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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Vengeance de l'Indien

(Reprisal!)

L'histoire

Frank Madden (Guy Madison) arrive dans la petite ville de Kendall en Oklahoma ; il doit prendre possession d’un ranch qu’il vient d’acheter alentours. Ce jour-là les rues sont désertes ; et pour cause, tous les habitants se sont rendus dans le saloon pour assister au procès des trois frères Shipley (Michael Pate, Edward Platt et Wayne Mallory), accusés d’avoir lynché deux Indiens. En deux temps trois mouvements, les meurtriers sont acquittés à l’unanimité par un jury blanc peu sensible aux arguments du juge d’instruction qui disposait pourtant de preuves accablantes. Le shérif craint que ce verdict déclenche des représailles de la part des Indiens. Frank semble n’avoir cure de cette injustice au grand dam de Catherine (Felicia Farr), la fille du notaire, qui venait de tomber sous son charme et qui n’en est que plus attristée. Quoi qu’il en soit, Frank se rend sur ses terres et découvre que ses voisins ne sont autres que les frères Shipley. Son arrivée n’est pas du goût de ces derniers, car non seulement Frank décide d’entourer sa propriété de barbelés mais de plus il embauche un Indien pour l’aider. Les Shipley vont tout faire pour le provoquer alors que dans le même temps les Natives supportent de plus en plus mal le mépris qu’on leur porte et les mauvais traitements qu’on leur inflige. L’arrivée sur place d’un vieil Indien qui semble très bien connaitre Frank va dévoiler un secret que ce dernier avait jusqu’à présent réussi à cacher, ce qui va encore plus attiser la colère des villageois...

Analyse et critique

La période faste du réalisateur ayant pris fin quelques années en arrière, et après plusieurs flagrants ratages, Reprisal! se révèle être une très belle surprise, l’un des meilleurs films de la dernière partie de carrière de l’inégal George Sherman, voire même l’un de ses westerns les plus réussis. Étrangement inédit en France (tout du moins n’ayant pas bénéficié d’une sortie parisienne), ce western diffusé néanmoins à la télévision peut être retrouvé dans certaines anthologies sous différents titres : La Vengeance de l'indien, Le Sang de l'indien ou bien encore sous son titre belge, traduction littérale de l’original, Représailles ! Après nous avoir offert à la fin des années 1940 des westerns aussi plaisants et colorés que Black Bart (Bandits de grands chemins) et Calamity Jane and Sam Bass (La Fille des prairies), George Sherman entamait au début de la décennie suivante une série de westerns pro-Indiens aujourd’hui un peu oubliés mais pourtant tout à fait dignes d’éloges. Ce fut tout d'abord Sur le territoire des Comanches (Comanche Territory) dont le côté bon enfant et l’imagerie naïve étaient totalement assumés, puis surtout le splendide et méconnu Tomahawk ainsi que le très bon Au mépris des lois (Battle at Apache Pass), traités tous les deux au contraire avec le plus grand sérieux et la plus grande gravité. Dès l’année suivante, en 1953, The Lone Hand marquait un net recul qualitatif. Après Les Rebelles (Border River) et Le Trésor de Pancho Villa, on aurait pu croire que le Mexique ne semblait pas avoir grandement inspiré le réalisateur mais ses westerns pro-Indiens qui suivirent (Le Grand chef et Comanche) n’étaient guère meilleurs. Même si je continue de penser que sa période la plus réjouissante se situe bel et bien derrière lui, ses meilleurs westerns étant ceux tournés entre 1948 et 1952 pour la compagnie Universal, en 1956 La Vengeance de l’Indien démontrait que le réalisateur avait encore de très beaux restes.

