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Critique de film
Le film
Affiche du film

Star !

L'histoire

Vedette internationale du music-hall alors au sommet de sa gloire, Gertrude Lawrence commente le film de sa vie, apportant à l'occasion ses propres corrections. De la fin de la Première Guerre mondiale aux prémices de la Seconde, les grandes étapes de sa carrière alternent avec les épisodes de sa vie amoureuse, traçant le portrait d'une femme tourmentée qui s'est forgée toute seule, pour le meilleur comme pour le pire.

Analyse et critique

Au cours des années 60, le cinéma américain subit la concurrence de plus en plus rude de la télévision. Le public se détourne des salles. Hollywood s'engage dans une lutte acharnée pour affirmer la supériorité du septième art sur ce triste média qui ne propose qu'une image noir et blanc minuscule. Tous les grands studios vont alors rivaliser pour proposer des films de plus en plus spectaculaires, imposant sans cesse de nouveaux procédés qui tournent parfois au gadget (lunettes 3D, Cinerama). Dans cette optique, la comédie musicale apparaît comme le genre idéal, gage d'évasion qui permet d'en mettre plein les yeux et les oreilles. Persuadées que c'est ce que veut le public, et qu'elles ont ainsi des chances de remporter la course aux Oscars, les majors voient les choses en grand et n'hésitent pas à investir des sommes fabuleuses dans de telles productions. Signe d'une certaine décadence, le budget élevé d'un film devient ainsi un argument publicitaire. C'est dans cette tendance que s'inscrivent par exemple My Fair Lady (George Cukor, 1964), Dr. Dolittle (Richard Fleischer, 1967), Camelot (1967) et Paint Your Wagon (1969) de Joshua Logan, Funny Girl (William Wyler, 1968), ou encore Hello Dolly ! (Gene Kelly, 1969). Souvent d'une durée fleuve, ces oeuvres sont destinées en exclusivité au circuit des roadshows, distribuées sur une durée limitée dans les salles les plus prestigieuses du pays. Les places sont mises en vente longtemps à l'avance, et la soirée est animée par la distribution de programmes, une ouverture musicale, un entracte, etc. Les studios s'efforcent ainsi de re-sacraliser la séance de cinéma comme l'authentique spectacle qu'elle était à l'origine, de lui redonner sa valeur d'événement.

Après les triomphes tant critiques que commerciaux de Mary Poppins (Oscar de la meilleure actrice 1964) puis de The Sound of Music (1965), Julie Andrews accède à 30 ans au rang de superstar. Les studios sont désormais prêts à capitaliser une production entière sur son seul nom. Responsables du film le plus rentable de la décennie, Robert Wise et son producteur Saul Chaplin veulent poursuivre leur collaboration avec l'actrice, encore sous contrat avec la Fox pour un film. Contrairement à la plupart des musicals hollywoodiens, ils n'adapteront pas un succès de Broadway. Star ! sera une luxueuse biographie filmée de l'actrice anglaise Gertrude Lawrence (1898-1952), grande vedette de la scène dont on nous dévoile ici l'édifiant parcours, des pénibles débuts dans les faubourgs de Clapham au sortir de la Grande Guerre jusqu'au glorieux retour des années 40, en passant par les difficultés liées à la crise de 1929. Andrews éprouve une vraie admiration pour la diva et voit là l'occasion d'interpréter un rôle de femme complexe, loin de l'image lisse et bon enfant qu'elle se traîne depuis Mary Poppins. Tant par sa fabrication que par sa réception, Star ! va s'avérer un film emblématique de cette période incertaine qu'a connue le genre de la comédie musicale à Hollywood, passé l'âge d'or de la Freed Unit.

