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Critique de film
Le film

Le Diable dans la peau

(Hell Bent for Leather)

L'histoire

Le maquignon Clay Santell (Audie Murphy) se rend à Sutterville pour y acheter des chevaux. Alors qu'il fait une halte avant d’atteindre la ville, il voit arriver un homme blessé à qui il propose de partager son repas ; faisant semblant d’accepter, le "faux blessé" frappe son hôte, lui vole sa monture et s’enfuit à vive allure. Clay a néanmoins eu le temps de lui tirer dessus, le touchant à l’épaule, et de récupérer le fusil de son agresseur. Arrivé en ville à pied, il constate qu’on le regarde d’une drôle de façon ; en effet, à la vue du fusil qu’il s’est procuré, les habitants le prennent pour le meurtrier de deux de leurs concitoyens qu’on est justement en train de mettre en terre. C’est ainsi que, malgré ses dénégations, on pense qu’il s’agit de Travers (Jan Merlin), un criminel recherché et poursuivi depuis un certain temps par le Marshall Deckett (Stephen McNally). Ce dernier arrive justement et, seul à connaître le visage du hors-la-loi, profite de la confusion pour confirmer les soupçons des villageois. Las de poursuivre Travers et avide de toucher la prime promise, il ne fait effectivement rien pour les détromper. Deckett compte même le ramener dans sa ville de Denver et l’y faire pendre à la place du véritable assassin, en retirant ainsi une gloire plus rapide que s’il avait dû poursuivre son épuisante chasse à l’homme. Mais en cours de route, Clay réussit à fausser compagnie à l’opportuniste homme de loi. Pour sauver sa peau, il prend en otage Janet (Felicia Farr), l’institutrice locale qui, convaincue de son innocence, va tout faire pour le tirer de ce guêpier...

Analyse et critique

Après avoir pris le contrepied des critiques français de l’époque (et de celles d'il y a encore peu de temps) qui pour la plupart traitaient George Sherman avec mépris, le considérant comme un simple tâcheron, et après avoir à plusieurs reprises porté avec insistance toute votre attention sur ce réalisateur américain, voici qu’à mon tour je me mets à douter de ses réelles capacités. Car il faut bien l’avouer, depuis 1952 et le très bon The Battle at Apache Pass (Au mépris des lois), le cinéaste n’a plus cessé de me décevoir. Le Diable dans la peau n’échappe pas à la règle : même si le postulat de départ pouvait sembler captivant, la désillusion est de nouveau au rendez-vous. Force est donc de constater qu’après 1952, la plupart de ses westerns furent bien moins enthousiasmants que les précédents. Après Les Rebelles (Border River) et Le Trésor de Pancho Villa, on aurait pu se dire que le Mexique ne semblait pas avoir grandement inspiré le réalisateur ; mais ses derniers westerns pro-Indiens - Le Grand chef (Chief Crazy Horse) et Comanche - n’étaient guère meilleurs, voire même pires. Au vu de Duel dans la Sierra, et même si ce dernier est cette fois loin d’être mauvais contrairement à tous les autres titres cités ci-dessus, et à moins d’un dernier sursaut à venir (Big Jake avec John Wayne en 1970), je continue de penser que sa période faste se situe bel et bien derrière lui. Ses meilleurs westerns furent ceux tournés entre 1948 et 1952 pour la compagnie Universal, un studio pour lequel ce fut également une période glorieuse concernant le genre. Mais avant de critiquer de nouveau négativement ce nouvel opus, il faut quand même se rappeler que George Sherman a réalisé une dizaine de très bons westerns, et parmi ceux-ci son chef-d’œuvre Tomahawk, un western pro-Indien d’une rare puissance d’évocation à propos des massacres perpétrés envers les Natives.

Une confusion d’identité amenant à faire prendre un innocent pour un meurtrier que l’on poursuit dans le but de le lyncher. Une jeune femme prise en otage par cet homme pour garantir sa survie, d’abord effrayée puis devenant sa "complice" au fur et à mesure de leur périple. Un homme de loi sachant pertinemment que l’homme traqué n’est pas le coupable mais qui le pourchasse cependant sans relâche pour s'approprier plus rapidement la gloire et la prime promises pour sa capture... Voilà des personnages et un postulat de départ a priori très séduisants sur le papier, même si pas spécialement originaux. Quoi qu’il en soit, que les divers éléments de l’intrigue soient conventionnels ou non, on sait très bien que ce n’est jamais un gage de réussite ou de l’échec d’un film ; tout dépend de ce qu’en font leurs auteurs. En l’occurrence, avec ces bases, des cinéastes comme Budd Boetticher ou Anthony Mann, des scénaristes tels Borden Chase ou Burt Kennedy auraient facilement pu accoucher d’un chef-d’œuvre. Malheureusement, que ce soit George Sherman ou son scénariste Christopher Knopf (un homme ayant presque exclusivement travaillé pour la petite lucarne), tous les deux ratent le coche. Et pourtant le début de leur western promettait d’être captivant ; la rencontre initiale de Clay et de l’homme avec qui il va être confondu faisait entrer d'emblée le spectateur au cœur de l’action ; l’arrivée de Clay à pied dans un village semblant mort et perché sur le flanc d’une colline se révélait elle aussi assez intrigante, ces décors naturels étant assez insolites. La tension montait ; on comprenait alors que le personnage joué par Audie Murphy n'allait pas tarder à se mettre dans une situation inextricable, lui qui ne venait ici que dans l'intention d'acheter des chevaux.

