qu’il en soit, les bûcherons s’attellent à la tâche d’autant qu’ils ne disposent que de deux mois pour accomplir le travail. Alors qu’un samedi soir ils se rendent au bal, une forte détonation se fait entendre ; le chemin par lequel les travailleurs devaient descendre les arbres est désormais impraticable, des tonnes de rochers s’étant mis en travers. Non seulement suite à ce sabotage les conflits entre ranchers et bûcherons vont s’amplifier, mais au sein même du campement de ces derniers, Jim et Monty vont se quereller quant à la façon d’agir, l’un prônant la diplomatie, l’autre la violence...

Analyse et critique

Un début d’années 60 assez décevant pour quelques amoureux du western puisque deux de leurs poulains se retrouvaient simultanément dans deux de leurs moins bons films, leurs interprétations respectives n’arrangeant rien à la chose, bien au contraire ! Après Audie Murphy assez transparent dans Le Diable dans la peau (Hell Bent for Leather) de George Sherman, c’est donc au tour d’Alan Ladd de nous désappointer alors que j'ai souvent loué sa filmographie comme étant l’une des plus (positivement) régulières à l’intérieur du genre, l’une des plus riches en termes de nombre de réussites ; pour résumer, un choix de carrière qui fut dans l’ensemble tout à fait cohérent et honorable. Dans L’Or du Hollandais (The Badlanders) de Delmer Daves, le comédien était déjà moins convaincant ; mais dans le cas présent, le visage bouffi, ravagé par l’alcool, Alan Ladd n’est plus que l’ombre de lui-même, aussi terne que la réputation qui lui a souvent été faite (à tort de mon point de vue), désormais dépourvu du moindre charme et de tout talent dramatique, semblant être totalement ailleurs (dans les limbes des effluves d’alcool ?). Un mauvais film pour autant ? Je n’irai pas jusque là, mais disons un western familial pas très reluisant pouvant éventuellement se regarder sans trop d'ennui par un après-midi pluvieux. En tout cas, une grosse déception en regard de ce à quoi Robert D. Webb, lui aussi cinéaste souvent très respectueux de son public, nous avait habitué auparavant. A savoir un joli western pro-indien, La Plume blanche (White Feather) avec Robert Wagner, et surtout un excellent western urbain, Le Shérif (The Proud Ones) avec un Robert Ryan impérial. Il y eut aussi entre les deux le plus faible mais plus célèbre Love Me Tender, premier film avec Elvis Prelsey, pour lequel l’efficacité de la mise en scène n’était pas à remettre en cause, preuve en étaient les énergiques séquences tourmentées ou encore les amples mouvements de caméra lors des chevauchées superbement cadrées en Cinémascope.

Avant de passer derrière la caméra, le peu connu Robert D. Webb fut un réalisateur de seconde équipe réputé, notamment sur les films de Henry King avec Tyrone Power comme Capitaine de Castille ou Echec à Borgia (Prince of Foxes). En tant que cinéaste, sans génie dans ses mises en scène, il fit néanmoins du bon travail d’artisan consciencieux et sa technique fut quasiment irréprochable - même s’il fut parfois capable du pire, avec par exemple le pénible et laborieux film d'aventures Tempête sous la mer (Beneath the 12-Mile Reef) ! Tonnerre sur Timberland lui doit donc encore beaucoup, les séquences les plus marquantes étant celles de l’abattage des arbres et de la mise en place du campement des bûcherons. Peu aidé par le background de la Warner qui ne s’embarrasse guère d’esthétique ni de bonne musique (David Buttolph restera décidément médiocre jusqu'au bout), la spectaculaire séquence finale de l’incendie ne sombre pas dans le ridicule une fois encore grâce Webb qui arrive à faire passer la pilule des hideuses transparences grâce à son sens du rythme, du mouvement et du cadrage. Mais, contrairement à ce qu’aurait pu nous laisser croire le titre, le western de Robert D. Webb demeure avare en action et en coups de feu, la seule autre séquence mouvementée étant la titanesque bagarre générale qui sombre très vite dans la pantalonnade et la gaudriole. Une fois encore, ce sont plus les auteurs, producteurs et interprètes qui doivent être principalement mis en cause dans l’échec de ce Tonnerre sur Timberland plutôt que le réalisateur qui, même s’il semble avoir souvent été en meilleure forme, arrive à nous maintenir éveillé grâce à son professionnalisme.

