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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Camarades

(I compagni)

L'histoire

En 1905, les ouvriers d'une usine de filature contestent leur conditions de travail après la blessure de l'un d'entre eux dans les rouages d'une machine. Leur démarche reste vaine jusqu'à l'intervention du professeur Sinigaglia, un intellectuel de gauche qui les incite à la grève.

Analyse et critique

Dans nombre des meilleurs films de Mario Monicelli, il est souvent question d’un groupe d’individus engagés dans une entreprise vouée à l’échec. Ce sont les cambrioleurs pieds-nickelés du Pigeon (1958), les fêtards malheureux du nouvel an dans Larmes de joie (1960) et les déserteurs de La Grande Guerre (1959). Ces films forment une sorte de tétralogie de l’échec avec Les Camarades, parcourus d’une même veine sociale et humaniste où l’humour sert à atténuer la noirceur. Avec le tournant plus nihiliste de la comédie italienne des années 1970, Monicelli revisitera ce postulat dans une voie plus désespérée où l’entreprise collective est discutable - les putschistes rétrogrades de Nous voulons les colonels (1973) - voire sans but - avec les farceurs dépressifs de Mes chers amis (1975). Les Camarades est encore doté de ce mélange entre espoir et résignation, humour et mélancolie qui caractérise Monicelli. Son scénario (cosigné par Age et Scarpelli) s’inspire d’une grève dure qui secoua une usine textile de Turin à l’ère de l’industrialisation au début du XXe siècle.

L’approche de Monicelli est plus humaniste que politique pour dépeindre les événements. Le film s’ouvre ainsi sur le réveil laborieux d’Omero (Franco Ciolli), un adolescent travaillant déjà à l’usine pour nourrir sa famille. L’espace misérable du foyer permet de deviner ceux des autres ouvriers, soumis à des conditions de travail précaires. Les travellings arpentent les travées de l’usine, le rythme métronomique des machines s’opposant à l’usure et à l’attention défaillante de travailleurs soumis à des journées de quatorze heures. Les inserts et fondus sur l’horloge s’enchaînent lentement durant le labeur, et sont furtifs à l’heure de la pause où l’on ressent la brièveté de ce répit à la fois dans la description de ce quotidien mais surtout dans la lassitude des travailleurs. Les vignettes amusantes sont d’ailleurs plus parlantes qu’un misérabilisme absent pour comprendre cette usure, avec cette scène où un ouvrier demande à sa femme d’amener leur bébé durant son déjeuner puisqu’il part trop tôt et rentre trop tard pour le voir éveillé.


Tout le film oppose et questionne la notion de l’individu et du collectif. Le collectif ne fonctionne dans un premier temps que pour l’entraide (les collectes quotidiennes pour les ouvriers accidentés) et courber l’échine. L’habitude de la soumission et l’avenir incertain anéantissent les timides tentatives de rébellion. Monicelli fragmente l’unité fragile par sa mise en scène, avec un montage séparant les ouvriers lorsqu’ils s’allient pour terminer une heure plus tôt. Le malheureux Pautasso (Folco Lulli), désigné pour sonner l’alarme de ce départ anticipé, est, dans une composition de plan saisissante, associé à un enfant pris en faute par les adultes pour cette initiative finalement solitaire. Les entrevues (ou du moins tentatives) entre les travailleurs et les patrons relèvent de ce rapport de forces biaisé que Monicelli traduit également par l’image. La première rencontre se fait avec un sous-fifre méprisant et voit les revendications (avancées de manière trop respectueuse) bloquées dans une dimension spatiale où la simple parole d’un individu "supérieur" leur interdit l’accès au bureau. Lorsqu’ils reprennent le cours de leur demande durant la même scène, il s’agira d’un monologue dans le vide puisque l’interlocuteur s’est éclipsé à leur insu, dans le plus grand mépris de cette parole modeste. La seconde entrevue est plus vicieuse encore, jouant d’un dialogue paternaliste et condescendant des patrons avec à nouveau un rapport spatial plus classique mais significatif (les patrons assis à leur bureau et les ouvriers debout et penauds) témoignant du déséquilibre de ce rapport de forces. C’est d’ailleurs une notion qui se prolonge à toutes les strates du pouvoir, le vieux patron d’entreprise faisant preuve d’un dédain qui passe par les mêmes idées formelles. Il domine ses subalternes tout en étant cloué dans son fauteuil roulant et il interdira à l’un d'eux l’accès aux festivités de son foyer (pour tenue inappropriée) tout comme celui-ci avait plus tôt bloqué son bureau aux ouvriers. 


Le collectif semble donc plus être un prolongement de la peur qu’un espace de lutte. L’individu se manifestera d’abord dans une forme de survie résignée avec le personnage du Sicilien, objet de rejet social au sein même des ouvriers, puis avec Niobe (Annie Girardot) qui a préféré vivre de ses charmes plutôt que du labeur de l’usine - et en subissant, elle, un rejet moral. Il faudra donc l’arrivée de l’intellectuel Sinigaglia (Marcello Mastroianni) pour affirmer la révolte. Le personnage est sans attaches (ou du moins les a quittées) et entièrement dévoué à l’idéologie de gauche, les ouvriers étant surtout des instruments pour la mettre en oeuvre. La scène où il s’immisce dans la réunion des travailleurs est des plus parlantes. Dormant dans une pièce annexe, il comprend la nature revendicatrice de l’entrevue et pousse à la grève par ses mots savants, sans avoir totalement saisi les tenants et aboutissants du conflit. Seul compte le "combat", quelles qu’en soient les conséquences. Le propos de Monicelli est passionnant car engagé sans être politisé. Ce sont les incongruités et les ambiguïtés de la nature humaine qui l’intéressent.

Les ouvriers semblent ainsi avoir besoin d’une figure "supérieure" pour réellement sonner la révolte, tout comme celle-ci était également là pour les asservir. C’est paradoxalement une forme d’égoïsme mais aussi de courage qui confère à Sinigaglia l’autorité pour stimuler les travailleurs. Marcello Mastroianni est parfait de nuances dans une exaltation tour à tour sincère et forcée, entre petites mesquineries et réelle bienveillance. Il n’y a pas de saint ni de martyr de la cause, seulement des personnages qui cherchent leur place. La détermination propre des ouvriers doit alors rejoindre l’implication sincère de Sinigaglia pour que les récriminations s’affirment pleinement dans un discours puis un assaut final de l’usine épique. La récompense sera maigre dans les faits mais immense dans l’idée. Le personnage le plus individualiste (Renato Salvatori) est désormais un paria ayant compris le sens de la cause, prêt à le propager à son tour sur les routes - son départ en train faisant écho à l'arrivée de Sinigaglia comme passage de flambeau.


DANS LES SALLES

 les camarades
 UN FILM De mario monicelli (1963)

 DISTRIBUTEUR : LES ACACIAS
 DATE DE SORTIE : 31 OCTOBRE 2018

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 1 novembre 2018