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Critique de film
Le film
Affiche du film

New York 1997

(Escape from New York)

L'histoire

En 1988, suite à une explosion de la criminalité aux États-Unis, l'île de Manhattan est devenue une ville-prison. En 1997, alors que le président des États-Unis se rend à une importante conférence, son avion Air Force One est détourné par des terroristes. Le président parvient à s'enfuir en s'éjectant à bord d'une capsule de survie qui s'écrase au cœur de Manhattan. Il est aussitôt retenu en otage par les prisonniers de l'île. Le responsable de la sécurité, Bob Hauk, fait alors appel à Snake Plissken, un redoutable hors-la-loi, et lui donne 24 heures pour sauver le président en échange de sa grâce.

Analyse et critique

Grand classique de John Carpenter, Escape from New York s’affirme à cette étape de sa carrière comme son film le plus abouti et surtout le plus représentatif de sa personnalité. Si l'on excepte le potache Dark Star inaugural et plus création collective que film personnel, les premiers films de Carpenter surent chacun poser les jalons essentiels de sa future filmographie. Assaut, remake officieux et moderne de Rio Bravo, est la profession de foi de ce grand admirateur de Howard Hawks dont il reprend tous les motifs (personnages taciturnes qui se définissent et tissent leurs liens dans l’action, maîtrise bluffante du Cinémascope). Halloween, chef-d’œuvre de l’épouvante le pose en digne disciple de Hitchcock et dévoile son attirance pour le mal, le goût du mystère et à nouveau cet art de l’épure narrative et visuelle. Avec Fog, Carpenter se fond définitivement dans le créneau du cinéma de genre (et fantastique plus précisément) et montre sa capacité à en tirer des scripts toujours inventifs et surprenants. Il ne manquait à cet ensemble que le Carpenter iconoclaste et politisé qui explosera notamment dans l’excellent Invasion Los Angeles, et New York 1997 vient corriger cela. Le film est issu d’un des premiers scénarios écrit par Carpenter qui le relance alors qu'il piétine sur son futur projet d’alors, The Philadelphia Experiment. Lorsqu’il le propose pour la première fois aux producteurs en 1974, les portes se referment devant ce récit un peu trop caustique vis-à-vis du président des Etats-Unis alors qu’on nage en plein scandale du Watergate. Quelques années plus tard, fort du succès de Halloween et dans un contexte politique plus propice, le film pourra enfin se faire. L’inspiration de Carpenter est multiple sur New York 1997.

La montée d’insécurité croissante dans la ville de New York et les films angoissants et violents inspirés de ce cadre (Un justicier dans la ville notamment) donnent un arrière-plan fort au réalisateur qui va l’exacerber. Carpenter décide également de reprendre à son échelle le formidable point de départ du roman SF de Harry Harrison, Le Monde de la Mort, où l’homme le plus dangereux de l’univers se voit envoyé en mission sur la planète la plus périlleuse de la galaxie. A l’écran, cela donnera donc cette cité de New York désormais condamnée par des murailles autour de l’île de Manhattan, et réduite à une prison à ciel ouvert dans une zone de non-droit où les criminels sont livrés à eux-mêmes sans espoir de sortie. Lorsque des terroristes font s’écraser Air Force One dans ces lieux sinistres (avec une séquence tristement prémonitoire où l'avion percute un gratte-ciel), c’est un malfrat plus dangereux encore qui est envoyé pour le sauver, amnistie à la clé. Presque tous les films de Carpenter sont des westerns masqués, et Escape From New York s’avère le plus manifeste entre tous. Le pitch délesté de ses aspects futuristes est typique du genre, et avec Snake Plissken on a un archétype du héros solitaire taciturne et digne descendant des personnages campés par Clint Eastwood ou John Wayne.

