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Critique de film
Le film
Affiche du film

The Game

L'histoire

Nicholas Van Orton (Michael Douglas), homme d'affaires avisé, reçoit le jour de son anniversaire un étrange cadeau que lui offre son frère Conrad (Sean Penn). Il s'agit d'un jeu. Nicholas découvre peu à peu que les enjeux en sont très élevés, bien qu'il ne soit certain ni des règles, ni même de l'objectif réel. Il prend peu à peu conscience qu'il est manipulé jusque dans sa propre maison par des conspirateurs inconnus qui semblent vouloir faire voler sa vie en éclats.

Analyse et critique


C’est un David Fincher dans un état d’esprit très différent qui aborde The Game, son troisième film. Brisé par un tournage éprouvant sous la pression des exécutifs de la Fox, David Fincher avait tiré un résultat miraculeusement réussi de son Alien 3 (1992) mais dont il ne se montra jamais satisfait au point de renier le film encore aujourd’hui. Le fruit de ses frustrations donna au suivant, Seven (1994), toute la noirceur, le désespoir et le nihilisme urbain qu’on connaît pour ce qui est un des sommets du cinéma américain des années 90. Remis en confiance par l’immense succès du film, Fincher allait décontenancer son monde avec ce qui reste l'un de ses film les plus déroutants. The Game constitue en quelque sorte le retour du fils prodigue pour David Fincher, qui revient dans le giron de la société Propaganda. Celle-ci fut la compagnie qui abrita la fine fleur des clippeurs et réalisateurs de publicités des années 80/90, marquant la pop culture avec des vidéoclips pour Michael Jackson, Madonna ou les Guns’n’Roses, et des spots pour les marques les plus prestigieuses. Dans la première moitié des années 90, les réalisateurs les plus talentueux de Propaganda s’émancipent en tentant leur chance au cinéma pour des fortunes diverses : Steve Barron sur Les Tortues Ninja (1990), Michael Bay avec Bad Boys (1995), Dominic Sena pour Kalifornia (1993) et donc Fincher avec Alien 3. Propaganda constitue ainsi une vraie influence pour l’esthétique cinématographique des 90’s mais peine pourtant à s’y imposer en son nom propre malgré quelques coups d’éclats méconnus comme la participation à la production de la série Twin Peaks ou Sailor et Lula (1990) de David Lynch. Le premier grand succès interviendra trop tard avec Dans la peau de John Malkovich de Spike Jonze (1999) alors que Propaganda ferme ses portes. En attendant cette triste fin, The Game est une nouvelle tentative pour la compagnie d’intégrer le gotha hollywoodien grâce à l'un de ses fondateurs et artistes les plus doués, auquel il sera donné carte blanche.


On y suit les mésaventures de Nicholas Van Horn (Michael Douglas), riche homme d'affaire dont la vie vire progressivement au cauchemar lorsque le mystérieux jeu auquel il s'est inscrit, sous l'initiative de son frère pour pimenter son quotidien, dérape sérieusement. Plusieurs films en un viennent ainsi compléter le puzzle qu’on doit en partie à Andrew Kevin Walker, déjà responsable du script de Seven. Tout d'abord on a le thriller psychologique le plus paranoïaque qui soit, truffé de rebondissements où le danger peut venir de partout, de toutes les façons possibles, par l'intermédiaire de n'importe qui et à tout moment, maintenant le spectateur dans une tension perpétuelle. La mise en scène de Fincher est oppressante au possible, ne lâchant pas d'une semelle un Michael Douglas qui passe en un rien de l’indifférence détachée à l’anxiété la plus appuyée. Plusieurs scènes sont particulièrement saisissantes de ce point de vue, comme celle où le héros se retrouve dans un hall d'hôpital qui se révèle être factice et se vide de son personnel en un clin d'œil. Toute aussi stressant est ce passage voyant Michael Douglas prisonnier d'une voiture sans conducteur qui fonce s'échouer en mer.



David Fincher n’a jamais caché son admiration et l’influence qu’a pu avoir sur lui la filmographie seventies d’Alan J. Pakula. Ici on pense ainsi fortement à Klute (1971) et A cause d’un assassinat (1974). Du premier on reconnaît un même usage des codes du thriller (et ce sens du malaise indicible) pour finalement dessiner le portrait et le parcours initiatique d’une âme troublée, ici Van Horton présenté au départ comme arrogant et solitaire mais dont cette nature est due à la vision d'un traumatisme d’enfance, quand il assista au suicide de son père. Les responsabilités du nom et de l’héritage qui en ont découlé semblent lui avoir volé prématurément son innocence. Quant à A cause d’un assassinat, on en retrouve la paranoïa véhiculée par une entité mystérieuse, un groupuscule gouvernemental dans le film de Pakula alors qu’ici la menace s'avère abstraite et conceptuelle avec la société CRS. The Game est finalement une réflexion sur la fiction sous ses différentes formes, que ce soit par l’intermédiaire du cinéma ou du jeu vidéo. Tout au long du film, on constate que plusieurs solutions alternatives se présentent selon les choix que pourrait faire Michael Douglas et l'on retrouve l'un des thèmes du futur Fight Club (1999) sur l'interprétation de la réalité. Le fait que tout soit peut-être dû à la folie du héros est même suggéré à plusieurs reprises. Le jeu que suggère le titre du film est, en fait, celui destiné à trouver (de manière fort tortueuse) le chemin de la rédemption et de la paix intérieure pour Michael Douglas. Cela rejoint aussi la thématique de la perte de contrôle, ou de l’illusion du contrôle nécessaire aux personnages de Fincher pour aller au bout de leur destinée. C’est le verrou mental de Fight Club faisant imploser la norme apathique du héros, la protection hi-tech de Panic Room (2002) qui se retourne contre ses locataires, et d’une certaine manière la perte de contrôle « par procuration » du méchant de Seven qui lui permet d’arriver à ses funestes fins.



Ce n’est qu’en ayant franchi les différentes épreuves/niveaux, brisé ses entraves intimes, que Van Horn pourra prétendre à être un autre homme. Le twist final qui tient autant de la fumisterie que du coup de génie s'inscrit parfaitement dans cette idée, un incroyable pic émotionnel laissant place à un ersatz de caméra cachée jusqu’au-boutiste. C’est sans doute l’une des conclusions les plus culottées vues dans un film de studio américain (même si celle de Fight Club allait davantage marquer les esprits) pour une oeuvre de David Fincher passionnante qui mérite d’être revue à la hausse.

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La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 3 novembre 2020