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Critique de film
Le film
Affiche du film

Poltergeist

L'histoire

Les Freeling sont une famille sans histoire de la banlieue californienne, jusqu’à ce que leur pavillon devienne le siège de phénomènes paranormaux de plus en plus fréquents. Lors d’une nuit tragique, leur petite fille est aspirée dans l’au-delà. Désespérés, les Freeling font appel à une équipe de parapsychologues. Mais bien vite, ces derniers vont être dépassés par la violence des « esprits frappeurs ».

Analyse et critique



A l'image de l'humanité, l'œuvre de Steven Spielberg présente deux phases successives : l'enchantement et le désenchantement. De Duel à La Couleur pourpre, et malgré la violence de certains films, Spielberg voit sincèrement de la magie dans le monde. A partir d'Empire du Soleil, cette magie s'éteint peu à peu, le cinéaste entre dans l'Histoire et ses tragédies, ce qui explique que les films fantastiques et/ou merveilleux entrepris après Empire du Soleil (Indy 3, Always, Hook, Jurassic Park et sa suite, ou bien plus tard Indy 4 et Le BGG) sont moins "ressentis" qu'autrefois : Spielberg n'y croit plus vraiment, il est tombé amoureux de la réalité. Quant aux films de S.F. entrepris dans les années 2000 (A.I., Minority Report, La Guerre des mondes), s'ils sont formidables et pleinement réussis, c'est parce qu'ils sont justement désenchantés et qu'ils constituent des métaphores noires de notre présent.

La beauté de Poltergeist vient de ce qu'il est réalisé, tout comme E.T., au sommet de la période innocente, au sommet de la vision enchantée du monde, c'est-à-dire en 1981-82, au sortir des Aventuriers de l'Arche perdue. A l'époque, c'est tout simple : Spielberg croit dur comme fer aux extraterrestres et, pour le cas de Poltergeist, croit dur comme fer à l'au-delà.



Les articles, études ou biographies ne manquent pas pour signaler l'origine de Poltergeist : outre Little Girl Lost, un épisode de La Quatrième dimension, il y a surtout Night Skies, un projet spielbergien de S.F. horrifique à la fin des années soixante-dix, qui montre une famille américaine banale se faire agresser par des extraterrestres au sein du foyer. Projet abandonné au bout de quelques mois, au grand dam du maquilleur Rick Baker qui s'est totalement investi dans la conception des créatures. Pour Poltergeist, Spielberg remplace "simplement" les aliens par des fantômes, pour ne pas faire doublon avec E.T., film lui-même issu partiellement de la matrice Night Skies.

De même, les articles, études ou biographies ne manquent pas pour dénoncer l'imposture que représente le carton du générique : "Directed by Tobe Hooper". Sachant que, syndicalement, il ne peut réaliser deux films en même temps (et "hélas", le feu vert pour Poltergeist, chez MGM, est donné en même temps que celui d'E.T., chez Universal), Spielberg délègue la réalisation de Poltergeist à Tobe Hooper, cinéaste qu'il admire pour Massacre à la tronçonneuse et dont le nom, en termes de marketing, constitue un atout indéniable pour l'aura d'épouvante du film. Mais pour sa première production, qui plus est la production de son "bébé", dont il a conçu amoureusement le scénario et le storyboard, Spielberg ne peut s'empêcher de jouer les David O'Selznick ; ainsi, officiellement, et pour ne pas contrarier la puissante Guilde des cinéastes hollywoodiens, Tobe Hooper a réalisé Poltergeist : Spielberg, pour sa part, s'est juste chargé du scénario, du storyboard, du casting, des prises de vues, de la direction d'acteurs, de la supervision des effets spéciaux, du montage auprès de son fidèle Michael Kahn et de la musique auprès de son idole Jerry Goldsmith (John Williams se chargeant d'E.T.). Du reste, si vous voulez rire un bon coup, je vous conseille de regarder les photos du tournage sur le Net...



