L'histoire
Vivant dans des cités dortoirs de la banlieue parisienne, les jeunes sont au chômage et s'ennuient. Les adultes, estimant que la police ne fait pas son travail, s'organisent en milice pour faire peur à la "peste" que représente cette "fainéante" jeunesse. Dans ce cadre, Marcel (Jacques Spiesser), la vingtaine, arrive avec le vieux camion hérité de son père à la recherche d'un travail en tant que transporteur. Il fait la connaissance d’une bande de jeunes inactifs et s'y intègre, l'une d'entre eux devenant sa petite amie (Isabelle Huppert). Pas en règle avec ses papiers, il a vite affaire à la police. Par sa bienveillance, le commissaire du quartier (Yves Robert) prend en main son "insertion". Mais sans avoir vraiment conscience de ce qu’on lui fait faire, le naïf Marcel va devenir un "indic" en surveillant ses amis dont se plaignent les habitants du quartier...
Analyse et critique
Jacques Fansten, réalisateur, scénariste et producteur, président des auteurs et compositeurs dramatiques jusqu’en 2017, est toujours relativement peu connu de la sphère cinéphile ; il faut dire que sa filmographie n’est pas très conséquente concernant le cinéma, la télévision lui ayant offert bien plus de possibilités pour s’accomplir. Il fut pourtant au tout début assistant de Robert Enrico et de Claude Chabrol, pour ce dernier sur deux de ses films les plus célèbres, Que la bête meure et La Femme infidèle, mais également au milieu des années 70 à l’origine en tant qu’auteur complet de ce premier film très intéressant qu’est Le Petit Marcel avec Jacques Spiesser, Yves Robert ainsi qu'Isabelle Huppert dans l’un de ses premiers rôles d’importance. Après de nombreux refus pour différents scénarios, il s’agit du premier enfin accepté à l'Avance sur recettes par le CNC ; et c’est surtout grâce à Yves Robert et sa société les Productions de la Guéville que son projet aura pu définitivement se concrétiser, alors qu'il avait eu auparavant assez de mal à réunir des fonds suffisants pour se lancer.
L’action du Petit Marcel se déroule au sein des grands ensembles de la banlieue parisienne avec comme protagonistes principaux des jeunes au chômage ainsi qu'entre autres, outre des policiers qui les surveillent de près au point de les harceler avec un peu trop de zèle et de provocations, des adultes estimant que les forces de l’ordre ne font pas correctement leur travail, s'organisent en milice pour faire peur à la "peste" que représente pour eux cette jeunesse chevelue et désœuvrée, pourtant pas bien méchante, tout du moins celle présentée dans le film. L’idée était de brosser le tableau sociétal d’une certaine frange de la population du milieu des années 70 - assez bien saisie d’ailleurs - ainsi que d’essayer de faire comprendre ce qu’était "une société de surveillance" et l’engrenage qui pouvait conduire une personne lambda, proie facile, à devenir un "indic" et ainsi trahir ses amis. Une idée venue à Fansten en se souvenant scandalisé d’un de ses copains repéré dans les manifs gauchistes de l’époque et qui, ayant ensuite trouvé un travail dans un ministère, avait été sommé de but en blanc "de choisir entre eux et nous". Le Petit Marcel va ainsi être conduit par un policier d’un abord très humain à surveiller les nouveaux amis qu’il s’est fait en arrivant à la capitale, lui faisant une sorte de chantage en lui facilitant l’obtention de papiers administratifs pour pouvoir travailler ainsi que l’acquisition d’un studio à condition qu’il donne des renseignements sur les agissements des jeunes qu’il fréquente, savoir s’ils ne seraient pas subversifs, c’est-à-dire encore à cette époque juste un peu "communistes sur les bords".
