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Critique de film
Le film
Affiche du film

The Servant

L'histoire

Tony, un riche et jeune aristocrate britannique, engage un valet de chambre, Barrett. Ce dernier, discret, compétent et stylé, entoure son maître de prévenances. Peu à peu, Barrett va exercer une étrange emprise sur le jeune homme. Il ira jusqu'à dominer totalement son maître, le menant inexorablement à la déchéance...

Analyse et critique

The Servant est un des sommets de la filmographie de Joseph Losey, qui collabore ici pour la première fois avec le dramaturge Harold Pinter qui signe également son premier scénario (d’après le roman éponyme de Robin Maughan). Dans l’œuvre de Losey, les héros font souvent face à une figure de double, de miroir aliénant qui va les enfoncer et causer leur perte. L’exemple le plus évident est bien sûr Monsieur Klein (1976) où Alain Delon est confondu avec un homonyme insaisissable dans un Paris sous l'Occupation. Les personnages se façonnent et/ou acceptent de façonner cet envers pour leur équilibre mental comme le duo « mère/fille » constitué par Elizabeth Taylor et Mia Farrow dans Cérémonie secrète (1968). Et parfois cet être dont on ne peut se passer s’incarne d’une façon plus lumineuse et romantique avec Le Messager (1971) mais avec une fois de plus une issue dramatique, qui existe dans la réunion ou la séparation des protagonistes.


The Servant est la plus belle manifestation de cette thématique. Le film s’inscrit dans le contexte de la société anglaise plus spécifiquement marquée par la lutte des classes. La Seconde Guerre mondiale à travers l’entraide nécessaire pour faire face à l’adversité (dans l’armée comme au sein du peuple) a brouillé les pistes quant à ce clivage ancestral et plusieurs grands films anglais des années 50 viennent bousculer cet état de fait sous des formes diverses, de Noblesse oblige (1949) de Robert Hamer Au Pont de la rivière Kwaï (1957) de David Lean. The Servant sort au début des années 60, soit la décennie de toutes les révolutions sociales et artistiques. Parmi les films précédemment cités en exemple, Le Pont de la rivière Kwaï montre la faillibilité de la figure sacrée de l’aristocrate quand Noblesse oblige voit, quant à lui la plèbe désormais prête à se rebeller et prendre sa part. Dans The Servant, nous trouvons donc Tony (James Fox), jeune aristocrate qui ne dispose plus du charisme, de l’implacabilité d’un système ou de la force d’un contexte pour naturellement être le « dominant ». Lorsqu’il engage Barrett (Dirk Bogarde) comme valet, l’évidence de la nature de « dominé » de celui-ci n’est que factice. L’oisif Tony pense déléguer son autorité naturelle à Barrett quand il lui confie l’ameublement et la décoration de sa nouvelle demeure, mais en fait, il est déjà sous l’emprise de son majordome.


C’est un rapport à l’autre qui est d’abord inconscient mais où paradoxalement les petits sursauts d’autorité de Tony trahissent sa dépendance tant il est dépendant des prévenances et des attentions de Barrett. C’est à travers les personnages féminins et le déséquilibre qu’ils apportent que la relation révèlera son étrangeté. Susan (Wendy Craig), constate vite que l’environnement de son fiancé Tony est le reflet de la personnalité de Barrett. Dans ce contexte, le moindre élément esthétique extérieur semble incongru comme les bouquets de fleurs qu’elle apporte, et la présence même de la jeune femme est une anomalie. La moindre amorce d’intimité est troublée par l’arrivée impromptue de Barrett, chaque de tentative de s’inscrire comme future maîtresse de maison se heurte à la silhouette du valet qu’elle croise inexorablement. A l’inverse, Barrett poursuit son entreprise de vampirisation quand il introduit un élément féminin avec sa « sœur », la provocante Vera (Sarah Miles). Si l’aristocrate dissimule sa faiblesse de caractère sous le statut, les serviteurs masquent le vice et le stupre sous la compétence. Dirk Bogarde arbore un constant regard moqueur et sournois qui s’accentue au fil de sa prise d’ascendant, et le trouble érotique de chaque regard, de chaque posture subtilement lascive de Sarah Miles brise également toute la possible autorité de Tony. Joseph Losey traduit cela par un brillant dispositif filmique, notamment le jeu sur les avant-plans et arrière-plans. Les compositions de plan placent le « dominé » à l’avant-plan pour laisser le spectateur observer ses émotions quand le « dominant » se situe à l’arrière-plan, silhouette à l’attitude indéchiffrable et qui dicte l’action. Plusieurs variantes interviennent dans cette mise en place. Il y a donc celle mettant en scène physiquement dominants et dominés à l’image, mais cela peut être symbolique (Tony écrasé par l’ombre de Barrett qui occupe sa chambre et ignore sa présence) ou métaphorique (la suite de la même scène où le contre-champ du visage de Tony dévasté est offert par le reflet du miroir où l’on observe l’attitude moqueuse de Barrett).


Les femmes auront servi à rendre plus claire la relation ambiguë de Tony et Barrett, entre aliénation mentale et homosexualité sous-jacente, ce qui explose dans la dernière partie où les masques du vice s’estompent. On s’amuse des échanges amour/haine fiévreux où les invectives blessantes succèdent aux aveux troubles (quand ils se disent ne pas avoir ressenti une telle proximité à l’autre depuis l’armée) et magnifient ce rapport toxique. James Fox ne démérite pas en sorte d’ange blond déchu, et trouvera d’ailleurs un emploi voisin dans Performance de Nicolas Roeg et Donald Cammel en incarnant à nouveau un personnage propret vampirisé par un protagoniste sulfureux, Mick Jagger himself. Le film sera un grand succès public et critique valant un BAFTA du meilleur acteur à Dirk Bogarde, et sera le premier jalon d’autres grandes collaborations de Losey avec Harold Pinter - Accident (1967) et Le Messager (1971).


En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 6 décembre 2021