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Critique de film
Le film

Répulsion

(Repulsion)

L'histoire

Dans les années 1960, Carol travaille en institut de beauté dans un quartier dynamique de Londres. Elle vit avec sa soeur Helen dans un grand appartement. Très rapidement Carol va se révéler très fragile. Elle se retrouve seule après le départ de sa soeur accompagnée de son petit ami pour quelques jours de vacances en Italie. Cette situation apparemment anodine ne l’est pas pour Carol...

Analyse et critique

Répulsion sorti en 1965 est le second long-métrage de Roman Polanski après Le Couteau dans l’eau (1962). Cette première oeuvre avait été remarquée par la critique et par le milieu du cinéma, notamment par Catherine Deneuve qui va répondre favorablement à la sollicitation du réalisateur en vogue pour le rôle de Carol.

Tourné en Angleterre en quelques semaines durant l’été 1964, le film a été vécu comme une expérience frustrante par le metteur en scène polonais. C’était la première fois qu’il tournait en anglais et maîtrisant mal la langue à l’époque, cela rendait la communication avec l’équipe technique parfois compliquée. Il est aidé par son ami producteur polonais Gene Gutowski, qui a été également essentiel pour la venue de Catherine Deneuve sur Répulsion. De plus, il n’est toujours pas satisfait du rendu de certaines scènes et de certains effets spéciaux sur ce film. Cette oeuvre du réalisateur polonais présente pourtant de réelles qualités.

Premier film de la trilogie dite de l’appartement avec Rosemary’s Baby (1968) et Le Locataire (1976), Répulsion devait être au départ un petit film d’horreur. Roman Polanski et Gérard Brach ont dépeint un tableau de la folie ou plutôt d’une jeune femme dont le spectateur assiste très rapidement à son glissement vers la folie. Les trois oeuvres ont en commun de suivre le point de vue d’un personnage et Répulsion suit celui du personnage central, Carol, interprété par Catherine Deneuve.

Le film commence par un très gros plan de l’oeil droit de Carol qui ne se ferme pas durant 1 minute 40 secondes - un des plans les plus compliqués à tourner selon l’aveu de Catherine Deneuve dans les commentaires audio - sur lequel défilent les informations du générique, dont l’auteur est Maurice Binder, créateur du logo de James Bond. Cet oeil ouvert, apeuré, ainsi que la musique (des roulements de tambour) faisant songer à des battements de coeur créent une tension dès l'ouverture du film et donnent déjà des informations sur le personnage principal : le travelling arrière qui suit ce gros plan est comme un arrêt sur image sur Carol qui est ailleurs, a l’air de rêver (le thème musical confirme ce caractère) mais semble perturbée intérieurement. Ce travail et ce jeu sur la relation entre les notions d’intérieur et extérieur se retrouvent à plusieurs échelles du film.

Carol travaille dans un institut de beauté à Londres. Elle se rend au pub et y retrouve un charmant Anglais qui passe plus pour un flirt qu’un petit ami. Elle paraît renfermée, voire timide, mais mène une vie citadine apparemment normale. Le réalisateur va réussir à capter l’ambiance du Swinging London (émulation artistique dont Roman Polanski a fait partie avec ce film et Le Bal des vampires) grâce aux scènes tournées en extérieur dans le quartier de South Kensington (excellente idée de l’inévitable Gene Gutowski pour cette oeuvre) et à la musique jazz proposée par Chico Hamilton en contraste avec une musique plus inquiétante dans les scènes qui se déroulent dans l’appartement.

