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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Magnats du pouvoir

(Winter Kills)

L'histoire

Dix-neuf ans après l’assassinat de son demi-frère, alors président des Etats-Unis, Nick Kean est contacté par un homme qui prétend être le deuxième tireur. Kegan se lance alors à la recherche de la vérité et pénètre dans le monde délirant des théories conspirationnistes.

Analyse et critique


Le cinéma américain, peut-être plus que tous les autres, a toujours su raconter, revoir, réécrire son histoire par le prisme du 7ème art. Dès les premiers temps et le diptyque de D.W Griffith, Naissance d’une Nation et Intolérance, il a raconté la dualité si particulière de son territoire. Par la suite, avec le western notamment, il mythifiera son histoire et la ruée vers l’or. Le 22 novembre 1963 alors qu’il se trouve à Dallas à bord d’un véhicule pour défiler devant une foule massive, le 35ème président des Etats-Unis John Fitzgerald Kennedy est assassiné, à 46 ans, d’une balle dans la tête par Lee Harvey Oswald, seul coupable reconnu, et lui-même assassiné deux plus tard par Jack Ruby, un patron de club et homme d’affaires de Dallas. Cet assassinat du président est de ces évènements majeurs qui changent le monde, et le premier de l’histoire à être vécu en direct par des millions de téléspectateurs. La télévision existe depuis à peine quelques années et voilà qu’une explosion de violence extrême est jetée à la figure des téléspectateurs. Le rapport de l’être humain aux images et à la violence en sera changé à tout jamais. Dans les années qui suivront, de nombreuses théories du complot surgiront et alimenteront les débats. Le cinéma ne manquera pas de s’infiltrer dans la brèche et dès les années 70 des films tels que Les Trois jours du condor, Marathon Man, The Parallax View ou encore Conversation secrète, s’ils ne citent pas directement l’évènement, seront des œuvres filaires de celui-ci. De pures œuvres artistiques qui émanent du climat et des théories conspirationnistes... et qui participeront consciemment à consolider ce rapport au meurtre du président américain.



En 1979, le président est décédé depuis 16 ans et plus d’une décennie de théories du complot et d’histoires plus loufoques les unes que les autres a fini de ridiculiser les conspirationnistes. Le complotisme est devenu un sketch, sujet aux railleries et à l’indifférence. C’est là tout le propos de Winter Kills (Qui a tué le Président ? ou Les Magnats du pouvoir dans ses divers titres français) et de l’adaptation par William Richert de la nouvelle de Richard Condon publiée 5 ans plus tôt. Le rapport à l’assassinat n’est plus souterrain, il est direct. Nick Kegan (Jeff Bridges), demi-frère du président assassiné 19 ans plus tôt, est contacté par un homme qui prétend être le deuxième tireur, Lee Arnold. Le "K" de Kennedy et le "L" de Lee Harvey Oswald. Winter Kills va alors, comme un manuel, décliner pendant la recherche de vérité de Nick Kegan toutes les théories ayant émaillé lors des années précédentes. Le film rejette donc la vérité d’emblée puisqu’il ne va pas aller vers cette idée mais plutôt chercher à déconstruire la pensée conspirationniste en déclinant tous ses rouages. Ainsi la quête de Kegan a tout du labyrinthe, tant une théorie du complot va rapidement en remplacer une autre et complètement perdre le jeune homme (et le spectateur) dans des pistes plus loufoques les unes que les autres, et dans une odyssée au pays du non-sens. Richert rejoint le traitement d’Alice au pays des merveilles de Condon, c’est-à-dire un procédé qui se rapproche à la fois du conte de fées par son traitement décalé et proche du rêve mais aussi de l’absurde (des théories de la conspiration qui cachent d’autres théories).


A la fin des années 70, et encore aujourd’hui ou presque, William Richert est un inconnu. Pourtant, il va réussir un tour de force exceptionnel et réunir un casting de superstars pour mener son projet à bout. Un Jeff Bridges à peine trentenaire, donc, mais aussi John Huston, Anthony Perkins, Sterling Hayden, Toshirô Mifune, Tomas Milian, Eli Wallach, Elizabeth Taylor et plein d’autres ! Si on ne peut être qu’admiratif devant tant de grands noms, Richert l’assume aisément et c’est justement parce que ce sont des noms, des stars, qu’il souhaite les avoir dans son film. Il parvient alors à les convaincre une à une, en commençant par le réalisateur John Huston. Richert, peu avare en détails sur l’incroyable aventure du tournage, racontera plus tard l’exceptionnel professionnalisme du maître, venant jouer l’acteur dans le film d’un novice. Huston, très à l’aise, joue le rôle du patriarche Kegan-Kennedy. Figure tant contestée et contestable, Pa’ Kegan suivra de près l’enquête de son fils tout en semblant toujours conserver de précieuses informations pour lui-même. C’est l’une des premières théories du complot ayant émaillé après la mort du président Kennedy qui est ici mise en images. La mort par le père, ayant fait élire son fils grâce à sa puissance et l’éliminant ensuite car celui-ci commençait à prendre son rôle trop à cœur. Sur l’exemple de Joseph Kennedy, le père de Nick est donc un démiurge dénué de bon sens.