Pour le reste, l’intrigue de ce western forestier rappelle étrangement celle de La Vallée des géants (The Big Trees) de Felix Feist avec Kirk Douglas ; le film (déjà distribué par la Warner) n’était guère meilleur mais la qualité de l’interprétation de la star montante arrivait à le porter plus haut que celui de Robert D. Webb. Dans chacun d'entre eux, nous assistons à des scènes "documentaires" mettant en avant le spectaculaire travail d’abattage des arbres, à un conflit entre les bûcherons et les habitants de la région, à un début de romance entre l’opportuniste chef des travailleurs et un membre féminin de la communauté spoliée, ainsi qu’à une querelle qui se déclenche entre les deux principaux associés suite à la prise de conscience de l’un d'entre eux. Seule change la raison de la rivalité initiale, dans le western de Feist des Quakers ne voulant pas que l’on abatte des séquoias centenaires, dans celui de Webb, plus pragmatique, les citoyens ayant peur (avec raison) que la déforestation n’entraine une catastrophe écologique. Dans Tonnerre sur Timberland, les scénaristes paraissent ne pas arriver à choisir leur camp ; et du coup, au lieu d’être captivante du fait de mettre en avant les arguments de chaque camp, l’histoire fait vite du sur-place et devient rapidement inconsistante à l’image de ses personnages dont aucun n’arrive vraiment à se sortir du lot. Comme si le travail du talentueux Joseph Petraca - Le Fier rebelle de Michael Curtiz ou bien Le Shérif (The Proud Ones) de Robert D. Webb - avait été affadi par son coscénariste, le comédien Aaron Spelling qui à l’occasion produisait également son premier film. Il sera ensuite réputé pour avoir été le producteur le plus rentable de la télévision avec à son actif des séries aussi populaires que La Croisière s’amuse, Dynastie ou Beverly Hills 90210. Un scénario assez mièvre aggravé par de mauvais dialogues et de catastrophiques prestations d’Alana, la propre fille d’Alan Ladd, ainsi que du chanteur Frankie Avalon dont c’était la première apparition dans un film de fiction (il sera à nouveau cette même année à l’affiche d’Alamo de John Wayne, film d’une toute autre envergure). Pour le mettre en avant et dans l’espoir d’attirer une clientèle jeune, nous assistons même à une séquence de "rockabilly". Nous ne sommes plus à un anachronisme près s'agissant de Hollywood mais, si cela n'aurait pas été gênant au sein d'une comédie musicale, l’invraisemblance de cette scène fait vraiment tache au sein d’un film censé être sérieux. Quant à la sous-utilisation de comédiens aussi talentueux que Lyle Bettger, elle n’aide pas à se montrer plus tolérant envers un film de divertissement traité avec autant de désinvolture.

En conclusion, les bûcherons n’auront pas vraiment porté chance aux stars hollywoodiennes ; il faudra attendre Paul Newman et son Clan des irréductibles au début des années 70 pour remonter la pente. Adapté d’un roman de Louis L’Amour (Hondo, Quatre tueurs et une fille, Stranger on Horseback...), Tonnerre sur Timberland est un western familial routinier et peu mémorable mais reste cependant un film bon enfant et pas forcément désagréable grâce surtout au métier du cinéaste, à l’interprétation assez savoureuse de Gilbert Roland et au joli minois de Jeanne Crain. Dommage qu’il n’ait pas été constamment du niveau de la séquence de la découverte de la ville-fantôme, Jeanne Crain s’inquiétant du sort qui les attend si la déforestation se poursuit. Bref, tout n’est pas à jeter mais il serait sacrément osé de conseiller ce film au plus grand nombre ; il n'en vaut pas vraiment la peine !

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 29 mai 2020