Le début du film présente l'existence de Carol qui alterne entre sa vie à l’extérieur (déambulations dans les rues, vie sociale urbaine) et sa vie à l’intérieur (son lieu d’habitation). La mise en scène permet de comprendre la psychologie de Carol. Dans un premier temps, le spectateur comprend déjà sa solitude. Un contraste apparaît clairement au début du film lors de sa rencontre avec son petit ami qui la sollicite. La caméra portée suit la jeune femme qui a rendez-vous dans un pub avec Colin, qui ne semble pas l’intéresser. Elle est distante et l’éconduit devant son lieu de travail. La caméra est placée à l’intérieur du salon et un plan moyen montre le jeune homme regardant un couple qui s’embrasse (le petit ami dépose sa compagne au travail). Cette scène semble être un désir incarné du jeune homme. Le personnage joué par Catherine Deneuve ne s’y trouve pas et cela indique finalement son état d’esprit. Elle est peu encline à mettre en place une relation d’ordre amoureuse avec un homme.

Cette attitude détachée et quelque peu étrange va s’amplifier au fur et à mesure de l’avancée du film. Carol échange peu avec sa soeur et apprécie peu Michael, son amant. Elle s’ennuie chez elle. Les plans qui la montrent regardant le couvent se trouvant à côté de son appartement renvoient à la solitude et à l’isolement, un détachement très important qui va mener à une rupture avec le reste du monde. Ce motif reviendra sans cesse tout au long de l’oeuvre.

Le point de vue de Carol est l’élément central du film. Lors de la première sortie de sa soeur et de son petit ami, une immense solitude l’envahit. Un énorme travail sur le son va permettre au spectateur de se mettre dans son environnement : les voix amplifiées entendues dans le couloir de son immeuble, le tic-tac incessant des horloges (un autre motif récurrent du film pour évoquer cette solitude), le bruit de la rue. Elle veut écouter un vinyle et se résorbe lorsque le réalisateur montre lenvironnement de la pièce où elle se trouve. Un pano-travelling dans le petit salon nous présente les objets de son quotidien et la caméra s’attarde déjà sur une photo de famille qui est peut-être un élément clé pour comprendre le personnage central. Le fondu au noir nous amène au réveil de la jeune femme durant la nuit dans sa chambre, le tic-tac de l’horloge est accompagné cette fois par des soupirs et des gémissements de sa soeur qui fait l’amour avec Michael. Cette scène plutôt courte semble interminable par ces sons redondants et par un travelling arrière qui isole encore plus Carol dans sa chambre.


Cette alternance entre les scènes extérieures et intérieures rend encore plus évident le glissement de ce personnage sombrant dans la folie. La fissure découverte dans la rue par Carol va la renvoyer à ses propres blessures personnelles qu’elle va imaginer sur les murs de son propre appartement par la suite ; et à partir de ce moment, elle va rejeter définitivement Colin. Cette découverte s’accompagne de la présence d’un groupe de joueurs de cuillères qui réapparaîtra une fois dans le film : ce motif qui représente la vie et l’extérieur contraste avec les sons répétitifs entendus par Carol dans son appartement.



Le spectateur comprend que son entourage ne voit pas que cette jeune femme est malade psychologiquement et qu’elle a besoin d’aide. Ce basculement s’opère lorsque Carol s’isole pendant trois jours suite à un incident survenu à l’institut de beauté. Le design sonore pour évoquer son isolement sera encore mis en avant, tout comme le travail de Gil Taylor, chef opérateur du film qui va utiliser le noir et blanc à merveille. Le contraste et les nuances de gris rendent la chambre de Carol menaçante. Elle va être victime d’une hallucination dans sa chambre où un homme veut abuser d’elle - une violence subie dans l’enfance qui refait surface ? Cette menace semble provenir du couloir situé à côté de sa chambre incarnée par une lumière blanche qui détonne avec les nuances de gris de la pièce où elle se trouve. Les pas, la musique jazzy saccadée et le tic-tac incessant explicitent son esprit obsédé par ses traumatismes. La sonnerie du téléphone contraste avec la scène précédente et renvoie à la réalité : Colin essaie désespérément d’entrer en contact avec Carol mais cela s’avère trop tard. Le bruit des mouches qu’on imagine tourner autour du lapin que la jeune femme a sorti dans une scène précédente, tout comme les pommes de terre qui commencent à germer et le désordre de plus en plus présent dans l’appartement, rendent ce glissement vers la folie de plus en plus concret. Tout ceci est confirmé par la découverte par une collègue de l’institut de beauté du lapin pourrissant dans son sac à main. Carol est présentée comme une jeune femme ordinaire mais cela ne se révèle pas être vrai.