Soucieux de donner une sensibilité britannique à leur projet, Wise et Chaplin font appel à William Fairchild, un romancier du pays, pour rédiger le scénario. Les trois hommes vont réunir une somme conséquente de documents, articles, photographies, partitions, programmes, et lancer une grande enquête des deux côtés de l'Atlantique auprès de ceux qui ont connu Gertie. Ces témoignages se révéleront bien souvent contradictoires. Quant à l'autobiographie de Lawrence et aux mémoires de son second mari, ils tracent un portrait de l'artiste jugé un peu trop idéalisé. Or Wise veut précisément éviter de réaliser un biopic conventionnel et hagiographique. Finalement ce sont les souvenirs de Noel Coward, célèbre dramaturge, acteur et compositeur anglais, ami d'enfance de Lawrence, qui serviront d'inspiration première au script de Fairchild. Cette multiplicité des subjectivités lui aura cependant suggéré une approche singulière. Le jeu sur le mensonge et la vérité va être placé au coeur du film. La narration se construit à partir d'images d'archives policées, tantôt authentiques tantôt fabriquées, prolongées par une reconstitution plus triviale. La continuité du récit est brisée par les interventions régulières de Lawrence elle-même, qui corrige certains faits, en embellit d'autres, devenant à la fois objet et sujet du film. Le choix d'un tel emballage témoigne en soi de la grande liberté dont disposent les auteurs.

Plus que confiante, la Fox va en effet donner à cette "dream team" les moyens de réaliser ses ambitions, dépensant sans compter (14 millions de dollars, un budget colossal pour l'époque). Chacun est invité à donner le meilleur de lui-même. Chaplin, authentique professionnel de la musique, assure la direction musicale. Il veut faire renaître les grands succès de son héroïne et les pièces qui l'ont rendue célèbre (Private lives, Tonight at 8:30, Susan and God, Lady in the dark). Il part ainsi en quête de partitions des chansons d'époque qu'il fait réorchestrer par Lennie Hayton. Au total, une quinzaine de numéros musicaux - un chiffre véritablement élevé - reprendront des standards signés Gershwin, Cole Porter ou Noel Coward. Le passage des ans permet de montrer l'évolution des modes, des danses. Les chorégraphies sont assurées par Michael Kidd, retiré de Hollywood depuis une dizaine d'années et employé en parallèle par Gene Kelly sur Hello Dolly ! Wise confie la direction artistique à Boris Leven, l'un des maîtres en son domaine, qui avait déjà oeuvré pour lui sur West Side Story, The Sound of Music, The Sand Pebbles, et qui finira sa prestigieuse carrière chez Martin Scorsese (de New York New York à The Color of Money). Disposant de moyens considérables, il va s'en donner à coeur joie, le scénario fleuve nécessitant 185 décors. Le film est construit dans une constante progression vers le luxe, et la garde-robe de Gertrude s'en fera naturellement le reflet. Donald Brooks crée un nombre record de costumes, à la finition franchement impressionnante. Une séquence fournira d'ailleurs le prétexte à un véritable défilé de haute couture. Collaborateur fidèle de Robert Aldrich, Ernest Laszlo signe une photographie d'une grande et belle richesse, aux teintes majoritairement brunes, sépias même, d'où se détachent quelques délicates touches de couleurs. Le tournage s'étalera entre avril et novembre 1967, démarrant en Angleterre (terre natale d'Andrews, retrouvée avec émotion après plusieurs années d'absence) puis se partageant entre la côte méditerranéenne, New York et Hollywood où les plus grands plateaux de la Fox sont réservés.

Le talent et le bon goût de Wise font que l'imposant budget n'apparaît jamais comme un prétexte pour l'épate du spectateur. Photographie, costumes, décors et maquillage s'harmonisent dans chaque plan, toujours en accord avec l'émotion. Bien que la crédibilité de la reconstitution passe par le souci presque maladif du détail, le film doit faire rêver, et le sujet autorise un certain excès de la représentation. On devine la volonté de proposer une sorte de spectacle total, profitant des possibilités techniques les plus modernes : tournage en 65mm pour une projection en 70mm, procédé Todd-AO avec un son réparti sur 6 canaux. Wise est un solide technicien et a toujours été tenté de film en film par les expériences formelles. Il semble ici maîtriser le moindre élément qui apparaît sur l'écran ou qui est entendu dans la salle, et s'efforce de prolonger au maximum l'illusion du spectacle. L'ouverture musicale est ainsi exécutée devant un rideau baissé qui remplit entièrement le cadre en 2.20. Par la suite, le film s'amuse à basculer entre le format 1.33 sépia des bobines d'actualités et l'écran large couleur du film lui-même, du son crachotant et monophonique des archives au surround des séquences musicales, avec des raccords souvent signifiants entre les deux formats, confrontant ainsi la relative objectivité des actualités et la subjectivité de la protagoniste.