"Une des réflexions que l'on se faisait en abordant le sujet avec Jean-Claude Grumberg, c'était de nous dire : on ne fait pas un film de dénonciation ; si c'est un film politique, ça ne peut être qu'au sens de se poser des questions ; donc une des règles absolues que l'on s'était donné : il faut que chaque personnage puisse être convaincu que ce qu'il fait il a raison de le faire […] On ne raconte que des braves gens ; ce sont des bonnes volontés qui vont se fourvoyer." Franchement, à le revoir aujourd’hui, même si l’on ne remettra pas en cause la sincérité des auteurs, il est difficile d’accorder beaucoup de crédit à ces intentions qui semblent entretemps un peu avoir volé en éclats ; car quoi qu’il en dise dans son entretien récent en bonus de ce Blu-ray, le ressenti que l’on a en découvrant le film est que le réalisateur prend clairement fait et cause pour la bande de jeunes alors que les adultes ne sont pas vraiment croqués avec indulgence, pas plus le commissaire de prime abord très sympathique superbement interprété par Yves Robert. Même si le chef de la police, très paternaliste, dit à Marcel de surveiller ses amis pour leur propre bien, on se rend assez vite compte qu’il n’est pas entièrement de bonne foi et le manipule, à moitié complice du pouvoir par ses compromissions avec le maire qui n’est autre que son beau-père et n’étant pas très virulent face à son beau-frère à la tête d’un groupuscule d’extrême droite aux manières un peu expéditives. Jean-François Balmer est un directeur de supermarché qui exerce le droit de cuissage sur toutes ses employées ; quant au personnage trouble d’une "bonhomie haïssable" joué par Marcel Bénichou, c’est un méprisable opportuniste mangeant à tous les râteliers par pur égoïsme, usant abusivement de la naïveté de Marcel d’autant plus que ce dernier n’a aucunes convictions politiques. Bref, des "braves gens" de cette sorte, on préfèrerait ne jamais se frotter à eux.
Les virages scénaristiques que prend le film sont souvent assez inattendus, d'une chronique de mœurs façon Pialat de Passe ton bac d'abord, Le Petit Marcel bifurque vers un cinéma politique et social se rapprochant de celui de Costa-Gavras ou Yves Boisset. Cela n'en fait pas un brûlot pour autant car l’ensemble manque un peu de mordant à l'image de son héros expressément assez transparent, mais cela s'en approche parfois, notamment à partir du moment où les divergences d'opinions politiques provoquent lors d’une fête organisée par des militants extrémistes de droite la mort d’un jeune banlieusard sans qu'elle ne soulève d'indignation parmi la population. Malgré le fait que le jeune garçon ait été défenestré, cette tragédie ne conduira à aucune enquête, le suicide ayant été prononcé sans suites. Les jeunes acteurs sont tous assez naturels, les adultes tous très bons, que ce soit Yves Robert, Michel Aumont (le barman), Jean-François Balmer (le patron de supermarché) ou Anouk Ferjac (la femme du commissaire). Le film est fortement ancré dans son époque, le cinéaste décrivant les cités presque comme un documentariste, et l'on constate a postériori que rien n'a vraiment changé depuis ces années 70, que les problématiques étaient déjà les mêmes et que le "racisme antijeune" n'est absolument pas nouveau.
Alors que, au vu du titre, l’on pouvait aussi s’attendre à une chronique de mœurs à la Pascal Thomas (ce qui n’est aucunement un reproche surtout lorsqu’on parle de ses films des années 70), quelle surprise que de tomber sur un film militant clairement à gauche, parfois assez ambigu, essayant tant que possible d’éviter le manichéisme sans toutefois toujours y parvenir. Quant à la séquence finale, ouverte ou provocatrice c'est selon, elle est vraiment assez imprévisible et finir de faire de cette œuvre parfois assez cynique bien plus qu'une modeste description des jeunes de banlieues (ce qui aurait déjà été très bien, l’étude du milieu étant assez juste) : un essai sociologique et une réflexion assez captivante sur les mécanismes et engrenages qui conduisent à la manipulation de personnes faibles qui en arrivent ainsi à la délation. L'accueil critique fut généralement très bon (au point que Les Cahiers du Cinéma lui consacrèrent plus de dix pages) mais Le Petit Marcel connut un bide retentissant en salles. Un petit film méconnu, qui manque parfois de finesse et d’âpreté, mais qui mériterait néanmoins de sortir de l'oubli.