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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Contrebandiers de Santa Lucia

(I contrabbandieri di Santa Lucia)

L'histoire

En 1979, la révolution renverse le Shah d’Iran pour installer l’ayatollah Khomeyni au pouvoir. Un événement qui impacte le monde entier, et qui n’épargne pas les équilibres du trafic de drogues. Les mafias y voient l’opportunité de sortir du pays une énorme quantité d’héroïne qui va inonder le monde. Le capitaine Ivano Radovic enquête sur ce trafic et va se lier avec Don Antiero, un trafiquant de cigarettes napolitain, qui va l’introduire dans le milieu.

Analyse et critique

Alfonso Brescia est un de ces noms que l’on ne peut pas éviter dans le cinéma de genre de l’âge d’or du cinéma italien. Du western au giallo, en passant par la sexy comédie et même la science-fiction, pourtant peu visitée par la production transalpine. S’il n’a a priori pas laissé de chef d’œuvre majeur, on croise régulièrement chez lui quelques bons films qui témoignent d’un incontestable savoir-faire. Surtout, on pourrait presque en faire le principal auteur d’un sous-genre, qui serait le polar napolitain, une sorte de déclinaison du polar italien installée dans la cité de Campanie. Il n’est bien sûr pas le seul à y avoir tourné des polars, mais il est peut-être celui qui s’est le plus imprégné de l’humeur de la ville, et ce malgré ses origines romaines, et celui qui a le mieux intégré le patrimoine culturel napolitain à son cinéma, tournant notamment régulièrement avec Mario Merola, star de la chanson napolitaine. Leur collaboration donnera naissance à 12 films en quelques années. Les Contrebandiers de Santa Lucia est un de ceux-là, représentant d’une filmographie essentiellement constituée de productions modestes mais divertissantes, et offrant un témoignage intéressant sur la réalité sociale napolitaine.


De manière assez surprenante pour le spectateur, Les Contrebandiers de Santa Lucia s’ouvre sur des images d’actualités de la révolution iranienne. Une dimension internationale rare dans le cinéma de genre italien, et même incongrue pour une production modeste. L’ambition pourrait paraitre démesurée, mais Brescia et ses scénaristes parviennent parfaitement à dessiner le lien entre cet événement géopolitique majeur et le quotidien des habitants de Naples. En quelques minutes, le film établit une des démonstrations les plus limpides du lien presque direct entre les grands événements mondiaux - la chute du Shah ici, mais ce n’est finalement qu’un exemple - et le destin des gens de la rue, ceux qui seront les victimes directes et collatérales du trafic de drogue, le tout par l’intermédiaire de puissants de ce monde, ici les parrains de la mafia. Le film se fait ainsi un exemple emblématique de la grande force du cinéma de genre italien : rendre accessible des enjeux politiques et sociaux complexes au grand public par le vecteur du genre, à peine caché derrière un cinéma d’action rythmé qui attire le plus grand nombre. Brescia effectue une véritable plongée dans la vie napolitaine, celle des plus démunis qui vivent chichement du trafic de cigarettes, qui mobilise la quasi-totalité de la ville. C’est une vision presque documentaire du Naples de 1979, avant que n’arrive la guerre des clans (qui sera plutôt l’atmosphère de La Guerre des gangs, de Lucio Fulci), qui vit dans une structure mafieuse « à taille humaine ».


L’incarnation de cette vision du crime organisé, c’est le personnage de Don Antiero, incarné par Mario Merola. Un petit parrain, relativement débonnaire, qui protège ses affaires autant que le quartier qu’il exploite, qu’il fait d’ailleurs visiter au capitaine Radovic en lui montrant l’origine sociale de la criminalité dans laquelle il est lui-même engagée. La sympathie dégagée par Merola impose cette image du personnage, renforcée au moment de la sortie du film par ce qu’il était, un chanteur extrêmement populaire. Le personnage est d’ailleurs le véhicule d’une tonalité plutôt optimiste du film, qui sépare les « bons » des « mauvais » mafieux, Don Antiero faisant lui-même le ménage dans sa caste. Une trajectoire qui donne aux Contrebandiers de Santa Lucia une coloration plus optimiste que la plupart des polars italiens, volontiers nihilistes. Ceci n’empêche évidemment pas la violence et les morts, comme dans tout bon polar qui se respecte. Malgré un manque de moyens flagrant, qui oblige à l’utilisation de stock-shots, y compris dans la scène de poursuite principale qui utilise les images d’une publicité, le film présente des séquences d’action plutôt plaisantes. Le récit est rythmé, équilibré, et propose une intrigue très cohérente à l’exception peut-être de son finale, qui nous fait perdre de vue certains personnages comme la petite Stellatella, pourtant dans une situation critique.


Ce léger déséquilibre narratif est insuffisant pour gâcher le plaisir que l’on prend devant Les Contrebandiers de Santa Lucia, grâce à un très beau casting qui nous fait retrouver entre autres Gianni Garko et Antonio Sabato, des figures du cinéma de genre, et de beaux personnages, dont l’attachant Gennaro, jeune figure récurrente du polar napolitain, que l’on voyait déjà dans Assaut sur la ville par exemple. Brescia nous livre une sorte de French Connection vue d’en bas, des petites gens. Le film connaitra un succès public qui renforcera la collaboration entre le cinéaste et Mario Merola et reste aujourd’hui un polar plaisant, malgré des défauts mineurs.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 21 décembre 2021