Star ! est donc une offrande au talent et à la gloire de Julie Andrews, et il faut bien avouer qu'elle y est magnifique, rendant avec beaucoup de finesse les différents traits de caractère de son idole (voir sa formidable scène d'ivresse). C'est toujours un plaisir de l'entendre et de la voir danser. Les chansons sont plutôt jolies, parfois très drôles. Du chaplinesque Burlington Bertie from Bow à la troublante fumerie d'opium de Limehouse Blues, de l'émouvante poésie de Parisian Pierrot en passant par la croustillante fantaisie orientale The Physician, les chorégraphies portent bien la patte de Michael Kidd, faites d'acrobaties et de burlesque. Andrews exécute ces savantes figures sans effort apparent bien qu'elle doive assurer des mouvements complexes tout en chantant. Commentant toujours plus ou moins l'action, ces numéros musicaux sont tous exécutés sur scène. Wise tient à montrer la vie en coulisse, les répétitions, les relations entre les artistes et les patrons de salle (André Charlot et sa fameuse revue), les soirées après le spectacle. Il nous fait revivre non sans nostalgie la grande époque du music-hall, guidé par le respect de l'authenticité. Comme il l'avait fait avec Jerome Robbins sur West Side Story, le réalisateur a l'intelligence de laisser son chorégraphe régler les mouvements de caméra. Les deux hommes s'entendent merveilleusement, faisant le choix risqué de filmer systématiquement du même angle, c'est-à-dire du point de vue du public. La cohérence d'une telle décision est incontestable, mais il faut bien reconnaître qu'esthétiquement elle appauvrit un peu le résultat et semble contredire cette intention première de donner au public un spectacle que seul le cinéma peut offrir. Quelques numéros y parviennent cependant, ainsi le magistral plan-séquence qui introduit Limehouse Blues, véritable petit film dans le film. Tradition oblige, le final (Jenny) est pensé comme le clou du spectacle, show extravagant dans le style du cirque Barnum qui, avec ses nains et ses guirlandes lumineuses, n'évite pas toujours le kitsch mais s'avère jubilatoire.

Gertrude Lawrence est montrée comme une femme au caractère assez difficile, une personnalité égocentrique et capricieuse animée par une incroyable volonté de réussir. Elle y parvient en brisant les règles, en tirant les numéros à son profit même lorsqu'elle n'y figure qu'à l'arrière-plan. Dès ses tout débuts comme chorus girl, elle se montre capable de mener son public comme ses employeurs par le bout du nez, quand bien même elle fait enrager ces derniers. Elle sait se mettre en valeur devant la presse et provoquer la chance. Chaque rencontre est pour elle un palier supplémentaire dans son accession à la gloire. Parmi les hommes qui l'entourent, on notera les présences de l'impeccable Michael Craig (qui tournait l'année précédente dans Sandra de Visconti) et Richard Crenna (ex-commandant de La Cannonière du Yang Tsé, futur Colonel Trautman de la trilogie Rambo). C'est cette nature exigeante et parfois coléreuse qui fera de sa vie amoureuse un désastre. Incapable de faire confiance à ses sentiments, elle se marie sur un coup de tête, multiplie les conquêtes et échoue à conserver l'amour de sa fille. Cet aspect du personnage est traité tantôt sous un angle comique (la réunion des prétendants au bal masqué), tantôt tragique (la solitude profonde de Gertie). Sa carrière et son public passent avant le reste et elle leur sacrifie tout. Elle qui s'efforce de tout maîtriser dans son existence préférera fuir dès que la relation risque d'être trop intime et de compromettre sa liberté d'artiste, de même qu'elle fuira ses responsabilités lorsqu'on lui annonce qu'elle risque la banqueroute, persistant à mener un train de vie dispendieux. Dans ses cadrages, Wise s'attarde beaucoup sur les miroirs, insistant sur l'importance qu'a l'image de Gertie pour les autres comme pour elle-même. La star n'est à l'aise que dans un monde d'apparence et d'artifices, derrière le masque de la comédienne. Ainsi au tribunal lorsqu'on juge sa mauvaise gestion financière, elle tente un énième numéro de drame. Son orgueil la poussera à tenter de combler ses dettes par tous les moyens. Un montage saisissant nous la montre alors chanter dans des bars de plus en plus miteux, vendre son image aux publicitaires, animer les marathons de danse jusqu'à l'épuisement.

