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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Piliers du ciel

(Pillars of the Sky)

L'histoire

1868 en Oregon. La paix entre les tribus indiennes et les Blancs est maintenue surtout grâce à l’action du pasteur Joseph Holden (Ward Bond) qui a converti au christianisme la plupart des Indiens de la réserve dans laquelle il officie, leur donnant à tous un nom biblique. Mais comme ailleurs, les traités ne sont pas respectés : le gouvernement décide de faire traverser une piste destinée aux pionniers en plein milieu de la réserve alors qu’il avait été stipulé qu’aucun civil blanc ne pourrait y mettre les pieds. L’équilibre précaire que Holden et le sergent Emmett Bell (Jeff Chandler) avaient réussi à maintenir est désormais compromis. Pour savoir ce qu’il en est réellement, le sergent, chef de la force de police indienne de la cavalerie américaine, accompagné de deux de ses éclaireurs Nez-Percés, se rend au camp de l’officier chargé de mettre en place ce projet : le Colonel Stedlow (Willis Bouchey), commandant d’une troupe de très jeunes soldats. Jeff apprend que le chef des Palouses, Kamiakin (Michael Ansara), a convoqué les chefs des autres tribus, espérant les convaincre de se joindre à lui afin de ne pas laisser de nouvelles troupes armées empiéter leur territoire, appelant même à l’extermination si nécessaire. Est également présent lors de cette rencontre au quartier général militaire le Capitaine Tom Gaxton (Keith Andes), le rival amoureux de Jeff. En effet, s’il sait que Calla (Dorothy Malone), son épouse, s’apprête à arriver en ces lieux, il est persuadé que c’est pour retrouver son amant qui n’est autre que Jeff. En pleine réunion, on vient annoncer que Kamiakin a pris en otage deux femmes : il y a de fortes chances pour que l’une d’elles soit Calla. Avant toute chose, il s’agit d’aller la délivrer, ce que s’apprêtent à faire le sergent insubordonné et son ami le pasteur...

Analyse et critique

Des westerns pro-Indiens, il en sortait à la pelle depuis le début de la décennie ; pour continuer à attirer les foules dans les salles, il fallait alors que les scénaristes se creusent les méninges afin de trouver des détails insolites ou des idées nouvelles. Quelques semaines plus tôt, la Universal proposait déjà sur les écrans L'Homme de San Carlos (Walk the Proud Land) de Jesse Hibbs qui narrait l’histoire d’un "pied tendre" venu de l’Est prendre les rênes d’une réserve indienne sans avoir jamais vu un seul native et sans avoir porté une seule arme de sa vie. Les faits n'ont pas été inventés et John Philip Clum (interprété par Audie Murphy) était un personnage qui avait réellement existé. Au final il s'agissait d'un western curieux et intéressant, sans quasiment d’action. Si son scénario reste dans l’ensemble plus conventionnel, le postulat de départ des Piliers du ciel est tout aussi inaccoutumé mais également véridique : le film nous décrit d’emblée des tribus indiennes ayant été évangélisées, ses membres aux noms bibliques se rendent à l’office tous les dimanches y prier le dieu des Blancs. Un western "chrétien" qui de plus se déroule dans une région au nord-ouest des USA que l’on a peu l’habitude de voir au sein du genre, l’Oregon avec ses majestueuses montagnes et ses immenses plateaux herbeux. Ces deux éléments réunis plus le fait que les tribus indiennes ne soient pas des Apaches, des Comanches ou des Sioux mais des Nez-Percés, des Cœurs d’Alène, des Walla-Wallas, des Umatillas ou des Palouses apportent du sang neuf et un peu "d’exotisme" au genre, même si le film se révèle au final somme toute très moyen mais sans être déplaisant pour autant.

D’après les connaisseurs en histoire indienne, contrairement à ce que l’on aurait pu penser à la vision du film, le scénario écrit par Sam Rolfe (l'auteur de l'histoire de L'Appât d'Antony Mann) n’a pas grand-chose de fantaisiste, mais au contraire s’avère historiquement assez conforme ; les costumes, les coiffes et le background dans son ensemble sont également très proches de la réalité. Il faut dire aussi que George Marshall et son équipe sont partis tourner sur les lieux mêmes de l’action et qu’ils ont employé comme figurants des membres des différentes tribus évoquées dans le film. Les évènements narrés, ainsi que le fait que les Indiens de la région aient été évangélisés avec douceur, sont donc tout à fait justes. De nombreuses missions chrétiennes et églises étaient alors implantées dans les réserves indiennes de l’Oregon ; et les membres de la tribu des Nez-Percés, qui avaient commencé à être convertis au christianisme depuis à peu près 40 ans, ont même accompli des pèlerinage à l’Est afin de mieux appréhender la culture chrétienne. Quant aux noms des chefs indiens des différentes tribus vivant dans ces réserves, ils avaient bien été transformés en Isaac, Abraham ou Joseph ! En revanche,"les piliers du ciel" évoqués dans le titre (de majestueuses montagnes aux sommets pointus délimitant le territoire de la réserve), on ne les voit que lors d’un seul plan au cours duquel on les évoque mais ils ne semblent pas se situer au même endroit que le reste de l’intrigue, les réserves décrites ne permettant pas de distinguer de montagnes à l’horizon. A l’exception de ce fait assez singulier (une erreur topographique ?), la seule liberté importante prise par les auteurs vis-à-vis de la réalité se situe lors de la séquence finale péniblement et niaisement saint-sulpicienne au cours de laquelle les chefs des différentes tribus révoltées sont pardonnés lors d’une cérémonie religieuse initiée par Jeff Chandler ! Ils furent en réalité tous pendus par l’armée américaine !

