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Critique de film
Le film
Affiche du film

Si c'était à refaire

L'histoire

Après 14 années de réclusion pour complicité de meurtre, Catherine Berger (Catherine Deneuve) sort de prison. Son compagnon et elle avaient voulu se venger du viol que le directeur d’une banque lui avait imposé au nom du "droit de cuissage" et la correction avait mal tourné. A son arrivée en prison, apprenant que son fiancé s’est suicidé pour ne pas avoir à subir la perpétuité, Catherine s'était fait mettre enceinte, seul espoir pour elle de pouvoir survivre enfermée et de se raccrocher à la vie en sachant qu’elle trouvera un enfant après avoir purgée sa peine. A sa sortie, Catherine se rend à Aix-en-Provence où l’éducation de son fils Simon avait été assurée par l’Assistance Publique, son avocat (Charles Denner) ayant également subvenu aux besoins de l’enfant durant tout ce temps. Ne voulant pas brusquer Simon, Catherine ne va pas tout de suite dévoiler son identité, ni lui divulguer le secret de sa naissance, l’emmenant en vacances comme le faisaient certaines familles à l’époque pour les orphelins. Sauf que Simon va être attiré par cette femme splendide...

Analyse et critique

Une scène d’introduction en caméra subjective pour une plus grande immersion du spectateur dans ce qui va lui être raconté (montrant ici la sortie de prison du personnage principal), une scène de boxe, des flash-back expressément invisibles dans un but déstabilisant, des séquences de prison, de gentils voyous (en l’occurrence, Anouk Aimée) un scopitone (Françoise Hardy), des idées farfelues ou naïves, beaucoup de musique, des références à ses anciens films, une caméra tournoyante, a contrario de longues séquences fixes dialoguées à moitié improvisées, les mêmes phrases qui reviennent d'un film à l'autre, des personnages qui portent le même prénom que leurs interprètes : aucune ambiguïté, aucun de ses admirateurs ne pourra se tromper, nous sommes bel et bien en train de visionner un film de Claude Lelouch, et en l'occurrence ici un opus injustement tombé aux oubliettes. "Ce film aurait pu s'appeler un homme et deux femmes. Un faux mélo mais surtout un vrai duel entre deux séductrices. L'une, Anouk Aimée, que je retrouve dix ans après Un homme et une femme, toujours cette beauté lointaine, cette douceur émanant de chacun de ses gestes et cette voix qui vous caresse. L’autre, Catherine Deneuve, la plus belle et la plus glacée en apparence des comédiennes. Ce match entre ces deux séductrices ne pouvait être qu'arbitré par le séducteur du moment, Francis Huster, qui sera aussi le héros de mon prochain film." Voilà comment Claude Lelouch présente très brièvement Si c'était à refaire au sein de son documentaire de 2011, D’un film à l’autre. Même si tout cela n’est pas forcément faux, notamment la description de ses deux comédiennes, c’est néanmoins donner une idée totalement erronée de ce très beau film, peut-être son plus attachant de sa période 70 avec le fourmillant et intrigant Toute une vie, la filmographie du cinéaste durant cette période étant constituée à quelques exceptions près - dont l’ennuyeux A nous deux qui clôt cette décennie - d’une succession de belles réussites.


Pourquoi, pour se faire une idée du film, ne devrait-on pas se fier au réalisateur ? Tout simplement parce que sa présentation porte grandement à confusion quant aux thématiques principales de son récit ! Car s’il y a duel entre deux séductrices, c’est à propos des comédiennes, aucunement en ce qui concerne les personnages de ce véritable mélodrame dont le ton est effectivement très éloigné de ce que l’on attend dans le genre ; Lelouch invente presque à l’occasion le "mélodrame lumineux", n’occultant cependant aucunement les dures réalités de la vie. Le scénario narre le retour à la vie civile d’une femme, Catherine, ayant purgé une peine de prison de quinze ans, jugée complice d’un meurtre. En fait, avec son compagnon elle avait voulu donner une correction au patron de la femme qui avait abusé d'elle, ayant certainement invoqué en son for intérieur ce que l’on appelait à l’époque le "droit de cuissage". Et l’on peut dire que le film est d’autant plus d’actualité que lors de son jugement, aucune circonstance atténuante n'avaient été relevé pour la victime de ce viol, ce dernier acte ayant été sacrément minoré lors du procès et considéré par la justice comme une "mauvaise excuse". L’homme s'était suicidé dans sa cellule pour ne pas avoir à vivre enfermé à perpétuité, "une idée folle m’a traversé l’esprit : c’est ce qui m’a permis de vivre jusqu’à aujourd’hui." Cette idée folle de Catherine est celle de se faire mettre enceinte ; pour y parvenir, elle suppliera son avocat d’accomplir cet acte "technique" : "Faites-moi un enfant. Essayez de comprendre ; j’ai besoin de trouver quelque chose pour m’aider à supporter tout ça ; je suis sûr que si j’avais un enfant que je retrouverais au bout du tunnel, ce serait plus facile de patienter, de lutter. Je suis sûr que j’y arriverai... Personne ne saurait rien. Comprenez que quand je vais sortir dans vingt ans, si je retrouve un enfant, je n’aurais pas l’impression d’avoir perdu mon temps." L’homme de loi (fabuleux Charles Denner) ne succombera pas et refusera même très net malgré la haute estime en laquelle il tient sa cliente et malgré surtout son amour refoulée pour cette femme splendide ; mais cette dernière parviendra à ses fins avec un infirmier de la prison.


