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Critique de film
Le film
Affiche du film

My Ain Folk

L'histoire

La grand-mère maternelle de Tommy et Jamie meurt. Tommy est envoyé à l'orphelinat tandis que Jamie est recueilli par la mère de son père, un homme qui ne l'a même pas reconnu et qui continue à l'ignorer. Cette vieille femme acariâtre le harcèle et n'a de cesse de le faire souffrir tandis que son oncle, qui cohabite avec eux, l'ignore. Jamie va cependant parvenir à enfin nouer des relations normales avec un adulte lorsque son grand-père paternel sort de l'hôpital pour rejoindre la maison...

Analyse et critique

Le premier plan dénote après le noir et blanc tranché de My Childhood et ses paysages miniers, le second volet de la trilogie s'ouvrant en couleur sur un beau paysage de vallée. Le répit est de courte durée. On reconnaît vite la fidèle Lassie et le visage de Tommy qui apparaît en gros plan, les larmes aux yeux et en noir et blanc, nous ramène illico à la dure réalité de Newcraighall. Il ne s'agit que d'une séance de cinéma et l'on est bien de retour dans la ville minière dévastée. On revoit la salle de cinéma avec sur l'écran des images toujours en couleur, de nouveau Tommy, puis une vue de la mine qui remplace la projection en couleur. Un effet de cadre dans le cadre maintient cependant l'illusion d'une projection cinématographique : le réel est pour un temps mis à distance par la puissance de la fiction, par le 7ème art. Mais le cadre dans le cadre disparaît et l'on retrouve le plan quasi-documentaire des hommes descendant à la mine déjà aperçu au début de My Childhood. Puis revient l'effet de cadre dans le cadre et la vue de la mine, mais cette dernière se met d'un coup en mouvement et l'on comprend qu'il s'agit d'une vue intérieure de l'ascenseur qui entame sa descente dans les tréfonds de la mine. Cette ouverture magistrale, aussi surprenante qu'inventive, tranche avec le sentiment de naturalisme sur lequel My Childhood nous avait laissé, Bill Douglas brouille en quelques plans les repères entre l'imaginaire, les souvenirs, entre le documentaire et la fiction, entre la matière brute et sa recréation par le cinéma.


Nous sommes donc de retour avec Douglas dans la riante bourgade de Newcraighall. Tout comme Jamie qui à la fin de My Childhood était monté dans un train et disparaissait à l'horizon mais que l'on retrouve ici chez sa grand-mère, comme si rien ne s'était passé. Jamie a-t-il été rattrapé et ramené chez sa tutrice ? Était-ce juste un rêve d'ailleurs ? Douglas ne tranche pas. Ce qui importe, c'est ce sentiment d'aspiration. Pour l'heure - les choses changeront dans le troisième volet - il n'y a pas d'ailleurs possible, tout l'univers de Jamie est circonscrit aux limites géographique de Newcraighall. Dans My Childhood et My Ain Folk, Jamie ne cesse de courir et de faire mine de fuir, mais il revient encore et toujours aux mêmes lieux : un escalier, la rue, les terrils, la maison de la grand-mère, le pas de la porte où vit son père... Newcraighall, c'est un trou noir qui aspire l'enfant et qui aspirera l'enfant devenu adulte, Douglas revenant encore et encore en ce même lieu, exorcisant son histoire par le biais de son art. Si le film qui passe au cinéma s'appelle ironiquement Lassie Come Home, le cinéma a bel et bien été la bouée de sauvetage de Bill Douglas. « Je détestais la réalité. Bien sûr, je devais aller à l’école, de temps en temps. Et je devais rentrer à la maison pour faire ce que chacun a à y faire. Mais le prochain film à voir et comment entrer dans la salle étaient mes seules préoccupations. »

Enfant, il s'achetait des places en récoltant des bocaux de confiture et en récupérant les consignes, quand il ne rentrait pas discrètement sans payer. Le cinéma est très tôt devenu sa passion. C'est ce qui l'a aidé à tenir, c'est ce qui le rapprochera plus tard de Peter Jewel (on y reviendra dans la troisième partie) et c'est ce qui continuera à le porter toute sa vie. Si Bresson et Bunuel sont ses cinéastes préférés, Douglas est surtout attiré par le cinéma muet, les burlesques, Chaplin (dont il se sent forcément très proche) ainsi que par tout ce qui a trait au pré-cinéma, lanternes magiques et zootropes qu'il collectionnera sans relâche trente années durant. (1)

Dans la trilogie, ce qui ressort en premier lieu, c'est cette empreinte du cinéma muet. Il n'y a pas de la part de Douglas une volonté affichée de retrouver l'esthétique et le langage du cinéma des origines (2), mais il est indéniable que ses films sont profondément marqués par celui-ci. Les effets de montage, la composition des plans, la construction... tout est moderne mais la façon de reléguer la parole à l'arrière-plan et de compter avant tout sur la puissance d'évocation des images ramène à la beauté et la force simple du cinéma muet.


