Menu
Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Sherif d'El Solito

(The Hard Man)

L'histoire

Le Texas Ranger Steve Burden (Guy Madison) est depuis quelques jours sur la trace d’un ancien co-équipier accusé de meurtre, Ray Hendry (Myron Healy). Ayant réussi à l’appréhender, Steve est obligé de l’abattre en état de légitime défense ; en effet, clamant son innocence mais persuadé que s’il est jugé à El Solito - la petite ville où il aurait commis son crime - il finirait au bout d’une corde, Ray a préféré tenter sa chance de s’enfuir en dégainant... mais trop lentement ! Ramenant le corps de Hendry au QG des Rangers, Steve se fait vertement réprimander par le capitaine qui lui dit que son badge ne représente pas un permis de tuer et qu’il serait plus raisonnable qu’il ne liquide pas tous les fuyards qu’il est chargé d’arrêter. Vexé - d’autant plus qu’il a rejoint les hommes de loi pour faire oublier que son père était un outlaw -, Steve démissionne. Sim Hacker (Robert Burton), le shérif d’El Solito, en profite pour lui demander de l’accompagner en ville et éventuellement de le seconder dans sa rude tâche d’autant que sa bourgade est sous la coupe de Rice Martin (Lorne Greene), un propriétaire terrien qui ne recule devant rien pour agrandir son domaine et qui serait à l’origine du piège tendu à Hendry. Refusant dans un premier temps de reprendre un badge d’adjoint, Steve finit par accepter quand il commence à comprendre qu’il a tué son ami alors que ce dernier était véritablement innocent, pris dans les griffes non seulement de Rice mais également de son épouse, la charmante Fern (Valerie French), une femme qui se révèle vite dépravée et vicieuse...

Analyse et critique

Après nous avoir offert à la fin des années 1940 des westerns aussi plaisants et colorés que Black Bart (Bandits de grands chemins) et Calamity Jane and Sam Bass (La Fille des prairies), George Sherman entamait en début de décennie suivante une série de westerns pro-Indiens aujourd’hui un peu oubliés mais pourtant tout à fait dignes d’éloges, et qu’il n’est pas inutile de remettre en avant à chaque occasion qui nous en est donnée. Ce fut tout d'abord Sur le territoire des Comanches (Comanche Territory) dont le côté bon enfant et l’imagerie naïve étaient totalement assumés, puis surtout le splendide et méconnu Tomahawk ainsi que le très bon Au mépris des lois (Battle at Apache Pass), traités tous les deux au contraire avec le plus grand sérieux et la plus grande gravité. Dès l’année suivante, en 1953, on ne compta plus au contraire les flagrants ratages du réalisateur dans le domaine du western ; mais cette malheureuse loi des séries prit fin en 1956 avec La Vengeance de l’Indien (Reprisal !) qui démontrait que Sherman avait encore de très beaux restes. Ce fut l’un des meilleurs films de son inégale carrière voire même l’un de ses westerns les plus réussis, étrangement inédit en France tout comme ce second western avec Guy Madison en tête d’affiche, le très honorable The Hard Man qui, sans rien révolutionner, méritait néanmoins de se voir offrir un petit coup de projecteur et de sortir de l’oubli.

Très peu apprécié par la critique française (même Patrick Brion dans la présentation du film en bonus du DVD le trouve terne), Guy Madison avait pourtant été à mon avis parfait dans La Poursuite dura 7 jours (The Command) de David Butler et plus encore dans La Charge des Tuniques bleues (The Last Frontier) d'Anthony Mann, ainsi qu’à nouveau excellent dans Reprisal ! où il tenait un rôle qui - tout du moins durant la première demi-heure - n’était guère gratifiant puisque son personnage nous était présenté comme grandement antipathique, n'ayant que peu d'empathie envers ses prochains, affichant au contraire à l'égard de tous une totale indifférence. La richesse d’évolution de son personnage ainsi que le cheminement qui l’aura mené à la recherche de sa véritable identité auront fait partie des plus grandes qualités de ce western de série B d’une incroyable densité malgré sa faible durée d’à peine 70 minutes. Même si inférieur au film précédent, on pourrait dire en gros la même chose à propos de The Hard Man, le titre original ayant d’ailleurs pu nous le laisser présager quant à l'absence de manichéisme chez le personnage principal. Steve Burden est un homme de loi sans concessions, n’ayant que peu de problèmes de conscience lorsqu’il s’agit d’abattre un fuyard qui ne se laisse pas appréhender. Le film débute par sa plus belle séquence, qui rappelle l’ouverture d’une sécheresse étonnante du sublime Sept hommes à abattre (Seven Men from now) de Budd Boetticher, une scène de fin de traque sous une pluie battante qui voit notre Texas Ranger abattre l’un de ses ex-coéquipiers qui clamait pourtant son innocence. On le voit ensuite se faire humilier en public par son boss, qui n’apprécie guère que son employé se serve de son étoile comme d’un "permis de tuer" et estime que finalement cela ne l’étonne pas plus que ça, la seule chose différenciant ce dernier de son bandit de père étant son insigne.