A la fin de sa réclusion, Catherine n’a qu’une seule hâte : découvrir à quoi ressemble son fils, conquérir sa confiance et sa sympathie avant de le reprendre sous sa coupe. Mais ne voulant pas le brusquer, elle décide de ne rien lui dévoiler et de se présenter à lui comme une femme au grand cœur payant des vacances à un orphelin comme cela se faisait assez souvent à l’époque, semble-t-il. "J’étais en train de vivre la minute la plus importante de ma vie. Il était 6h07, ça je m’en souviens très bien. Ça faisait une minute que j’étais avec mon fils et cette minute était déjà en train d’effacer tout le reste."

La belle-mère de Catherine : "Il va te regarder comme une femme, pas comme une mère."
Catherine : "Quand il aimera la femme, je lui ferai aimer la mère".

Le jeune garçon en pleine force de l’âge va évidemment tomber amoureux de cette femme sublimement belle. Après quoi, cette dernière décidera qu’il est temps de passer aux aveux et sera donc obligée de lui livrer le secret de sa naissance ; et tout se passera pour le mieux, sans colère ni larmes : le bonheur peut être total ! Comme nous l'évoquions dans les deux lignes de dialogues ci-dessus, il faut signaler que Catherine, depuis sa sortie de prison, a été hébergée par sa belle-mère (la maman de son compagnon suicidé) qui lui trouvera aussi du travail et lui donnera toute son amitié. Elle est interprétée par la costumière attitrée de Lelouch, Colette Baudot, absolument inoubliable dans ce rôle magnifique d’une femme décrite ainsi par Catherine : "Je souhaite à tout le monde de rencontrer une Lucienne dans sa vie. C’est pas seulement à cause de tout ce qu’elle a fait pour moi mais cette façon qu’elle a de dédramatiser chaque seconde de sa vie, c’est formidable. Pas une fois, pas un soir nous n’avons parlé de son fils. Cette pudeur constante, ça aussi c’est Lucienne."


Une histoire et des situations, on le voit, hautement improbables sur le papier mais des arguments pour chacun des protagonistes qui peuvent néanmoins se comprendre : alors on se dit pourquoi pas, surtout au cinéma ! Lelouch étant le premier à croire fortement en son sujet, il parvient grâce à sa totale sincérité à ne jamais faire basculer son film dans le ridicule ni dans le graveleux (on a quand même droit à un viol, à ce qui n'est pas loin d’un inceste et à une romance entre deux personnes dont l’une est mineure alors que l’autre a la quarantaine). On se surprend même à marcher à fond, voire même à éprouver tout du long une grande émotion même si le ton du film n’est jamais mélodramatique mais au contraire grandement apaisé, le cinéaste ne se refusant jamais non plus pas mal de fantaisie surtout dans sa seconde moitié avec notamment le sympathique professeur d’histoire interprété par Francis Huster. Beaucoup de culot aussi avec l’arrivée, au bout de plus d’une heure de film, du personnage interprété par Anouk Aimée, une ancienne camarade de détention de Catherine qui va donc avoir une relation avec le fils de cette dernière. Cette piste dramatique ne se révèle jamais scabreuse mais d’un naturel confondant, à l’image de la réaction de la "séductrice" lorsqu’elle se retrouve face au courroux de la mère de son amant, un courroux qui ne dure pas longtemps, les deux femmes retombant vite dans les bras l’une de l’autre et riant de la situation, Catherine avouant : "Qu’est-ce qu’on peut être vieux jeu lorsqu’il s’agit de soi !" Pas évident que cela passe aussi bien aujourd’hui : le côté bon enfant et un peu inconséquent du personnage ainsi que du ton employé feront très probablement grincer quelques dents, à l’instar du discours d'Anouk Aimée à sa fille à propos de ces différences d’âge : "Qu’est-ce que vous avez tous avec l’âge ? On ne vit pas avec un âge, on vit avec des gens. Des gens bien et puis des gens mal. Les gens mal on s’en fout et puis les gens bien, il y a des jeunes et des moins jeunes. Quand on est bien, il n’y a plus d’âge." Anouk Aimée s’avère toute aussi radieuse que sa partenaire et les séquences qui les réunissent semblent toutes improvisées, presque comme si ces moments de grâce cinématographiques étaient dus au fait que les deux actrices auraient été filmées à la sauvette sans qu’elles le sachent. Le cinéaste a toujours été très doué pour filmer ce genre de séquences et il le prouve à nouveau ici.


Tout au long de ce récit, le spectateur voyage d'Aix-en-Provence en Corse en passant par de superbes paysages de la baie de Somme ; les incessants allers-retours temporels se révèlent d’une remarquable fluidité, l’aérienne ritournelle de Francis lai est très vite entêtante, Catherine Deneuve a rarement été aussi belle et amoureusement filmée, et Charles Denner aura rarement été aussi émouvant. Et au final, nous avons droit à une charmante et délicate leçon de vie au sein d’un film généreux et humain prônant le bonheur simple notamment à travers la voix off de Catherine qui parcourt le film. L’habileté du montage, le lyrisme et la liberté de la mise en scène, le talent de conteur du cinéaste et l’efficacité de sa direction d’acteurs font que malgré des thématiques assez casse-gueule, de nombreux poncifs et l’invraisemblance de certaines situations feuilletonesques, tout semble couler de source dans un ensemble d’un naturel confondant et d’une fraîcheur apaisante. A signaler aussi que les cinquantenaires pourront se replonger avec délice dans ce milieu des années 70 remarquablement bien captées par Lelouch, ce dernier s’arrêtant avec attention sur les objets, voitures, décorations, architectures de cette décennie avec entre autres une visite par Jacques Villeret des appartements "fonctionnels" des tours Aillaud à Nanterre. Une ode à la vie, à l’optimisme et au bonheur, spontanée, contagieuse et a postériori délicieusement nostalgique.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 2 décembre 2022