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Critique de film
Le film
Affiche du film

Mon Dieu, comment suis-je tombée si bas ?

(Mio Dio, come sono caduta in basso!)

L'histoire

Sicile, début du XXème siècle. Eugenia Maqueda (Laura Antonelli) et Raimondo Corrao (Alberto Lionello), marquis de Maqueda, découvrent lors de leur nuit de noces qu’ils sont frère et sœur. Il leur est donc impossible de consommer le mariage. Pour des questions d’apparences à sauvegarder et aussi d'héritage, ils décident de ne rien dire à personne et de vivre dans la chasteté absolue comme un frère et une sœur. Mais les besoins de la belle Eugenia sont de plus en plus pressants.

Analyse et critique

Comme l'indique son titre à rallonge annonciateur de grosse farce, Mio Dio, come sono caduta in basso ! semble au départ une comédie italienne outrancière typique du genre, un sentiment renforcé par la présence sexy d'une Laura Antonelli superstar dans ce registre depuis les succès de Malizia (1973) de Salvatore Samperi et Sexe fou (1973) de Dino Risi. Sous ses atours commerciaux bien présents, Luigi Comencini dissimule un de ses films les plus passionnants. Tous les excès de l'histoire et des situations servent en fait un propos fort ambitieux où les errances comiques des personnages établissent un portrait peu reluisant de la bourgeoisie italienne du début du XXème siècle. Parmi les travers de cette société, il y a notamment une certaine hypocrisie morale qui va s'affirmer, dès l'ouverture, de manière fort audacieuse. Une narration en flashback nous fait découvrir la marquise Eugenia Maqueda (Laura Antonelli) perdue à Paris et aux idées suicidaires pour des raisons que nous allons voir. Douze ans plus tôt, le jour de ses noces, elle apprend alors que son mariage s'apprête à être consommé qu'elle et son mari (Alberto Lionello) sont en réalité frère et sœur. Ironiquement, tout ce qui a précédé cette révélation aura cherché à appuyer la candeur et la vertu des deux époux.


Laura Antonelli, élevée au couvent, se voit donc expliquer "les choses de la vie" quelques minutes à peine avant la cérémonie par une vieille tante édentée, et les mariés font preuve d'une timidité et d'une maladresse trahissant leur totale inexpérience. Pourtant le secret qui va trahir leur parenté révèle, sous la vertu de ce milieu guindé, des mœurs dissolues qui amène ce drame de départ. Pour sauver les apparences, nos héros poursuivent une chaste coexistence tout en étant tiraillés par un terrible désir. Comencini joue astucieusement avec l'image sexy associée à Laura Antonelli, dont la frustration sexuelle accompagne celle du spectateur de l'époque habitué à la voir peu farouche dans d'autres productions. L'actrice délivre une performance comique géniale d'excès, où les refus de façade des diverses tentations ne sont que des appels du pied d'autant plus torrides. On en a une démonstration lors de la longue séduction parisienne avec le noble français joué par Jean Rochefort, et surtout plus tard par la première étreinte sur la paille avec le chauffeur. Une séquence d'une sensualité affolante où Laura Antonelli tout en témoignant mollement son refus laisse son amant (un tout jeune Michele Placido dans un de ses premiers rôles) lui arracher longuement les diverses couches de dentelles et de froufrous, affirmant le corps féminin comme un nid de tentation qu'il faut dissimuler. Ce qui est caché renforce finalement la teneur excitante, et Comencini après cette escalade masque l'acte en lui-même qui est éludé avec des ellipses lourdes de sens sur l'extérieur de la cabane où s'ébattent les amants.


