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Critique de film
Le film
Affiche du film

Senorita Toréador

(Fiesta)

L'histoire

Dans une petite ville du Mexique, le célèbre matador Antonio Morales (Fortunio Bonanova) est le père de deux jumeaux, un garçon et une fille. Son rêve est que son fils Mario (Ricardo Montalban) prenne sa succession et devienne le meilleur torero du monde ; or ce dernier préfère la musique alors que sa sœur Maria (Esther Williams) aimerait beaucoup entrer dans l’arène. L’entrainement rigoureux que lui donne son père n’empêche pas Mario de montrer peu d’intérêt pour la discipline, au grand soulagement de sa mère (Mary Astor). De son côté Maria s’entraine en cachette avec l’assistant d'Antonio, Chato (Akim Tamiroff) ; dans le même temps, elle aide son frère en l’encourageant à poursuivre la musique, apportant même au célèbre chef d’orchestre Maximino Contreras sa dernière composition. Elle espère que ce dernier la jouera par surprise à Mario lors de leur 21ème anniversaire, qui doit correspondre aussi au jour où le jeune homme devra combattre son premier taureau...

Analyse et critique

Au Mexique, deux jumeaux : l'un poussé dans l'arène par son ex-toréador de père alors qu'il ne souhaite vivre que pour la musique, l'autre, sa sœur, aussi douée que son frère dans l'art de la tauromachie mais qui ne peut, en tant que femme, aller faire tourbillonner la muleta... Deux romances pas toujours très simples (Cyd Charisse et John Carroll interprétant les compagnons de nos deux têtes d’affiches), une histoire d'honneur bafoué et vengé par un curieux travestissement, une vocation contrariée, le danger de la confrontation aux taureaux, la lourdeur des traditions empêchant toute créativité et tous choix personnels... Tout un ensemble de petits drames familiaux et autres mis en scène au cours de cette intrigue pas spécialement légère et sans beaucoup d’éléments humoristiques. Mais, comme dans tout musical MGM qui se respecte, tout se terminera dans la joie et la bonne humeur ! A signaler d'emblée que pour l’époque et dans une production aussi familiale, l’on n’hésite pas à contester l’autorité patriarcale et à mettre en avant l’égalité des sexes puisque c'est la femme qui se dévoilera plus douée pour la corrida que son frère. On aura aussi eu l'occasion d'être témoin de la déception extrême du père en apprenant que son épouse a donné naissance à une fille, mais que ce sera grâce à cette dernière que sa dignité sera sauve. Ce n'est pas grand-chose mais en ces temps d'extrême susceptibilité sur ces questions, ce n'est pas négligeable non plus.


Richard Thorpe est aux manettes. Artisan ou auteur, peu importe, il connaît parfaitement son métier et sa mise en scène est toujours aussi solide, son travail avec le monteur extrêmement efficace, les séquences de tauromachie filmées au Mexique fonctionnant plutôt bien malgré quelques transparences cependant plutôt bien intégrées. D’ailleurs, à chaque fois que ce cinéaste chouchou de Patrick Brion a abordé le domaine de la comédie musicale, la réussite (plus ou moins grande) a été au rendez-vous. Que ce soit lorsqu'il a filmé la vie de Caruso (The Great Caruso) avec Mario Lanza ou celle de Kalmar et Ruby (Three Little Words) avec Fred Astaire et Red Skelton, que ce soit pour mettre en vedette Jane Powell (le délicieux A Date with Judy) ou Esther Williams avec laquelle il tournera d'ailleurs quatre films. Fiesta fait aussi partie de ces très modestes réussites. Basé sur un scénario conventionnel et prévisible mais parfaitement bien mené, grâce à des interprètes attachants parmi lesquels une Mary Astor très émouvante - qui se verra d’ailleurs octroyer plusieurs séquences assez touchantes, comme celle au cours de laquelle elle avoue à son mari avoir été soulagée le jour où elle sut qu’il ne pourrait jamais plus toréer, ou cette autre où elle se met à prier silencieusement avant l'entrée dans l'arène de son fils - ainsi qu'un Akim Tamiroff étonnement sobre, de jolies séquences de corrida (sans aucune mise à mort ni hémoglobine), de sublimes numéros musicaux (il faut voir avec quelle maestria danse le couple Ricardo Montalban / Cyd Charisse, sur La Bamba notamment) ainsi qu'une très bonne interprétation de El Salon Mexico d'Aaron Copland, le film de Richard Thorpe se suit donc certes sans passion mais avec un plaisir non dissimulé.


