Menu
Critique de film
Le film

Cousin cousine

L'histoire

Lors du remariage de Biju (Ginette Garcin), sa mère, Marthe (Marie-Christine Barrault) fait la connaissance d’un de ses cousins par alliance, Ludovic (Victor Lanoux). Tous deux sont mal mariés, elle avec Pascal (Guy Marchand), un Don Juan veule et macho, lui avec une épouse dépressive, Karine (Marie-France Pisier), partageant son temps entre séances chez son psychanalyste et cures de sommeil. Constatant l’échec de leurs vies conjugales respectives, ils se sentent immédiatement attirés l’un vers l’autre et profitent des différentes réunions de famille pour se retrouver. Leur entourage faisant rapidement courir le bruit de l’adultère alors qu’il n’en est rien, ils décident de rendre réelle cette rumeur et d’afficher leur liaison en public. Tendrement complices, témoins de la "beauferie" qui les entourent et souhaitant s’en éloigner, ils passent donc rapidement de l’amitié à l’idylle amoureuse puis finissent tout simplement, en commun accord, par quitter leurs conjoints et enfants sans préavis ni aucuns remords.


Analyse et critique

On ne n'entend plus très souvent évoqué le nom de Jean-Charles Tacchella au détour de conversations entre amateurs de cinéma et cinéphiles ; hormis Cousin cousine, ses films suivants n’ont d’ailleurs jamais accompli de miracles au box-office même s’ils bénéficiaient d’une assez bonne cote de sympathie à l’époque de leurs sorties. Si Croque la vie, Escalier C ou Travelling avant (l’un des rares films dont le thème principal est la cinéphilie) m’étaient apparus comme loin d’être désagréables, après avoir revu leur réputé prédécesseur (récompensé par le Prix Louis Delluc 1975, nominé pas moins de trois fois dans la catégorie meilleur film aux Césars, Oscars et Golden Globe Awards) qui semblait sacrément alléchant sur le papier et que j’aurais tant voulu apprécier par sympathie pour la carrière du cinéaste, j’avoue avoir désormais quelques craintes à m’y replonger, ce film générationnel qu’est Cousin cousine m’ayant très fortement refroidi.


Si l'on peut arriver à comprendre que sa morale plutôt audacieuse ait été l’une des raisons du succès du film de Tacchella à l’époque (et encore, Bertrand Blier avait frappé bien plus fort avec Les Valseuses deux ans auparavant et Nelly Kaplan encore plus tôt avec sa Fiancée du pirate, autrement plus subversifs), il y a peu de chances, même si l’on invoque la nostalgie, pour que l’on puisse s’y raccrocher aujourd’hui ; Cousin cousine est l’exemple typique du film qui a horriblement mal vieilli (il n’y a qu’à écouter son thème musical répétitif et niaisement folâtre pour s’en convaincre) ! Et c’est peut-être la raison pour laquelle, après avoir été un classique des rediffusions télévisées sous Giscard et Mitterrand, il est ensuite retombé dans l’oubli par la volonté des programmateurs puis est resté enfermé dans les tiroirs. Simple supposition : le fait qu’un film ayant eu un tel retentissement en France et même outre-Atlantique ne sorte seulement qu’aujourd’hui en DVD ne serait-il sans doute pas dû - non pas à des problèmes de droits - mais plutôt à une certaine frilosité de la part de l’éditeur qui aurait hésité à le proposer plus tôt ? Et ce, justement en raison de son vieillissement ? Car cette comédie de mœurs, qui se veut à la fois tendre pour les deux personnages épris de liberté mais dans le même temps une peinture au vitriol de la sacro-sainte famille, échoue finalement sur les deux tableaux ; le cul entre deux chaises, Cousin cousine apparaît malheureusement aujourd’hui bien plus niais que libéré, bien plus bête que méchant !


Si Cousin cousine a pu séduire le public et la critique par sa pseudo modernité et faire illusion dans le contexte de l’époque, il aurait fallu que le cinéaste et sa scénariste Danièle Thompson assument jusqu’au bout leur méchanceté et leur amertume pour que leur "brûlot guilleret" - ce coup de pied dans la fourmilière de la société giscardienne - ne semble pas aussi rance et tartignole sous le prisme de notre regard contemporain. Et la faute ne doit pas reposer sur les épaules d’un seul mais incombe à peu près à tout le monde, techniciens comme comédiens, scénariste comme metteur en scène. Car si le scénario échoue aussi bien dans la description de l’idylle qui lie Marthe et Ludovic que dans sa charge anti-bourgeoise, Jean-Charles Tacchella à la caméra ne sert guère mieux le film ; sa mise en scène est d’une grande platitude et peine à donner un semblant de liant à cette suite de sketchs plus ou moins lourds et finalement assez inconsistants. L’esthétique des années 70 a beau être assez spéciale, cela ne peut guère expliquer la laideur de la photographie, notamment ce filtre flouté lors d’une séquence à la piscine.