Le dernier tiers du film montre au spectateur le basculement total du personnage principal dans la folie et ceci démarre avec le travelling qui l’accompagne lorsqu’elle passe à côté d’un accident dans une rue de Londres. Son attitude est sans équivoque : regard perdu, le fait de se frotter le nez de manière assez forte et mécanique, musique jazzy saccadée. Cette partie est sous le signe de l’horreur et du fantastique. Elle va assassiner deux hommes qui sont plus ou moins liés à elle : son petit ami qui cherche à la revoir absolument et qui n’a pas compris la situation psychologique de Carol, puis le propriétaire qui veut récupérer son loyer et profiter de cette femme-enfant fragile auquel elle répondra par un accès de violence en lui assénant des dizaines de coups de rasoir. Cette horreur contraste avec la beauté du noir et blanc utilisé. La vision déformée de Carol va permettre au spectateur de mettre en évidence comment cet appartement est devenu un véritable enfer. Les sons présents depuis le départ (tic-tac, bruit des mouches, les gouttes du robinet) sont amplifiés mais surtout les visions de Carol deviennent dignes de tableaux surréalistes : un mur qui devient mou où elle peut laisser ses empreintes; un autre qui devient menaçant car des bras en sortent pour l’étrangler; les pièces de l'appartement deviennent plus larges, la désorientant pour la rendre perdue et seule face à ses angoisses. Le plafond qui se rapproche de son lit et semble l’écraser est le climax de cette séquence.



Après avoir vécu le délire de la jeune femme, les spectateurs voient sa soeur et son amant rentrer. Retour à la réalité. Nous suivons leur point de vue, ils sont choqués et effarés par l’état de l'habitation en découvrant le désordre, un premier cadavre (le propriétaire) puis un second cadavre (Colin) dans la salle de bains. La situation est absurde : les voisins viennent voir ce qui se passe dans cet appartement après les cris et les appels à l’aide et découvrent tous Carol sous un lit. Ils donnent l’impression surtout d’être curieux de savoir ce qui s'est passé plutôt que de s’enquérir de l’état de santé de la jeune femme qui ne semble pas prendre conscience de la situation. L’amant de sa soeur la porte alors dans ses bras et elle se sent enfin protégée. A laide dun pano-travelling, Roman Polanski termine son film en accompagnant les personnages qui vont sortir du logement puis en dirigeant la caméra dans le salon qui suit les objets utilisés par la jeune femme tout au long du film (morceaux de gâteau, carte postale envoyée par sa soeur lors de son séjour en Italie...). Un fondu au noir digne de La Corde (1948) d’Alfred Hitchcock fait passer la caméra des objets à la photo de famille présentée plus tôt dans le film. Un zoom dirige le regard du spectateur vers l’oeil droit de Carol : la boucle est bouclée. Une explication est donnée au premier plan du film - un oeil qui ne se ferme pas et qui semble apeuré - :  les yeux sont le reflet de l’esprit de la petite fille qui a très probablement été victime d’inceste et reste toujours marquée par cette horreur, d’où le rejet de tout rapprochement avec un homme.


Triste fin où ces dernières images sont accompagnées par le thème musical doux et aérien qui caractérise le personnage de Carol. Les spectateurs ont assisté au long basculement vers la folie d’une femme brisée par la vie, dont le processus est sublimé par la mise en scène de Roman Polanski et les magnifiques images en noir et blanc proposées dans cette nouvelle édition de Carlotta qui fera certainement date.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Kévin Béclié - le 10 septembre 2021