George Sherman aura donc été le réalisateur à avoir le plus souvent œuvré pour la défense des Natives américains dans le cinéma hollywoodien, plus encore que Delmer Daves ! Sans qu’il ne soit aussi puissant et réussi que le magnifique Tomahawk, on pourra aisément ajouter Reprisal! à la liste des westerns les plus intéressants et les plus originaux à ce sujet. Il s’agit de l’adaptation d’un roman d’Arthur Gordon, un homme qui ayant pris connaissance dans les années 1940 d’un lynchage qui eut lieu dans son Etat de Géorgie, s’en trouva profondément bouleversé et se mit immédiatement à relater ce drame dès son retour de la Seconde Guerre mondiale. Les scénaristes ont transposé cette histoire tragique de la Côte Est à la Côte Ouest, les victimes du roman étant non pas des Indiens mais des Noirs. Le résultat est néanmoins a priori identique : une charge virulente et sans concessions contre le racisme ambiant dans une Amérique dominée quantitativement par des Blancs témoignant un profond mépris pour les minorités ethniques. Dans le film de George Sherman, hormis quelques notables comme le shérif, le juge et le notaire, les citoyens de cette petite ville de l’Oklahoma sont tous haineux et dédaigneux envers les Indiens qui, même s’ils fréquentent parfois les rues de la cité, ont été obligés d’établir leur camp à quelques kilomètres de là, vivant dans des cases sans confort. La parodie de procès qui ouvre le film le place d’emblée parmi les pamphlets les plus corrosifs à l’encontre de cette société xénophobe. Alors que le juge expose les preuves les plus accablantes contre les trois accusés du meurtre de deux Indiens, le jury n’en tient absolument pas compte et acquitte ces derniers sans même prendre le temps de délibérer ; et le public non seulement d’applaudir en chœur mais de fêter cette victoire en allant faire du grabuge dans le camp indien ! Une séquence d'une dizaine de minutes, superbement découpée, écrite et filmée (à l’aide de délicats mouvements de caméra) qui, faisant suite à la première scène de l’arrivée de Guy Madison dans les rues désertes de la ville, fait immédiatement penser que nous allons assister à l'exécution d’un excellent western. Et la suite ne démentira pas cet a priori positif !

A commencer par la personnalité du héros interprété par Guy Madison. Avant toute chose, posons-nous la question de savoir pourquoi un comédien "beau gosse" ne pourrait pas posséder un talent dramatique en même temps qu’une belle gueule ? Car c’est à peu près ce qui ressort assez régulièrement sous la plume de beaucoup de commentateurs ; comment se fait-il que de jeunes acteurs comme Jeffrey Hunter, Robert Wagner, Troy Donahue ou justement Guy Madison aient autant été critiqués alors qu’au contraire il me semble qu’ils nous aient souvent prouvé qu’ils pouvaient accomplir de belles performances d’acteur ? Madison avait été déjà parfait dans La Poursuite dura 7 jours (The Command) de David Butler et plus encore dans La Charge des Tuniques bleues (The Last Frontier) d'Anthony Mann. Il est à nouveau excellent dans ce rôle qui, tout du moins durant la première demi-heure, n’est guère gratifiant puisque Frank Madden nous paraît grandement antipathique ou tout du moins guère empathique envers ses prochains, affichant à l'égard de n'importe qui une totale indifférence. Il n’hésite pas à dire à la femme progressiste qui est tombée sous son charme, et qui ne supporte pas les injustices commises à l‘encontre des Indiens, qu’il n’a pas envie d’exprimer ses opinions ni vouloir prendre fait et cause pour l’un ou l’autre camp.

[SPOILERS] On apprendra ensuite - sans franchement que cela nous soit venu à l’esprit malgré le titre français peu discret - la double identité de ce personnage qui se révèle en fait être un métis dont le père, un chasseur blanc, l’a abandonné à sa mère indienne dès sa naissance. Ayant vécu misérablement dans une réserve toute sa jeunesse, il a fini par la fuir avec d’autant plus de facilité que ses traits physiques ne font absolument pas ressortir sa part de sang indien. Pour retrouver des conditions de vie décentes, il cache son héritage indien dans l’espoir de pouvoir se fondre dans la société des Blancs. On peut même dire qu’il ira jusqu’à le nier en affichant une réelle insensibilité au sort encore réservé à ses frères de sang. A son actif, il dédaigne tout autant les Blancs majoritairement xénophobes, ne recherchant dans cette région que sa propre quiétude, souhaitant être aveugle devant tout ce qui l'entoure. [FIN DES SPOILERS] La richesse d’évolution de son personnage ainsi que le cheminement qui le mènera à la recherche de sa véritable identité font partie des plus grandes qualités de ce western de série B, d’une incroyable densité malgré sa faible durée d’à peine 70 minutes.