Concernant les acteurs qui s’accaparent souvent les plus grandes louanges à propos de ce film, je ne les ai pas non plus trouvés transcendants ; malgré l’admiration que je porte à Victor Lanoux (inoubliable Bouly dans le superbe diptyque d’Yves Robert dès l’année suivante - Un éléphant ça trompe énormément et Nous irons tous au paradis), il ne m’a ici pas franchement convaincu ; pas plus que ses trois autres partenaires d'ailleurs, d’autant que Guy Marchand nous ressert son rôle de dragueur invétéré bien rôdé mais un peu usant à force. Si ces quatre comédiens, très bons par ailleurs, ne m’ont pas fait meilleure impression, serait-ce la faute aux dialogues particulièrement navrants et vieillots qu’ils ont eus à débiter ? Ce n’est pas exclu. Mais aussi probablement à une direction d’acteurs manquant singulièrement de rigueur ; la preuve flagrante nous en est donnée par tous les enfants acteurs qui gravitent ici constamment autour des adultes, et qui ressemblent plus à des zombies qu’à des êtres humains.


Mais le pire dans tout cela, ce sont les multiples situations décrites qui font souvent plus pitié que rire ou pleurer, celles qui mettent en scène un triste échantillon d’idiots, les auteurs échouant à nous en rendre un seul attachant, pas même ceux qu’ils auraient voulu faire sortir de cette fange. Je ne vais pas me lancer dans une interminable liste mais voir par exemple le personnage de l’adolescente, censé être en quelque sorte le témoin de ces frasques familiales et conjugales, se conduire encore plus bêtement que les pauvres cloches qu’elle a sous son regard acerbe est assez déplorable. A la question de savoir ce qu’elle aimerait faire plus tard, elle répond avec le plus grand sérieux du monde : « J’aimerais commettre un crime » ; et voilà encore que je vais outrer les grandes personnes par ma séance photo ne montrant que les turpitudes, lâchetés et trivialités des membres de ma propre famille ; et voici que je vais jubiler par le fait de raconter à mes très jeunes cousins et cousines les diverses débauches et histoires de fesses de leurs oncles et tantes... Quant à la romance qui unit les deux personnages principaux, elle ne possède guère de charme car elle se révèle finalement très creuse et sans aucune sensualité ni grande tendresse. Quand Marthe et Ludovic ne sont pas ensemble, ils n’ont de cesse d’humilier leurs anciens conjoints, ce qui aurait presque tendance à nous rendre ces derniers plus sympathiques que notre couple fleur bleue ; quelle maladresse de la part des scénaristes !


Alors, document sociologique quand même ? Tout juste, si l’on considère qu’on peut à la rigueur avoir sous nos yeux un aperçu de la mode, des tenues vestimentaires, des objets, de la décoration et des voitures de l’époque. C’est bien peu, car le ton du film est tellement superficiel et anti-naturaliste qu’il va à l’encontre d’un tableau sociologique. Nous nous situons bien à des années-lumière du cinéma adjacent à celui de Tacchella : celui de Claude Sautet, Yves Robert ou Pascal Thomas de ces mêmes années. Leur regard chroniqueur était tout autre : plus fin, observateur, goguenard ou tendre, dans tous les cas autrement plus intéressant et moins infantilisant ; car c’est le paradoxe de ce film faussement rentre-dedans de se révéler finalement totalement inoffensif, en tout cas vraiment antipathique et artistiquement très pauvre.


A l’image de la séquence de la projection de diapositives et de son finale grotesque (on a rarement vu au cinéma un décès aussi consternant), une suite de clichés tous plus ridicules et vulgaires les uns que les autres, voilà une œuvre qui fait penser à ces rebelles de bacs à sable (dont l’adolescente, la fille de Victor Lanoux dans le film, est un parfait exemple) qui, pour embêter leur monde, prennent la pose et foncent dans la contradiction systématique à l’encontre des valeurs établies, débitant d’énormes bêtises qui finissent de rendre ces "éléments perturbateurs" encore plus consensuels (et ridicules) que les conventions qu’ils souhaitaient fustiger. Un faux brûlot bien anodin, une sacrée douche froide, d’autant plus que mon souvenir était pourtant plaisant. Je m’arrête là, pensant avoir causé assez de mal comme cela aux amoureux du film. Mais que ces derniers se rassurent : il ne s’agit que d’un avis parmi tant d’autres et qui n’a absolument pas l’ambition de détenir une quelconque vérité.

Jean-Charles Tacchella a commencé sa carrière en tant que critique de cinéma ; on espère qu’il sera indulgent pour les papiers pas spécialement sympathiques envers son deuxième film qui risquent de voir le jour. Cependant, la cote d’amour dont jouit Cousin cousine devrait pouvoir attirer encore de nombreux spectateurs à l’occasion de sa sortie en DVD et Blu-ray.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 4 avril 2011