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Critique de film
Le film

Le Pays Bleu

L'histoire

Beaucoup de citadins sont attirés par une vie plus simple et plus calme à la campagne en cette fin des années 70 ; ceux du film se rendent dans une vallée provençale isolée dans le Vaucluse. Certains s’y épanouiront, d’autres s’y ennuieront. Mais tous auront quand même fait de chaleureuses rencontres et notamment Louise (Brigitte Fossey), jeune infirmière parisienne qui est tombée amoureuse de la région et a décidé d’y finir ses jours. Elle organise d’ailleurs un repas champêtre dans son jardin afin que la soixantaine d’habitants de son village s’y retrouvent, fassent connaissance et tissent des liens plus proches. C’est Mathias (Jacques Serres), célibataire endurci, fier de sa liberté et de sa réputation de plus gros dormeur de la région, qui va se faire une place dans son cœur...

Analyse et critique

Jean-Charles Tacchella a aujourd’hui 94 ans et ce n’est plus un nom de réalisateur très connu des jeunes cinéphiles ; dommage car sans atteindre des sommets, sa filmographie recèle de très bonnes surprises comme ce troisième long métrage qu’est Le Pays Bleu, trop rarement évoqué contrairement à son précédent film qui reste encore de nos jours son plus grand titre de gloire, Cousin, Cousine, surtout réputé pour avoir été récompensé par le Prix Louis Delluc 1975, ainsi que nommé pas moins de trois fois dans la catégorie meilleur film aux Césars, Oscars et Golden Globe Awards ; il reste également encore l’un des plus grands succès au box-office du cinéma français. Si à mon humble avis il est totalement gâché par le scénario et les dialogues de Danièle Thompson, il n’en va pas de même pour Le Pays bleu pour lequel le réalisateur s’est affranchi de toute aide concernant l’écriture, grand bien lui en a pris ! Mais pas plus ce film que les suivants n’ont accompli, au contraire de Cousin, Cousine, de miracles au box-office même s’ils bénéficiaient d’une assez bonne cote de sympathie à l’époque de leur sortie, assez méritée selon moi, que ce soit Croque la vie avec Brigitte Fossey à nouveau, cette fois entourée de Bernard Giraudeau et Carole Laure, Escalier C avec Robin Renucci, Jean-Pierre Bacri et bien d’autres, ou encore Travelling avant avec toute une bande de jeunes comédiens comme Thierry Frémont, Ann-Gisel Glass ou Simon de la Brosse, l’un des rares films dont le thème principal est la cinéphilie. Tachella connaissait d’ailleurs très bien le sujet pour avoir été fondateur de ciné-club à la fin des années 40 et avoir écrit dans différentes revues de cinéma.


Après avoir été scénariste pour Christian-Jaque, Michel Boisrond, Jean Dewever ou Alexandre Astruc, feuilletoniste à la télévision puis auteur de théâtre, Tacchella se lance donc dans le cinéma au début des années 70 avec pour premier long métrage Voyage en Grande Tartarie et comme tête d'affiche Jean-Luc Bideau. Ne tournant évidemment plus, il est néanmoins toujours président d'honneur de la Cinémathèque française depuis 2003. Découvrir Le Pays Bleu de nos jours apporte une véritable bouffée de fraicheur. Il s’agit d’une comédie de mœurs qui s’apparente à un film à sketchs tellement les personnages sont nombreux et l’intrigue ténue, passant d’un protagoniste à l’autre sans grand liant. Tacchella nous dépeint un microcosme villageois en pleine campagne en deux parties séparées d’une année, les deux se répondant un peu : dans la première Brigitte Fossey organise un repas champêtre où tous les habitants du village seront invités et réunis pour mieux faire connaissance, dans la seconde Jacques Serres propose à ces mêmes personnes de les emmener faire une expédition de quelques jours en car sur la Côte d’Azur. Et c’est bien tout niveau trame dramatique, la séparation des deux parties et l'ellipse d'un an se faisant après la séquence d'un suicide annoncé bien à l'avance sans que l'on n'y prête attention ! Vous pourriez alors très logiquement penser qu’il s’agit d’un film sombre ; bien au contraire ! Il s’agit d’une œuvre constamment joyeuse et extrêmement chaleureuse malgré les aléas de la vie que sont les disputes, les drames, les peines de cœur et les disparitions. Le film n’est d’ailleurs pas d’un angélisme dont on aurait pu le croire fait au vu de sa description puisque beaucoup d’habitants de la région ne seraient pas contre l’idée de la quitter, et nous serons témoins d’amours non partagées ainsi que de relations familiales larvaires.


Le Pays Bleu est avant tout la peinture d’une galerie de personnages plus doux-dingues les uns que les autres, à commencer par le couple vedette du film interprété par Jacques Serres et Brigitte Fossey. Mathias, célibataire endurci de 38 ans qui a deux passions, la liberté et le sommeil, ne se réveille d’ailleurs chaque jour que vers 6 heures... du soir ; il n’a jamais voulu être paysan comme ses parents ni avoir femme ni enfants afin d’être tranquille. Un jour il vendra sa maison pour vivre dans un cabanon, afin de pouvoir s’acheter une belle voiture américaine ainsi que louer un car dans lequel il emmènera ses concitoyens en voyage. Louise (Brigitte Fossey), est une infirmière parisienne qui rêve de ressembler à une paysanne pure et dure, de vivre le plus humblement possible et d’être enterrée dans la vallée ; une jeune femme qui n’a pas froid aux yeux, qui "aime bouffer" et qui attaque bille en tête et en public pollueurs et divers magouilleurs. Tous deux vont s’aimer dix ans durant... et surement plus encore... tout en gardant leur indépendance, se retrouvant pour faire l’amour quand ça leur chante et sans aucune sentimentalité. Autour d’eux gravitent Zoé (délicieuse Ginette Garcin), une vielle femme qui fait son marché dans le potager des autres, qui parle aux arbres, qui fait du trapèze et qui accepte de chanter pour faire retrouver le sourire aux malades ; Moïse (Armand Meffre) qui ne passe pas un jour sans penser à elle depuis qu’il y a cinq ans ils ont couché ensemble... pour le plaisir ; Manon qui sort le soir avec son pliant pour s'extasier devant le coucher de soleil et l'applaudir ; un couple de libraires parisiens venus pour un retour total à la nature, cultivant tout pour s’auto-suffire sans jamais avoir à descendre au village ; un écrivain qui découvre l’art de la paresse ; un homme qui préfère se suicider plutôt que d’être le treizième habitant du village à partir pour une vie citadine ; une vieille femme qui découvre que les homosexuels peuvent être des hommes adorables...


La petite fille de Jeux interdits est toujours aussi belle, fraîche et naturelle, Jacques Serres est assez touchant ainsi que tout le reste du casting, de Ginette Garcin à Albert Delpy (le père de Julie) en passant par Henri Crémieux, Dora Doll et tout un panel d’autres comédiens inconnus ; ils ne possèdent pas tous un talent dramatique inné mais les maladresses réelles passent plutôt bien au milieu du ton un peu décalé et excentrique du film. La photo d’Edmond Séchan dépeint avec amour cette vallée du Sud-Est et la musique de Gérard Anfosso est à l’image de ce film bon enfant, drôle, joyeuse, libre, loufoque, insouciante et lumineuse... Un hymne généreux au bonheur tout simple, au retour à la terre et à la joie de vivre, parfois maladroit et usant de pas mal de clichés mais néanmoins constamment attachant.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 2 décembre 2019