Les autres protagonistes se révèlent également presque tous intéressants. A commencer par celui interprété par la douce Felicia Farr qui tournait la même année dans deux chefs-d’œuvre de Delmer Daves, La Dernière caravane (The Last Wagon) et L’Homme de nulle part (Jubal), et à qui George Sherman fera à nouveau appel pour l’un de ses derniers films, Le Diable dans la peau (Hell Bent for Leather) dans lequel elle aura Audie Murphy pour partenaire. Pour l’anecdote et vu qu’il est cité ci-dessus, si vous avez eu l’impression de connaitre par cœur le thème musical le plus mémorable de La Vengeance de l’Indien, c’est tout à fait normal puisqu’il s’agit également du thème principal de Jubal, Mischa Bakaleinikoff effectuant la même chose à la Columbia que Joseph Gershenson à la Universal : chargé de la supervision des bandes originales des films du studio, il recycle très souvent à cette époque des thèmes préexistants pour les films de séries B. Pour en revenir au très attachant personnage féminin de Catherine, il s’agit d’une femme au caractère bien trempé ne supportant pas les outrages faits aux Indiens qu’elle a toujours soutenus ; elle est d’autant plus en colère depuis que le meurtre qui débute le film a fait pour victime l’un de ses amis d’enfance. C'est un personnage magnanime qui n’en concevra pas pour autant à un moment donné une profonde jalousie pour une probable rivale en amour, des propos violemment racistes viendront à sortir de sa jolie bouche, chose finalement assez choquante venant de la part d'un personnage qui nous semblait jusque-là comme un modèle de tolérance. Et c’est là que l’on se rend vraiment compte que le scénario n’a jamais fait preuve de manichéisme, certains Indiens pouvant se révéler très violents (même si cela peut se comprendre), certains Blancs comme le juge ou le shérif pouvant se montrer au contraire remarquablement posés, indulgents et intègres. Quant aux Indiens, ils sont tous décrits avec une grande dignité ; dans ce "camp" on se souviendra surtout de la très charmante Kathryn Grant (qui fut l’épouse de Bing Crosby) ainsi que de l’acteur Ralph Moody, ce dernier très émouvant dans la séquence qui arrive au bout d’une demie heure et qui dévoile le secret de Frank Madden. Il s'agit du pivot du film, une scène assez longue entre Moody et Madison remarquablement bien dialoguée et superbement interprétée qui devrait faire sauter les réticences à l’égard d’un Guy Madison plutôt juste et charismatique.

Presque tous les seconds rôles mériteraient également d’être cités à commencer par les interprètes des trois inquiétants bad guys, Michael Pate, Edward Platt et Wayne Mallory (le propre frère de Guy Madison dans le civil). L’écriture du personnage de Bert Shipley (parfaitement bien tenu par Michael Pate, qui a auparavant joué un nombre impressionnant d’Indiens dans divers westerns) est même significative de l’intelligence du scénario écrit à trois mains, qui parvient à nuancer et à donner de la consistance à la plupart des protagonistes (même les plus insignifiants) qui se seront révélés au final pour la plupart bien plus complexes qu’en apparence. Sur la forme, le film n’est pas en reste grâce surtout au travail du réalisateur, Sherman prouvant à nouveau que quand il s'en donnait la peine, il était capable de parfaitement maîtriser son cadre (la plupart de ses gros plans sur les visages sont mémorables), d'apporter une extrême tension à certaines séquences par le seul truchement du placement de ses personnages, du montage et encore de sa manière de cadrer (la formidable scène au cours de laquelle Wayne Mallory tente de provoquer Guy Madison en duel...), ou encore de rythmer et rendre puissamment dynamique n'importe quel type de scène d’action violente. On trouve même dans le courant du film quelques éclairs de génie, comme cette idée du long plan statique en plongée lorsque celui que l’on allait pendre se retrouve d’une seconde à l’autre tout seul au milieu de la rue, la foule se dispersant et repartant de chaque côté de l’écran, et Madden se trouvant du coup abandonné aussi bien par ses bourreaux que par ses amis. Une image qui fait son effet comme quelques autres encore...

Reprisal! est un beau western pro-Indien à la fois sérieux et pudique et qui, outre son semi happy-end ne collant pas vraiment avec tout ce qui a précédé, se sera révélé tout du long d’une exceptionnelle rigueur pour aborder des thèmes aussi difficiles que le racisme ambiant suite aux guerres indiennes, la folie meurtrière d’une foule ou encore la difficulté d’être un sang mêlé. Par son sujet et sa relative noirceur, ce western se place dans la droite lignée du chef-d’œuvre d’Anthony Mann, La Porte du diable (Devil’s Doorway) ; un film longtemps attendu par les westernophiles et qui, au vu de sa très flatteuse réputation, ne démérite pas.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 16 avril 2016