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Critique de film
Le film
Affiche du film

Picnic

L'histoire

Hal Carter, un garçon séduisant qui vit au jour le jour, arrive dans une petite ville du Kansas. Alan, un ancien compagnon de collège qui est fiancé à Madge, la plus jolie fille du pays, se propose de lui trouver du travail. Mais au cours d'un pique-nique qui réunit tous les habitants de la ville, Hal et Madge sont irrésistiblement attirés l'un par l'autre.

Analyse et critique


Genre roi de cinéma américain des années 50, le mélodrame fut un vrai reflet des mutations sociologiques de l’époque. Sous l’aspect propret se dissimulaient toujours des thématiques fortes et audacieuses, annonçant la décennie suivante plus permissive. Si Douglas Sirk fut logiquement célébré comme son maître incontesté, d’autres œuvres réussirent à tracer leur voie à l’époque, tel ce beau Picnic, véritable film culte aux Etats-Unis (et inversement fort méprisé par la critique française) qui contribua à lancer la carrière de Kim Novak. Picnic s’inscrit dans la tradition des grandes adaptations de pièces issues de la plume de dramaturges prestigieux, très en vogue dans le cinéma américain des fifties. Souvent imprégnés de psychanalyse et dissimulant des thèmes tabous sous-jacents, les films de cette veine connurent un vrai essor à l’époque, notamment grâce aux textes de Tennessee Williams, brillamment adaptés par Joseph L. Mankiewicz avec Soudain l’été dernier, ou encore par Richard Brooks pour La Chatte sur un toit brûlant.


Picnic est donc à l’origine une pièce de William Inge qui rencontra un grand succès à Broadway. Lorsque l’adaptation est envisagée, on fait appel à Joshua Logan (dont c’est seulement le troisième film), son passé de metteur en scène à Broadway en faisant la personne toute désignée pour donner des vertus plus cinématographiques au texte. Logan est généralement associé à un cinéma boursouflé et luxueux, typé "qualité américaine", qui lui vaudra les foudres des critiques français, la faute à quelques comédies musicales très poussives comme La Kermesse de l’Ouest (1969) ou Camelot (1967). Pourtant, s’il ne s’élève pas au firmament des plus grands réalisateurs hollywoodiens de l’âge d’or, Joshua Logan est loin d’être le tâcheron qu’a voulu en faire la postérité. Dans sa filmographie, on trouve au moins deux autres belles réussites comme Bus Stop (1956) qui offre l'un de ses plus beaux rôles à Marylin Monroe, et le drame de guerre Sayonara (1957) avec Marlon Brando. C’est pourtant avec Picnic qu’il donnera toute la plénitude de son talent, en ornant de noirceur et de romanesque l’imagerie d’une Amérique rurale idéalisée.


Le film de Joshua Logan se distingue nettement des mélodrames que pouvait réaliser un Douglas Sirk au même moment. Aux rebondissements et raccourcis improbables des intrigues de ce dernier - Le Secret magnifique (1954) ou Ecrit sur du vent (1956) notamment, même si Sirk entame une mue vers des récits plus sobres avec Tout ce que le ciel permet (1955) et Demain est un autre jour (1956) après s'y être essayé dans All I desire (1953) -, Picnic affiche un certain réalisme et une vraie cruauté dans son cadre et dans les personnages dépeints. Parallèlement, la construction du récit vire progressivement de la noirceur d’une atmosphère viciée et malsaine à une tonalité de conte de fées. A travers le couple incarné par Kim Novak et William Holden, Picnic montre le brutal retour sur terre de deux icônes déchues. Anciens dieux du lycée, le passage au monde adulte les aura enfermés dans l’image qu’ils renvoyaient lors de ces années dorées. Champion de football fêtard au succès certain auprès de la gent féminine, Hal Carter (William Holden) aura laissé passer sa chance pour n’être au final qu’un vagabond sans but. Déterminé à s’en sortir, il décide de rendre visite à un ancien camarade d’université richissime dans le but d’obtenir une situation. C’est là qu’il tombera sous le charme de la fiancée de ce dernier, Madge (Kim Novak).