La seule constance, la seule chose de valeur dans son univers, c'est bien son amitié avec Noel Coward, remarquablement interprété par Daniel Massey (pour l'anecdote, Massey se trouve être le propre filleul du dramaturge), qui la sortira de l'impasse plus d'une fois. La relation entre les deux artistes, faite de compréhension mutuelle résistant aux épreuves de l'existence, entre amour et amitié, est l'aspect le plus réussi du film, le plus touchant. Car en soi, Gertie n'est pas très attachante, victime du souhait de Wise d'en faire un portrait non idéal. Le scénario est une success story finalement peu imaginative, sur le modèle ascension / chute / rédemption. On a parfois l'impression d'une succession d'épisodes liés par trop peu de choses. Les numéros musicaux interviennent peut-être trop souvent, rompant quelque peu la progression dramatique. Parce qu'elle est plus rythmée, et parce que l'humour y est en bonne place, la première heure est sans doute la plus réussie. Le côté un peu minable des revues où débute Lawrence donne en effet lieu à des chorégraphies qui jouent sur la maladresse et l'enchaînement de catastrophes, avec des résultats souvent irrésistibles (Oh It's a Lovely War, In My Garden of Joy). Michael Kidd s'y révèle incontestablement maître dans l'art de chorégraphier le désordre. Une fois parvenue dans les hautes sphères de la société, les caprices de la diva agacent et l'on se désintéresse de ses malheurs. Il faut reconnaître que le désir des auteurs de mélanger comédie et mélodrame n'est pas toujours convaincant et rend le film, mal aidé par une durée peut-être excessive, peu évident à apprécier.

Pleinement confiante en son poulain, la Fox s'attend à un succès digne de The Sound of Music. Une vaste campagne de publicité a été lancée, le tournage à peine commencé, et les places pour les séances de roadshow sont en prévente depuis plus d'un an. Le film sort en octobre 1968. Nommé 7 fois aux Oscars (notamment décors, costumes et photographie), en salles Star ! est un four. Les recettes sur le territoire américain atteindront péniblement les 4 millions de dollars. Malgré quelques exceptions (Funny Girl est le plus gros succès de l'année, Oliver ! triomphe aux Oscars), les spectateurs semblent s'être lassés des comédies musicales qui s'acharnent à cumuler les superlatifs (plus grand, plus beau, plus riche, plus long). Dr. Dolittle (Fox), Camelot (Warner), Paint Your Wagon (Paramount) et Hello Dolly ! (Fox) sont tous de retentissants échecs. Nous sommes à l'époque de Woodstock, du Vietnam, des mouvements pour les droits civiques. La jeunesse prend le pouvoir et rejette violemment ces spectacles familiaux qui semblent promouvoir des valeurs totalement désuètes. Des films d'un nouveau genre se voient désormais plébiscités : The Graduate (Mike Nichols, 1968), Midnight Cowboy (John Schlesinger, Oscar du meilleur film 1969), Easy Rider (Dennis Hopper, 1969). Le cinéma n'a plus vocation d'évasion, il doit au contraire foncer tête baissée dans la réalité crue de la société contemporaine. Le Code de la production qui sévissait depuis les années 30 a cessé d'être appliqué. Des films indépendants, ancrés dans le réel le plus trivial, en totale phase avec les préoccupations de leur époque et surtout bon marché peuvent désormais rapporter gros. Ce tragique concours de circonstances fait que Star ! apparaît comme la parfaite antithèse de cette tendance, presque un dinosaure. Considérant les sommes investies, la Fox commence à paniquer. Richard Zanuck entreprend de retirer toutes les copies du circuit et supervise sa tragique mutilation. Le long métrage passe de 170 à 120 minutes et ressort au printemps 1969 avec une nouvelle campagne, sous un nouveau titre jugé plus vendeur : Those Were the Happy Times. Wise, dont le film précédent avait connu les mêmes avanies (The Sand Pebbles, raccourci de 20 minutes peu de temps après son infructueuse sortie roadshow), n'approuve pas ces douteuses décisions mais se garde de protester. Il se contente de faire retirer son nom au générique. Le résultat est encore plus désastreux et ruine davantage l'image du studio, le public n'étant pas dupe de cette grossière manipulation. Zanuck est démis de ses fonctions, la Fox entre en crise.

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Par Elias Fares - le 19 avril 2007