Laura Antonelli symbolise la dualité de cette société bourgeoise engoncée dans des principes respectables mais rongée par la quête de transgression. Ce n'est pas un hasard si Comencini choisit de situer l'action en Sicile où l'archaïsme et les mentalités rétrogrades sont exacerbés, tout en étant facilement acceptable par le spectateur italien grâce aux classiques de Pietro Germi comme Séduite et abandonnée ou Divorce à l'italienne qui ont contribué à cette image. L'intérêt est donc de voir comment les personnages vont chercher à éteindre ce désir. Pour Laura Antonelli, le refuge se fait via l'Eglise qui en prend pour son grade avec des prêtres forcément plus véhéments quant au respect des vœux de virginité des femmes, ces pécheresses. L'histoire dérive dans les solutions trouvées par l'époux qui amorce la dimension politique du récit. L'ombre de l'écrivain et poète D'Annunzio plane sur le film à travers le parcours de Raimondo. Les écrits de D'Annunzio étaient rattachés à une certaine sophistication verbale au service d'une verve sensuelle imagée et excessive pour les étreintes charnelles fantasmée qui véhiculait une vision du mâle italien mythologique et conquérante. On en a diverses démonstrations lorsque Raimondo endoctrine un groupe d'ouvriers par un discours incompréhensible (et repris d'un vrai texte de D'Annunzio) ou quand on le montre auréolé de gloire militaire après qu'il a participé aux campagnes de Libye en 1911. Les préceptes de D'Annunzio préfigurent tout simplement ceux de l'idéologie fasciste que Mussolini saura réinterpréter lors de son arrivée au pouvoir, même si D'Annunzio s'opposera à lui lorsqu'il s'alliera à l'Allemagne nazie. C'est un refuge où se plonge cette bourgeoisie étouffée par les conventions partout ailleurs, et de là à dire que Mussolini et les futurs fascistes sont ce qu'ils sont car frustrés il n'y a qu'un pas allégrement franchi par Comencini. Toutes ces thématiques se déroulent de manière limpide car illustrées par la pure verve comique de Comencini : les femmes se pâmant d'amour à la simple lecture d'un poème de D'Annunzio ou au bord de la syncope lors de ses furtives et très théâtrales apparitions, cette fameuse figure du mâle tout-puissant autant moquée qu’ironiquement vantée. Ces thématiques seront d’ailleurs traitées dans une veine plus ouvertement dramatique par Luchino Visconti dans L’Innocent (1976), ultime film et adaptation directe de D’Annunzio où l’on retrouvera Laura Antonelli.


La dernière partie renforce encore l'ironie quand plus que d'assouvir leurs pulsions les époux s'avèrent finalement bien plus dépravés qu'au départ. Après l'expérience saphique d’Eugenia et la découverte de l'appartement écarlate de Raimondo transpirant la luxure, l'inceste ne semble désormais plus guère poser de problème. En plus d'être captivant sur le fond, le film se révèle comme l'un des plus aboutis visuellement de Luigi Comencini. Le scénario est dû à Ivo Perilli, sorti de sa retraite par Comencini et qui avait connu une carrière fructueuse durant la période des « téléphones blancs » où il écrivit de nombreux films pour Mario Camerini. Ce vécu, allié à sa grande connaissance de la période historique évoquée dans le film, explique donc toute l’érudition, l’ironie et les parallèles mordants fait avec le fascisme. Cette virulence est traduite par un réalisme et une luxuriance accentuée par les décors et les costumes d'un Dante Ferreti pas moins érudit. La photo de Tonino Delli Colli donne un bel éclat ensoleillé à ce cadre sicilien et met bien en valeur la somptueuse reconstitution historique où Comencini flatte joliment la rétine dans ses choix picturaux. On se souvient alors que sans être un spécialiste de la fresque historique, le réalisateur offrit quelques années auparavant un somptueux Casanova, un adolescent à Venise (1969). Comme dans ce film et sous couvert d’imagerie chatoyante, Comencini fait de ces voyages dans le passé des récits d’initiation pervertis. Tout comme le jeune Casanova terminait le film en séducteur désormais accompli, le final sexy et rigolard de Mon dieu comment suis-je tombé si bas ? voit son héroïne définitivement assumer sa débordante libido.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 21 janvier 2016