Ce qui étonne dans la trilogie - outre cet équilibre délicat qui empêche le film de tourner au pastiche tout en retrouvant quelque chose du cinéma premier - c'est sa cohérence du début à la fin alors même que chaque chapitre se révèle très différent. Le style change en effet d'un épisode à l'autre, s'adaptant à l'histoire et à l'évolution de Jamie, mais le tout fait bloc, comme une seule et longue séquence qui s'étirerait sur trois heures et se transformerait doucement, sans heurt. Douglas tourne chacun des films avec des techniciens différents, avec l'idée d'ainsi marquer les différences stylistiques entre chaque opus. Mais il tient son équipe, sachant exactement où il veut aller grâce à un long et minutieux travail d'écriture, parvenant ainsi à garder le cap. Il écrit le premier scénario d'une traite, puis repart à zéro, une fois, deux fois. Chaque remise à zéro lui permet d'aller plus avant dans la recherche de vérité, faisant ressurgir de nouveaux souvenirs, affinant les autres, les creusant jusqu'à finir par faire revivre chaque séquence comme il l'avait vécu enfant. Un travail d'introspection, de recherche intérieure, qu'il poursuit sur le plateau avec ses acteurs. Très peu de prises, mais une tension très forte qui oblige chacun à donner le meilleur, à aller aussi loin que possible à chaque fois que la caméra s'enclenche. Les tournages étaient éprouvants pour l'équipe, comme en témoigne Mamoun Hassan, directeur de production à la BFI :

« Son équipe travaillait pour lui dans la douleur. Je le pense littéralement. Je n’ai jamais vu des gens aussi malheureux que sur un tournage de Bill Douglas. Il faisait faire aux gens ce qu’il voulait obtenir, dans un lien étroit avec la dépression. Tout le monde devenait vraiment très déprimé sur son plateau, mais c’était une forme de dépression très particulière. Dans une dépression normale, les gens se bloquent et n’arrivent pas à atteindre leurs objectifs. Alors qu’avec Bill, elle les transcendait. Ils ont produit leur meilleur travail pour lui. Ce n’était peut-être pas de la dépression à proprement parler. Du chagrin, de la douleur. Il faisait en sorte que tout le monde soit connecté à ses propres chagrins si bien qu’il n’y avait vraiment aucune joie à faire ces films. »

Cette déprime, ce chagrin, cette douleur contaminent également le spectateur. My Ain Folk est d'apparence moins brut que My Childhood dans sa description de la misère, mais se révèle plus terrible encore. Le film est moins frontal mais sa noirceur est plus insidieuse, plus profonde. La nouvelle famille de Jamie semble toute droit sortie d'Eraserhead, et ce deuxième volet est traversé de visions cauchemardesques qui l'éloignent du naturalisme cru du premier épisode. On étouffe, on souffre avec Jamie qui découvre un monde d'adultes encore plus effrayant et sans pitié que celui de My Childhood.

Heureusement deux figures, comme des phares dans la nuit, permettent au jeune garçon de se construire en se sentant aimé : Helmut le prisonnier allemand dans My Childhood, le grand-père paternel dans My Ain Folk. Mais à chaque fois, ces phares s'éteignent trop vite et le noir reprend le dessus. Les deux premiers films de la trilogie sont ainsi irrémédiablement marqués par la perte : Helmut est renvoyé en Allemagne, la mère de Jamie est internée, la grand-mère et le grand-père meurent, Tommy est envoyé à l'internat... il n'y a que la perte et l'absence, celle des pères qui restent des fantômes dans la vie des deux frères.

Le film se referme sur l'envoi de Jamie en pension. Une conclusion en quelques plans aussi brillante que ne l'était l'ouverture. Un plan sur le corbillard du grand-père, un gros plan sur le visage de Jamie, un plan sur un groupe d'enfants puis deux plans fixes le montrant s'éloigner au fond du cadre et, intercalé, un plan rapproché des enfants formant une ronde. Cet effet de montage isole totalement Jamie, l'éjecte à jamais du monde de l'enfance.

Final admirable pour un film admirable. Cette façon qu'a Douglas de travailler sur les souvenirs et de trouver des équivalents cinématographiques au fonctionnement de la mémoire, de mêler une matière documentaire brute à la fiction, de naviguer constamment entre l'ombre et la lumière, le malheur et l'espoir, la vie et la mort... tout cela fait de cette trilogie une œuvre unique et précieuse dont la vision nous hante à jamais.


(1) Bill Douglas et son ami Peter Jewell ont collectionné pendant plus de trois décennies tous les objets liés au cinéma, notamment les premiers appareils de projection dont ils détenaient la plus grande collection au monde. A la mort de Bill Douglas, cette collection a été confiée à l'Université d'Exeter et elle est désormais visible au Bill Douglas Centre for the History of Cinema and Popular Culture
(2) Il travaillera par contre dans ce sens avec Comrades, remontant même au proto-cinéma par le biais d'un personnage faisant office de fil rouge.

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dans les salles

trilogie bill douglas

DISTRIBUTEUR : UFO DISTRIBUTION
DATE DE SORTIE : 31 juillet 2013

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Par Olivier Bitoun - le 21 novembre 2013