Celle-ci, ancienne reine de beauté, ne se voit réduite qu’à cette seule surface par son entourage. Chacun d’eux dissimulent de douloureuses fêlures sous leur physique avantageux. William Holden, un peu trop vieux pour le rôle, en fait finalement un avantage pour exprimer l’usure morale de cet Adonis déclinant, dont la beauté animale se révèle lors d’une scène (largement exploitée lors de la promotion du film) où il apparaît torse nu. Hal est ainsi rongé par cet attrait qu’il exerce encore mais qui ne contrebalance plus une situation sociale insignifiante. Quelques années plus tard, La Fièvre dans le sang (1961) d'Elia Kazan (1961) ou Ils n'ont que vingt ans (1959) de Delmer Daves égratigneront sévèrement l’imagerie de la jeunesse pure et innocente des années 50, en montrant pour la première fois les fêlures de ces adolescents. Sorti quelques années plus tôt - et simultanément à La Fureur de vivre -, Picnic était encore plus audacieux en se penchant sur la question de « l’après », et surtout en choisissant de montrer de purs archétypes de cette Amérique juvénile et insouciante sous un jour négatif quelques années plus tard. Comme précédemment évoqué, Picnic adopte une tonalité entre réalisme et conte de fées qui s’articule autour de l’unité de temps et de lieu (une journée de pique-nique au sein d’une petite ville américaine) provoquant une vraie exacerbation des sentiments au fil de l’avancée du jour. On découvre ainsi progressivement le dénuement de Holden condamné à la quasi-mendicité lorsqu’il arrive dans la ville, et celui moral de Kim Novak qui subit la pression d’une mère abusive. Celle-ci voit d’un mauvais œil le regard concupiscent du vagabond Hal sur sa fille, pour qui elle entretient de plus hauts projets.


La morale ne tient d’ailleurs qu’à un fil lors d’une scène où elle lui suggère de franchir le pas avec son petit ami nanti afin de s’attirer définitivement ses faveurs. La première partie étale donc un idéal de ce que l’Amérique a de meilleur à offrir : l’entraide envers son prochain à travers l’accueil chaleureux fait à William Holden, le pique-nique ensoleillé, les habitants truculents. La nuit venant, c'est un autre visage, celui de la frustration, de la rancœur et de la haine, qui se dévoile. Le personnage de vieille fille incarné par Rosalind Russel est aussi pathétique que détestable tandis que le jeune héritier (Cliff Robertson tout jeune dans un de ses premiers rôles) va montrer une image bien moins affable lorsqu’il verra Madge lui échapper au profit de William Holden. Car sous ce cadre délétère, c’est également l’amour qui se révèle. Attirés l’un par l’autre mais empruntés, c’est lors d’une scène de danse absolument prodigieuse que Holden et Novak révèlent leurs sentiments à travers leur alchimie sur la piste. Un autre moment d’une grande intensité interviendra un peu plus tard après la fuite d’un Holden humilié, lorsque Kim Novak le poursuivra et l’incitera à se dévoiler comme jamais. Cette naïveté et cette magie du lien se nouant entre eux s'expriment également par l’esthétique du film. La photo de James Wong Howe travaille l'opposition entre le rêve (la romance) et le cauchemar (la réalité) à travers le crescendo dramatique appuyé par le passage de la journée à la nuit. Ainsi, le passage où Kim Novak est élue reine de la saison offre une image majestueuse avec son arrivée en barque, illuminée dans la pénombre par les éclairages de la fête.


Même si la dernière partie se déroulant le lendemain brise un peu la progression toujours plus intense du film, elle est totalement en adéquation avec la tonalité de l’ensemble. Après toute la noirceur qui a précédé, un ailleurs possible, ténu et fragile s’offre à notre couple en dépit des obstacles. Ils ne sont d’ailleurs pas réunis à l’écran pour ce nouveau départ, l’ultime image étant le train emmenant Madge pour rejoindre Hal. Fiasco comme épanouissement, tous les avenirs sont possibles pour des personnages présentés comme ouvertement médiocres mais touchants, et dont l’union pourrait destiner à une existence meilleure. L’humanité sordide et à la fois passionnée dévoilée au cours de l’intrigue, laisse les deux voies à l'interprétation de chacun.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 23 août 2017