Le voyage initiatique de Nick, qui lui fera perdre ses illusions mais accéder à une compréhension du monde plus élevée, débute par une visite à Sterling Hayden alias Z.K Dawson, ancien colonel de l’armée et représentant la piste « guerre froide » des théories complotistes, c’est-à-dire un John Fitzgerald Kennedy tué par des hauts-gradés car laissant une trop grande marge de manœuvre à l’URSS... Lors de cette première confrontation, de ce premier niveau du labyrinthe, un surréalisme prononcé s’exerce déjà. Nick se trouve confronté à un dialogue impossible puisqu’il cherche la vérité et que son interlocuteur a une autre conception des choses. La conversation finira même par des tirs de chars sur la voiture de jeune enquêteur !


A l’instar de joueurs de jeux vidéo en open-world, Kegan et le spectateur, après ce premier échec, se dirigent vers une autre piste qui concernera la pègre et un Eli Wallach / Joe Diamond, alias Jack Ruby, tourné en ridicule en patron homosexuel de club, lui le grand méchant des westerns de Sergio Leone. Le génie de Richert est aussi là. Si les acteurs sont choisis pour leurs noms, leurs images symboliques, leurs représentations vont par contre être détournées. Son acolyte Gameboy Baker, alias Ralph Meeker, beau gosse du cinéma B américain des années 50 dira d’ailleurs de lui-même : « Plus vieux, plus gros. Et plus moche »... La mafia, personnage à part entière du cinéma américain, sera elle aussi tournée en dérision par le réalisateur américain. Dans une salle au fond d’un restaurant, (éclairée par le grand Vilmos Zsigmond qui happera d’ailleurs tout le film d’un halo froid et ombré comme l’hiver) dans un cliché ultra écumé du genre, Nick rencontre un parrain de la mafia qui va représenter le troisième niveau de son aventure. Dans cette séquence est explicitée la théorie selon laquelle la mafia aurait tué JFK. En échange de plusieurs millions de dollars et d’un appui important dans l’état de l’Illinois, les Kennedy aurait promis d’être très conciliants avec la pègre... mais c’était avant la nomination de Robert Kennedy en tant que ministre de la Justice. Dans cette jungle de poupées gigognes, où derrière une théorie se cache toujours une autre théorie, l’implication de la mafia sera plus précisément explicitée à cause de... Marylin Monroe. Celle-ci aurait en effet été l’amante du président et se serait suicidée après leur séparation... ayant fait perdre des millions à son studio qui aurait donc mandaté la mafia pour assassiner le principal responsable : John Fitzgerald Kennedy.



Winter Kills, au travers du puzzle de ses différentes théories, exerce un rapport double à la fiction. Toutes les théories du complot sont éminemment fictionnées, fictionnelles et elles-mêmes part d’un univers de fiction qui les englobe : le film. Nick Kegan est doublement pris au piège, des rouages des théories conspirationnistes interchangeables mais aussi du film dont il ne sortira jamais. Ce double rapport, aussi présent entre la vérité et le mensonge, surgit de nouveau à travers les acteurs et donc à la frontière entre réalité et fiction. Lorsque Elizabeth Taylor apparaît dans le film pour jouer l’ex-amante du président assassiné Kegan, elle est la représentation à l’écran de la théorie « Marylin Monroe » mais est aussi une Elizabeth Taylor boursouflée et en fin de carrière. Elle joue son propre rôle, celui de l’ex- amante du président et celui de Marylin Monroe.


Terminant son périple et semblant enfin avoir trouvé son chemin au sein du labyrinthe, Kegan va devoir se confronter au minotaure, au boss final de l’aventure. Dans un environnement futuriste et une imagerie rêvée d’un organisme qui disposerait de toutes les informations existantes et contrôlerait donc le monde entier, créé de toutes pièces par Robert F. Boyle (le production designer de Hitchcock sur Les Oiseaux, La Mort aux trousses ou encore Pas de printemps pour Marnie), c’est un Anthony Perkins, alias Cerruti, qui va lui dévoiler la vérité, ou tout du moins sa vérité. Cerruti, œil absolu, est un personnage à la limite de la schizophrénie et, qui, incarné par le légendaire Norman Bates, ne peut que volontairement créer un lien avec le personnage lui aussi schizophrène de Psychose... qui a lui-même un double via la figure de sa mère.

Tout le film de Richert est alors ainsi fait de rapports étroits entre la fiction, la réalité, la vérité, le mensonge, les théories et leurs contraires qui s’entrechoquent les unes et les autres dans un maelström sans fin de rouages constituant ensemble une immense machinerie qui serait, avant tout, celle du cinéma. Lors du tournage, arrêté trois fois par manque d’argent et repris après deux ans d’interruption pour tourner les dernières séquences, l’un des producteurs du film sera tué d’une balle dans la tête car impliqué dans des trafics de drogue. Le second producteur sera, lui, emprisonné quelques années plus tard et n’hésitera pas à nommer un responsable direct : le film. En effet, après un succès critique lors d’une première sortie à New York, Winter Kills sortira sur un plus grand nombre d’écrans avant tout simplement d’être retiré des salles. A peine une semaine dans le circuit car gênant aux entournures pour la classe politique et le clan Kennedy, notamment par sa description du père mais aussi la déconstruction de toute une imagerie américaine. Ou quand la réalité (fictionnée) dépasse la fiction (du réel)...

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La fiche IMDb du film

Par Damien LeNy - le 12 mai 2020