Alors oui, question crédibilité, difficile d'imaginer que personne ne remarque le travestissement d'Esther Williams en homme sans la fameuse et indispensable suspension d’incrédulité - déjà le fait qu’elle soit la sœur jumelle de Ricardo Montalban n’est pas facile à intégrer - mais tout cela fait aussi partie des conventions hollywoodiennes. Il était tout aussi inconcevable de faire passer Katharine Hepburn pour un homme (Sylvia Scarlett de George Cukor) ou Cary Grant pour une femme (Allez couchez ailleurs - I Was a Male War Bride de Howard Hawks). Rien de grave : une fois accepté ce postulat, on - les amateurs de ce cinéma de l'insouciance et du kitsch assumé - se laisse prendre au jeu et l'on passe un très agréable moment d'autant plus que le Technicolor flamboyant est aussi de la partie. Niveau interprétation, on s’appesantira sur John Carroll, excellent acteur - hors cinéma, ce Clark Gable de série B fut un Don Juan qui défraya la chronique à l'instar d'un Errol Flynn - qui fut surtout connu pour avoir été le Zorro d'un serial parmi les plus célèbres à la fin des années 30 ; son interprétation dans le génial Decision at Sundown de Budd Boetticher fut inoubliable et dans La Belle du Montana (Belle Le Grand) d'Allan Dwan, il nous démontrait aussi déjà son talent de comédien et même de chanteur, ommage qu’il n’ait pas eu ici l’occasion de nous dévoiler sa voix suave.


A signaler qu’il s’agissait du premier film de Ricardo Montalban à Hollywood et que Fiesta était surtout destiné à mettre en avant ce latin lover considéré avec beaucoup de sérieux au Mexique. Bien plus mis en avant d’ailleurs qu’Esther Williams dont on ne peut pas dire qu’il s’agisse de son meilleur rôle - ce serait même au contraire l’une de ses prestations les plus faiblardes - ni qu’elle fasse des étincelles éaquatiquemené parlant. Les producteurs ne l’ayant "déshabillée" qu’à une seule reprise, le spectateur désappointé ne pourra la voir en maillot de bain que le temps de la traversée à la nage d’un petit plan d’eau. Ricardo Montalban est en revanche totalement convaincant, aussi bien en tant que comédien qu’en tant que pianiste - ce n’est certes pas lui qui sur la piste sonore interprète le morceau d'Aaron Copland au piano, mais on voit d’emblée qu’il était capable de le faire, son toucher se calant parfaitement à celui d’André Prévin - mais surtout enfin en tant que danseur. Avec sa partenaire Cyd Charisse, autant dire qu’ils nous enchantent et que la présence de leurs numéros mérite à eux seuls que l’on s’arrête sur ce film objectivement mineur ; notamment leur danse esthétiquement superbe en rouge, noir et blanc. Le couple de danseurs fonctionnera tellement bien qu’il sera à nouveau réuni à trois reprises durant les années suivantes. Parfois un peu idiot - le final par exemple - mais cependant amusant, agréable et non sans charmes - notamment grâce aux équipes techniques de la MGM, leur travail sur les décors et les costumes -, Fiesta un film destiné avant tout aux spectateurs peu regardants et bon public qui ne s'offusqueront pas de tant de naïvetés.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 29 janvier 2019