Puis, on comprend très vite la globalité des enjeux dramatiques avec l’arrivée du marshall expliquant d’emblée à son "prisonnier" qu’il sait très bien qu’il n’est pas l’homme qu’il recherche mais qu’il fera tout comme, lassé de poursuivre le vrai coupable qu’il aurait de toute manière bien plus de mal à appréhender et à ramener. Clay réussit à s’enfuir, va tenter de sauver sa peau en prenant en otage une jeune institutrice, et tous deux vont essayer d’échapper aux poursuites de l'homme de loi et du posse qu'il a levé. A partir de ce moment, alors qu’on aurait pu s’attendre à une course poursuite haletante, faute à une écriture très lâche, à une mise en scène peu inspirée et à une interprétation sans grandes nuances, on se prend très vite à regarder sa montre. Même la séquence de l’apparition de l’inquiétant Robert Middleton dans la cabane, qui semble vouloir créer une forte tension, retombe très vite comme un soufflé à cause d’un bavardage intempestif sans grand intérêt. Un gros problème de rythmique que n’arrangent guère de très grosses incohérences comme celle du passage du col. Il s'agit d'une ascension que l’on dit très difficile, que seul un homme a réussie jusqu'à maintenant, mais que nos deux fugitifs terminent en un coup de cuiller à pot comme s’ils n’avaient grimpé que deux étages. Alors que, dans le même temps, les poursuivants, plus nombreux et à cheval, les talonnant pourtant d'assez près, décident de les rattraper en faisant un contournement de la montagne qui durera cinq heures ! La suspension d’incrédulité a beau être largement à ma portée, il existe des invraisemblances tellement grosses qu’elles nous font néanmoins sortir du film. On pourrait citer d’autres exemples de ce style qui démontreraient le manque de rigueur du scénario ; un scénario souvent incohérent, aggravé par une description des personnages sans grand intérêt psychologique et des dialogues sans punch et peu intéressants.

George Sherman est cependant lui aussi fautif dans l’ennui qui s’installe, déjà par le fait d'une direction d’acteurs assez frivole, certains comédiens en faisant bien trop alors que d’autres se révèlent bien trop fadasses, y compris un artiste que j’apprécie pourtant beaucoup, Audie Murphy. Fatigué, les traits tirés, il déçoit un peu ici, n’apportant aucun relief à un personnage qui en était au départ dépourvu. On aurait aimé voir l’acteur plus convaincant dans le rôle de cet homme simple et honnête, auquel il aurait été très facile de s’identifier et qui, suite à une confusion d’identité, se retrouve victime de circonstances qui vont l’entrainer dans une cavale éperdue, poursuivi par une population vengeresse et un marshall opportuniste et malsain qui n’hésite pas à faire tuer des innocents ou à pratiquer le passage à tabac. Ce dernier, c’est Stephen McNally, le héros d'Apache Drums (Quand les tambours s’arrêteront) de Hugo Fregonese ; bien dirigé, il peut faire illusion mais au vu de son cabotinage parfois un peu pénible ici, on se rend compte que nous n’avons pas à faire à un immense comédien. On imagine aisément comment un tel personnage aurait pu faire gagner en intensité le film s’il avait eu pour interprète Richard Widmark ou Dan Duryea. Huit ans auparavant, Audie Murphy et Stephen McNally s’était déjà retrouvés tous deux à l’affiche d’un western autrement plus enthousiasmant dans lequel ils étaient du même côté de la loi, Duel at Silver Creek (Duel sans merci) de Don Siegel. Heureusement, Felicia Farr, la comédienne fétiche de Delmer Daves (inoubliable dans La Dernière Caravane, Jubal, 3.10 pour Yuma), s’en tire en revanche plutôt bien, le protagoniste qu’elle eut ici à interpréter s’avérant du coup le plus intéressant de l'intrigue. Là où le cinéaste nous déçoit également, c’est par une mise en scène assez paresseuse, bien moins inspirée ici que par le passé, notamment dans son appréhension de l’espace ainsi que dans l’utilisation des paysages à sa disposition (le fameux Lone Pine en l’occurrence, au sein duquel Boetticher a filmé un grand nombre de ses chefs-d’œuvre). Alors qu’il nous avait impressionnés au début des années 50, y compris dans son médiocre Le Grand chef qui demeurait malgré tout plastiquement superbe, on ne retrouve plus ici - même s’il reste quelques très beaux plans - ni sa science du cadrage ni la beauté de ses mouvements de caméra.

Ainsi, malgré une histoire a priori captivante, on ne se passionne guère par l'action qui se déroule sous nos yeux d’autant que cette série B très conventionnelle, en plus d'être intempestivement bavarde, est affublée d’une musique stridente, bruyante et assez vite pénible. L’abondance de cuivres se révèle peu en phase avec ce qui se passe à l’écran, aucune mélodie n’étant mémorisable, pas plus le thème romantique ; nous sommes cent coudées au-dessous des compositions pour le studio signées Hans J. Salter ou Herman Stein. Hell Bent for Leather est un western qui ne décolle donc jamais vraiment et dont la conclusion parait trop hâtive. Entretemps, nous aurons néanmoins pu apprécier une assez belle photographie, quelques séquences sortant un peu du lot (notamment les dix premières minutes) ou des décors insolites comme celui de la petite ville de Paradise qui anticipe celles que l'on trouvera dans les westerns de Clint Eastwood. Maintenant, que cet avis ne vous fasse surtout pas fuir ! En effet, je vous laisse juger par vous-même ; car si vous allez fureter sur le forum de westernmovies.fr par exemple, aucune voix ne vient s’élever contre cette série B au contraire défendue avec un enthousiasme non feint.

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La fiche IMDb du film
Par Erick Maurel - le 16 janvier 2015