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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Village des damnés

(Village of the Damned)

L'histoire

Un jour d'automne, une force invisible et mystérieuse endort les habitants du modeste village de Midwich. Quelques semaines plus tard, le docteur Alan Chaffee découvre qu'une dizaine de ses patientes attendent un heureux évènement.

Analyse et critique

Le Village des damnés constitue pour John Carpenter le second remake d’un classique de la science-fiction après The Thing (1982). Il adapte ici pour la seconde fois le roman Les Coucous de Midwich de John Wyndham publié en 1957 et qui donnera naissance à un vrai film culte du cinéma fantastique des années 60 avec la transposition qu’en livrera Wolf Rilla. Le grand atout de l’original était vraiment l’atmosphère inquiétante, lourde de mystère et de menaces dégagée par les phénomènes surnaturels ainsi que l’imagerie iconique et glaçante de ce groupe d’enfants blonds déshumanisés. En transposant le cadre de l’Angleterre aux Etats-Unis dans son remake, Carpenter cherche notamment à inscrire l’histoire et les thèmes dans une notion de communauté plus marquée.

Cette petite ville de Nouvelle-Angleterre déploie dans son introduction toute la facette chaleureuse de la communauté WASP américaine traditionnelle. L’irruption du surnaturel vient donc révéler les failles de cette harmonie apparente, en dévoiler les secrets et exposer les démons de ses habitants, un sillon que Carpenter creuse dans des œuvres comme Halloween (1978), Fog (1980) ou même L’Antre de la folie (1995). Comme souvent, le mal prend l’allure de quelque chose d’indicible, d’insaisissable lors de la scène d’ouverture où une ombre noire, un murmure maléfiquent sillonne les paysages bucoliques de la région. La séquence de « blackout » de la ville a cependant moins de force que dans le film original, où le sentiment d’inquiétude et l’imagerie de désolation se nourrissaient autant de la fiction (un parfum de La Quatrième dimension flottait sur le film de Rilla) que du contexte politique de l’époque (la peur du nucléaire) et renforcés par l’anxiété qu’ajoute l’usage du noir et blanc. Cependant, le scénario de David Himmelstein apporte dans cette ouverture une caractérisation plus approfondie et bienvenue du microcosme de la ville, notamment des femmes qui tomberont enceintes après le phénomène de léthargie collective.

Chez Carpenter, l’idée du Mal repose à la fois sur un Autre, opaque et insaisissable - les gangs d’Assaut (1976), Michael Myers dans Halloween - que sur la nature néfaste inhérente à l’Homme. Dès lors, le corps humain devient un réceptacle idéal pour l’invasion de cet Autre, que ce soient les dégénérescences corporelles de The Thing ou les possessions de Prince des ténèbres (1987) facilitées par un sentiment de peur et de paranoïa. Le Village des damnés offre un bon mélange de ces deux approches, la fécondation surnaturelle façonnant des êtres totalement déshumanisés, froids et robotiques dans leur allure comme dans leur comportement. Carpenter pousse finalement jusqu’au bout le cadre WASP de cette communauté américaine, où l’Autre tant craint s’immisce de l’intérieur et arbore les traits d’une aryanité où la blondeur/blancheur immaculée se prolonge par la disparition de toute humanité. La mise en scène et la narration de Carpenter exploite cet aspect à divers niveaux.

L’harmonie supposée de la communauté s’articule dans la première partie par le montage parallèle introduisant les différents couples du film. Celle-ci est en partie brisée par les phénomènes surnaturels et laisse une autre forme d’équilibre s’instaurer. Avant même l’arrivée des enfants maléfiques, toute l’imagerie du film bascule soudain dans une logique géométrique qui anticipe le fait que ces progénitures ne pourront être dissociées et formeront une entité unique. L’arrivée simultanée des voitures à l’hôpital lors de la scène d’accouchement l’explicite, tout comme le feront les séquences de grossesses (où toutes les activités et les exercices sont réalisés ensemble par les familles) et le poursuivront les scènes d’accouchements puis de baptêmes collectifs. Dès lors, ce côté métronomique, équilibré et déshumanisé du groupe d’enfants peut donc se manifester dans la mise en scène de Carpenter dont chaque travelling, chaque cadrage et chaque composition de plan (sa maîtrise du Cinémascope étincelle dans ce sens) nourrissent cette idée de collectif fonctionnant comme un être unique.

Les dysfonctionnements viendront des éléments épars qui grippent cette harmonie froide. L’une des femmes enceintes est une adolescente encore vierge et ne rentrant pas dans la caractérisation des couples installés et traditionnels des autres victimes. Ce sera la seule à perdre son enfant et du coup, le déséquilibre puritain et bien humain (une grossesse avant le mariage, et même une souillure de l’idée d’Immaculée conception) vient infecter l’équilibre de l’Autre venu d’ailleurs. Ce nourrisson décédé brise alors la composition logique des enfants pensée aussi par couple, par pair. David, seul enfant amputé de sa moitié prédestinée, sera celui qui parviendra à manifester des sentiments humains. Carpenter le souligne par l’image lors des fameuses scènes où il accompagne les déambulations des enfants en le plaçant seul en queue de file. Ensuite des dialogues subtils avec sa mère (Linda Kozlowski) et le médecin bienveillant incarné par Christopher Reeve - tous deux ayant perdu leurs compagnons respectifs, la singularité naît encore du déséquilibre - invitent progressivement les émotions sur le visage du jeune garçon prêt à suivre son propre chemin.

Ce propos est finalement si intéressant que les purs éléments fantastiques et les démonstrations de force des enfants paraissent un peu ternes à côté. On aurait aimé, au vu de cette approche intéressante, voir les rapports des autres enfants à leur famille d’adoption, ressentir cette connexion impossible contrairement à David et rendre ainsi plus cathartiques et touchantes les mises à mort. Hélas, dans sa dernière partie, le film retrouve sa logique de série B, enchaînant les meurtres chez son casting de vieux briscards (Mark Hamill, Michael Paré, Kirstie Alley...) mais sans transcender certaines figures (le prêtre joué par Mark Hamill) ou situations clichées (la dernière partie façon Sorcières de Salem). Cette force dramatique existe tout de même grâce à la belle prestation de Christopher Reeve, mélange de force et de fragilité dans cette figure morale. Son interprétation habitée transcende vraiment certaines belles idées pauvrement exploitées, comme ce mur mental que se façonne le personnage pour ne pas voir ses pensées lues par les enfants. Malgré ses imperfections, voici un remake très intéressant donc qui parvient à trouver sa propre voie.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 2 juin 2022