Carpenter en amplifie la dimension asociale avec cette formidable création qu’est Snake Plissken. Le personnage est un double filmé et radical du réalisateur qui n’a de héros que le nom. Sociopathe uniquement préoccupé par lui-même, Snake n’agit que dans son propre intérêt (cf. ce moment où il passe son chemin, imperturbable, alors qu’une femme est abusée sous ses yeux) et s’avère rétif à toute autorité sauf s’il est contraint et forcé. A nouveau tel un héros de western, sa réputation quasi légendaire le précède partout, ici manifestée par un amusant leitmotiv où chaque personnage qui le reconnaît lui affirme qu’il le croyait mort. C’est aussi une formidable rencontre artistique et la naissance d’une belle amitié entre Carpenter et Kurt Russell (les deux hommes avaient déjà collaboré sur un téléfilm à succès, Le Roman d’Elvis, dans lequel Russell interprétait le King), ce dernier se détachant des rôles proprets chez Disney dans lesquels il avait débuté. Le bandeau sur un œil borgne tandis que l'œil valide vous gratifie du regard le plus dédaigneux, une barbe de trois jours et l’allure menaçante, il EST Snake Plissken. Hormis la présence du World Trade Center, qui date forcément le film, l’illusion reste intacte près de 30 ans plus tard malgré un budget limité. Les grands films de SF de l’époque (Alien, Blade Runner...) sont ceux qui auront su inscrire leur futur dans un prolongement du monde contemporain plutôt que d’en mettre plein la vue avec une esthétique trop dépaysante. New York 1997 est dans cette lignée avec son univers dont l’architecture laisse deviner la nature totalitaire, la sobriété de sa technologie dans l’ensemble purement fonctionnelle et sans artifices. Les trucages « à l’ancienne » restent parfaits avec un usage brillant de maquettes, de matte paintings et d’effets visuels qui offrent des vues impressionnantes de ce New York carcéral (l’arrivée en planeur de Snake). La science du montage et celle du cadrage entretiennent cette crédibilité qu’on doit notamment à un certain James Cameron, responsable d’une grande partie des effets visuels. Le paysage apocalyptique et menaçant de New York sera filmé à Saint-Louis, dont les extérieurs se prêtaient bien à cette désolation puisque la ville en crise avait subi un grand incendie qui ravagea une partie des quartiers en 1977. Le film impose ainsi une esthétique maintes fois copiée (les allures de punks peroxydés des malfrats) mais jamais égalée.

La science de l’épure de Carpenter atteint ici des sommets avec cette introduction glaciale (sur une voix off de Jamie Lee Curtis, l'héroïne de Halloween) qui pose avec concision le contexte. Le scénario, limpide, nous emmène d’un point à un autre selon les informations et les rencontres (tout en s’autorisant des pauses surprenantes comme lorsque Snake pourtant pressé par le temps s’assoit un moment, dépité), le tout sans fioritures ou apartés quelconques : une vraie leçon de narration classique dont John Carpenter est le chantre. Le rythme se fait haletant de bout en bout dans un récit riche en péripéties (la traversée finale du pont de Brooklyn inoubliable) et en personnages haut en couleurs : Ernest Borgnine en taxi candide, Lee Van Cleef en Hauk manipulateur, un Harry Dean Stanton fourbe et calculateur dans le rôle de Brain (assisté par la plantureuse Adrienne Barbeau, épouse de Carpenter à l’époque) et un terrifiant Isaac Hayes en Duc de New York. Carpenter associe avec brio cette influence du western avec les atmosphères surnaturelles de Halloween et Fog, notamment lors des premières scènes nocturnes dans la prison avec son obscurité menaçante ; ses silhouettes quasi spectrales (Romero et ses zombies ne sont pas loin lorsque surgissent de terrifiants êtres des égouts) rendent les lieux non seulement dangereux mais également inquiétants et hantés lors de leur découverte à travers le regard de Snake.

La conclusion fait du cynique Snake l’être le plus droit et moral du film, celui qui va jouer un drôle de tour à ce président qui ne vaut finalement guère mieux que les criminels qui l’ont séquestré (Donald Pleasance parfait de couardise). John Carpenter exprime ainsi son iconoclasme et son individualisme de manière sobre et cinglante ; et c’est sur les nappes synthétiques de son score hypnotique (qui fera école dans la musique électronique) que l’on quitte Snake, poor lonesome cowboy rebelle des temps futurs qui s’éloigne lentement. Un grand film dont Carpenter tirera une suite fort dispensable quinze ans plus tard...

DANS LES SALLES

new york 1997
un film de john carpenter

DISTRIBUTEUR : SPLENDOR FILMS
DATE DE SORTIE : 19 DECEMBRE 2018

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 18 décembre 2018