Pillars of the Sky (on devine aisément le sous-texte religieux au travers de ce titre) est donc un western de série B qui raconte un épisode réel et peu connu des guerres indiennes mais avec une approche plutôt originale, en se voulant être un western "chrétien". Dommage que George Marshall soit un cinéaste si médiocre, car il n’arrive presque jamais à faire décoller son film qui avait au départ été proposé à John Ford, John Wayne ayant été prévu pour interpréter le rôle du Sergent. Tous deux occupés par le tournage de La Prisonnière du désert (The Searchers), ils durent décliner l'offre et furent donc remplacés par George Marshall et Jeff Chandler. Le résultat aurait probablement été tout autre entre les mains du célèbre borgne, mais contentons-nous de ce que nous avons puisque le film reste néanmoins tout à fait correct en l’état, plutôt efficace lors des scènes d’action (notamment celle de l’attaque faisant se rencontrer, dans une inextricable mêlée Indiens et soldats, et au cours de laquelle l’aspect fouillis donne un rendu assez réaliste ; dommage cependant que les effets spéciaux des coups de canons s'avèrent ratés), assez bien dialogué et bénéficiant d’un casting convaincant à l’exception d’une Dorothy Malone qui ne semble pas à sa place et dont le personnage n’avait franchement pas vraiment lieu d’être. Le triangle amoureux est effectivement de trop au sein de cette intrigue, d’autant plus que l’achèvement de cette romance s’avère lui aussi, à l’instar de la dernière séquence, très édifiant : la femme retourne à son époux, la morale chrétienne est sauve à ce niveau aussi ! Hormis cela, Jeff Chandler, même si surtout connu pour ses interprétations de Cochise, tout aussi habitué à l’uniforme des Tuniques Bleues (il le portait déjà dans Au mépris des lois / The Battle at Apache Pass et A l'assaut de Fort Clark / War Arrow, tous deux de George Sherman ou encore dans Les Rebelles de Fort Thorn / Two Flags West de Robert Wise), ne s’en sort pas trop mal, assez à l’aise et plutôt charismatique dans le rôle de cet officier insubordonné, soudard et grande gueule. Et puis aviez-vous déjà vu un sergent aussi débraillé, les manches sans arrêt relevées afin de bien faire remarquer la pilosité virile de ses avant-bras ? Pas très réglementaire, mais personne ne lui en fait la remarque...

A ses côtés, si l’on fait l’impasse sur le fadasse Keith Andes, on trouve Ward Bond et Lee Marvin dans des seconds rôles sur mesure et hauts en couleur, les trois acteurs étant d'ailleurs réunis lors de la plus belle séquence du film, celle de la mort en haut de la montagne du personnage joué par Lee Marvin que ses deux copains accompagnent durant ses derniers instants en étant couchés près de lui, chantant et buvant jusqu’à la fin de la nuit. Quant aux Indiens, leurs interprètes paraissent crédibles et les auteurs les décrivent avec noblesse, que ce soit ceux appartenant au camp des révoltés ou au contraire ceux ayant acceptés de rester sous la tutelle des Blancs. Le scénariste nous propose d’ailleurs une intéressante réflexion sur les Indiens souhaitant rester dans le giron de l’église et de l’armée : sont-ce des traîtres, des poltrons, des collaborateurs ou des résignés ? Ne seraient-ce pas tout simplement des hommes réalistes et pleins de bons sens ayant compris, comme l’explique l’un des éclaireurs Palouses, que, le ver étant dans le fruit ("Nous n’avons plus l’habileté de nos pères, nous l’avons perdue il y a des lunes et des lunes" ), au lieu de se faire exterminer il était plus intelligent de vivre en bon terme avec les hommes blancs. Tout aussi intéressante est la description de ces très jeunes recrues inexpérimentées (presque des enfants) parmi les soldats du régiment chargé de construire la piste. Dommage que les auteurs se soient sentis obligés d'inclure de l'humour lourdingue avec cette sentinelle sans cesse en lutte avec son cheval récalcitrant nommé Razorback.

Les Piliers du ciel se déroulant au sein de beaux paysages photographiés en Technicolor, l’ensemble s’avère plaisant. Dommage une fois encore que la mise en scène soit aussi quelconque, le cinéaste utilisant le Cinémascope sans aucun génie, n’ayant pas, loin s’en faut, le sens du cadre d’un George Sherman ou d’un Delmer Daves ; du coup il ne sait pas mettre suffisamment en valeur les magnifiques panoramas qu’il a devant ses yeux. George Marshall ne fait pas d'étincelles mais enveloppe heureusement le tout avec un professionnalisme certain. Au sein de la filmographie en dents de scie de ce réalisateur très inégal (qui va dans le genre du très mauvais La Vallée du soleil au très bon Femme ou démon / Destry Rides Again), voilà un western routinier mais pas désagréable et se situant dans une honnête moyenne. En tout cas, Les Piliers du ciel est peut-être l'unique western ouvertement chrétien, et se révèle à ce titre une véritable curiosité !

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 23 août 2013