Poltergeist vs. Les Aventuriers de l'Arche perdue

De fait, Poltergeist est du pur Spielberg, y compris dans ses aspects horrifiques : la scène où JoBeth Williams hurle au milieu des squelettes reprend directement celle de Karen Allen dans Les Aventuriers de l’Arche perdue ; le visage déchiqueté du scientifique l'est par les propres doigts du cinéaste, à la manière de Dario Argento prêtant ses mains aux assassins gantés qu’il filme avec fétichisme ! Et le style enthousiasmant de Spielberg se reconnaît aussi bien aux malicieuses entrées de champ (les chaises en pyramide sur la table, les croix du cimetière au sommet de la colline) qu'aux éclairages bleutés et aux fortes lumières frontales, ces effets de mise en scène étant, au même titre que les fantômes, les agents de la magie dans le quotidien. Les agents de l’au-delà.

Ce qu'il y a de beau dans Poltergeist, c'est que Spielberg est autant amoureux de ses créatures surnaturelles (le vieil arbre, le fantôme lumineux dans l'escalier, la "Bête") que de son cadre banlieusard on ne peut plus banal : maison encombrée, père prosaïque et bedonnant (Craig T. Nelson), mère au foyer dévouée (JoBeth Williams, absolument superbe), enfants turbulents (Heather O’Rourke, Oliver Robins, Dominique Dunne)...



Tout le projet de Spielberg (à l'époque) est là : voir la magie dans le quotidien, espérer en un au-delà salvateur. C'est pourquoi Poltergeist, s'il peut faire peur ou du moins inquiéter (ah, ce clown qui disparaît de sa chaise !), dégage surtout un sentiment enthousiasmant d'aventure épique, le sentiment de défricher des territoires jamais vus : ce sont, notamment, toutes ces scènes d'exploration avec une corde tendue entre deux mondes, où la mère doit aller chercher son enfant dans la quatrième dimension, au son d'une musique grandiose, d’une  "beauté de cathédrale" (dixit Spielberg à propos de la partition de Goldsmith ; cf. présentation de l’album). Comme le disait très joliment Dario Argento (encore lui !), à propos du diptyque Poltergeist / E.T. : « Le cinéma réaliste peut se permettre d’être un peu étrange, symbolique, le Fantastique ne le peut pas. Il doit être précis, parce que ce qu’il raconte est tellement absurde qu’il doit suivre la réalité absolue. Comme dans E.T. qui est si réaliste : il y a l’extraterrestre avec le navire spatial, et les gamins qui traversent Los Angeles en volant sur leur bicyclette, une chose absurde, mais ils le font comme si c’était vraiment réel. La mère divorcée, le sparadrap sur le doigt, et ensuite arrive le délire (…) Poltergeist a la manie de la réalité avec sa petite cuisine, ses petites chaises, le petit-déjeuner le matin, et après la porte s’ouvre, merde ! arrive une gueule monstrueuse... » (1)


Cette conception de la naissance et de la mort comme passage d'une dimension à une autre aurait plu à Victor Hugo, en ce qu'elle véhicule un espoir magnifique. Au moment de Shining, Stanley Kubrick déclarait : « L’attrait essentiel qu’exercent les histoires de revenants vient de ce qu’elles impliquent une promesse d’immortalité : au niveau inconscient, elles plaisent parce que, si l’on peut avoir peur des fantômes, c’est qu’on accepte, ne fût-ce qu’un instant, l’idée qu’il existe des êtres surnaturels, et cela suppose très évidemment qu’au-delà de la tombe il y a autre chose que l’oubli. » (2) Mais si Kubrick ne semble pas vraiment croire à cette idée, Spielberg, au contraire, y met toute sa foi, ressentant au plus profond de son être l’offense qui consiste à déplacer les pierres tombales d’un cimetière sans déplacer les corps - une idée mal exploitée, et pour cause, par Kubrick.

Par ce respect des disparus, par cette foi sincère en l’au-delà, et par les épreuves terribles qu’il nous fait traverser, le jeune Spielberg de Poltergeist atteint puissamment son but : bouleverser le public matérialiste (représenté ici par la famille Freeling) et l’amener de force à avoir une vision plus large de l’existence.


(1) Cf. Mad Movies n° 25, janvier 1983, p. 22)
(2) Cf. Michel Ciment, Kubrick, Calmann-Lévy, édition 2004, p. 181)

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La fiche IMDb du film

Par Claude Monnier - le 7 septembre 2021