Sa réputation de "Hard Man" est d’emblée mise en lumière et lorsque le shérif d’El Solito lui demande de l’aide pour remettre de l’ordre dans sa petite bourgade, Burden n’est pas dupe, sachant pertinemment que cette requête lui est faite en raison de sa "sale" notoriété. Il lui demande d’ailleurs sans ambages si son engagement n’est pas celui d'un gunman plutôt que celui d'un probe assistant ; sur quoi le vieux shérif acquiesce, lui avouant sans détours qu’il ne souhaite désormais plus intervenir dans les rivalités qui se déroulent sous ses yeux pour pouvoir partir à la retraite en pleine forme et si possible... en vie. C’est donc en quelque sorte un tueur à gages qui accepte de reprendre son étoile, d’autant que le shérif vient de lui mettre la puce à l’oreille comme quoi l’ex-ami qu’il vient de tuer aurait été piégé par les hommes qui dominent la ville. Burden a alors plus dans l’idée de venger le crime qu’il a été obligé de commettre à l’encontre d’un innocent que de venir en aide au shérif de la ville. Au vu de toutes ces séquences qui ouvrent le film, on peut dire que le titre original fut très bien choisi et que les enjeux narratifs de ce postulat de départ ainsi que l’évolution de cet homme aux instincts de tueur a priori sans scrupules sont les éléments les plus intéressants de ce western, autrement assez classique dans son histoire, celle de la domination d’une petite ville par un cattle baron qui n’hésite pas à tuer ses voisins pour s'accaparer leurs terres, un homme aux méthodes expéditives étant appelé à la rescousse pour le contrer et mettre un terme à ses agissements. Il va sans dire que Guy Madison se révèle absolument parfait dans ce personnage peu loquace et qui ne rechigne pas non plus à accepter les baisers et caresses que lui offre la vénale Valerie French, l’une des femmes fatales les plus méprisables vues jusqu'à cette date dans un western. N’ayant qu’une idée en tête, faire passer son époux de vie à trépas, elle va entrainer dans ses plans ignominieux plus d’un homme à la fois qu’elle utilisera à sa guise pour arriver à ses fins ; elle ne s’en cache d’ailleurs pas mais comme le désir qu'elle provoque fait oublier la raison...

Tout comme Guy Madison, la comédienne Valerie French - qui tenait un rôle à peu près similaire dans l’excellent Homme de nulle part (Jubal) de Delmer Daves - s’avère irréprochable (un constat assez cocasse : l’année précédente George Sherman avait choisi l’autre actrice principale du film de Daves pour être confrontée à Guy Madison dans Reprisal !, à savoir Felicia Farr). La très jolie Valerie French sera la même année au casting d’un des plus grands westerns de l’histoire du cinéma, à nouveau un western urbain encore bien trop peu reconnu : l’étonnant, déprimant et magnifique Decision at Sundown de Budd Boetticher. L’auteur du scénario de The Hard Man (qui est aussi celui de l'excellent Traquenard - Party Girl de Nicholas Ray) a eu la bonne idée de ne faire intervenir ce puissant personnage féminin qu’au bout d’un tiers du film alors que tout le monde en avait déjà abondamment parlé, entretenant le mystère et la forte envie de la découvrir enfin en chair et en os. Lorsque ce sera le cas, une nouvelle thématique se mettra en place, rarement abordée dans le genre auparavant, la manipulation par l’attirance sexuelle qui entraîne ce western - pour le meilleur - vers des horizons assez troubles. A côté de cet impeccable duo de cinéma constitué par Guy Madison et Valerie French, on trouve outre quelques efficaces seconds rôles, Lorne Greene  -le gentil Ben Cartwright, patriarche de la future série Bonanza - dans la peau du rancher cupide et sans scrupules ; même s’il a un peu trop tendance à crisper la mâchoire, il s’avère un bad guy assez convaincant dans l’ignominie. Lorsqu’en fin de parcours il prévient notre héros qu’il a embauché un tueur à gages dont personne ne connait l’identité pour définitivement l’éliminer, le film de Sherman bifurque sur des rails évoquant cette fois la paranoïa qui s’empare de l’homme de loi devenu gênant, croyant voir derrière chaque inconnu le détenteur du contrat qui pèse sur sa tête, le cinéaste sachant parfaitement bien gérer le suspense par la seule malignité de sa mise en scène.

Un scénario aux nombreuses pistes très intéressantes - mais à peine ébauchées faute de temps pour les développer - qui tient très bien la route, non dépourvu de détails originaux (le barbier qui officie au fond du saloon) et qui bénéficie de dialogues acérés, de solides performances d’acteurs et une mise en scène efficace comprenant de beaux mouvements de caméra. Un western urbain parfois proche du film noir, certes peu surprenant mais néanmoins de très bonne facture à l’image de son entrée en matière sans préambules et de son final sec et violent. 75 minutes qui nous tiennent en haleine tout du long.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 29 octobre 2016