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Critique de film
Le film

Le Mercenaire de minuit

(Invitation to a Gunfighter)

L'histoire

Nouveau-Mexique à la fin de la guerre de Sécession en 1865. Le soldat confédéré Matt Weaver (George Segal) revient à Pecos, son village natal. C’est malheureusement pour trouver sa ferme vendue et son épouse Ruth (Janice Rule) mariée au nouveau propriétaire. C’est le notable Sam Brewster (Pat Hingle) qui se trouve être à l’origine de ces "transactions fallacieuses", et c’est vers la demeure de ce puissant homme d’affaires que se dirige un Matt très en colère. Brewster arrive à mettre Matt hors d’état de nuire après que ce dernier a tué le nouveau propriétaire de ses terres en état de légitime défense. Mais, de peur que Matt ne refasse une tentative pour récupérer ses biens et attenter à sa vie, Brewster engage un tueur à gages pour s’en débarrasser, Jules Gaspard d’Estaing (Yul Brynner). Cet homme taciturne et mystérieux est un élégant Créole chauve qui joue aussi bien aux cartes et au clavecin que de son revolver. Cet as de la gâchette va vite se montrer plus encombrant qu’efficace. En effet, il s’est pris de pitié pour celui qu’on lui demande de tuer alors qu’au contraire sa haine ne cesse de grandir à l’encontre de ses employeurs et des autres habitants de la petite ville qui s’avèrent tous plus ou moins corrompus, veules ou racistes. De plus, le mercenaire tombe sous le charme de l’ex-fiancée de Matt...

Analyse et critique

Le Mercenaire de minuit est le deuxième et dernier western de Richard Wilson qui travailla, avant de passer derrière la caméra, aux côtés d’Orson Welles à la fois comme régisseur du fameux Mercury Theatre, acteur radiophonique notamment dans la fameuse adaptation de La Guerre des Mondes et enfin producteur délégué sur deux de ses films, La Dame de Shanghaï et Macbeth. Son premier essai dans le genre, L’Homme au fusil (Man With a Gun) avec Robert Mitchum, relatait la traditionnelle histoire d’un tireur d’élite dont les services sont loués par les notables d’une petite ville afin de pacifier leur bourgade. Avec de faibles moyens, sans fioritures, ce western austère et très sombre n’en oubliait cependant pas l’humour et se faisait remarquer par un réalisme assez minutieux ainsi que par une psychologie des personnages assez poussée. Un western dépouillé et assez froid mais aussi une très belle réussite. Reprenant en gros le même thème avec les mêmes conséquences (le gunfighter finissant par être plus encombrant que protecteur), Le Mercenaire de minuit ne lui arrive malheureusement pas à la cheville, pas plus qu’à celle de ses prestigieux prédécesseurs tels L’Homme aux colts d’or (Warlock) d'Edward Dmytryk ou Une balle signée X (No Name on the Bullet) de Jack Arnold dans lesquels respectivement Henry Fonda et Audie Murphy faisaient merveille. Et pourtant les motivations du tueur à gages interprété par Yul Brynner sont encore plus honorables que celles de Blaisdell et John Gant - les personnages principaux des deux films suscités - ainsi que de son plus célèbre successeur, le mystérieux étranger joué par Clint Eastwood dans High Plains Drifter (L’Homme des hautes plaines) : l’antiracisme et l’anti-esclavagisme.

En effet, il est bien connu que les bonnes intentions ne font pas forcément les bons films ; Le Mercenaire de minuit en est un nouvel exemple. Cette sensation de ratage est pressentie dès la première séquence qui se déroule en même temps que le générique. Où l’on voit la porte d’une diligence en mouvement s’ouvrir, Yul Brynner se prenant pour Burt Lancaster et, sourire Colgate bien en place, effectuant une acrobatie pour se retrouver à côté du conducteur. Pour un film au ton léger, cela aurait pu le faire ; mais le western de Richard Wilson se prenant énormément au sérieux, cette scène rend d’emblée le film bancal et sa volonté de gravité caduque, d’autant que le tueur à gages interprété par Yul Brynner est censé nous sembler menaçant. Nous ne le verrons d’ailleurs plus avant un bon quart d’heure, puisque le scénario des époux Wilson nous fait suivre l’autre personnage important que joue un tout jeune George Segal. De retour de la guerre de Sécession, celui-ci arrive de nuit à sa propriété où il est reçu par le nouvel occupant des lieux, non moins que son rival en amour qui lui a non seulement pris sa maison mais également sa fiancée. Malheureusement, la tension ne parvient pas à culminer à cause d’une direction d’acteurs très lâche - aucun des comédiens ne se montre convaincant, certains cabotinant assez mal, les autres à l’inverse se révélant totalement fadasses (Janice Rule) - et en raison de décors minimalistes et d’une photographie anti-réaliste au possible qui ne cadrent guère avec les intentions des auteurs. Faute à un manque total de rigueur dans le scénario, nous avons également beaucoup de mal à comprendre les motivations des uns et des autres. Certes les thématiques abordées ainsi que l'ossature de l’intrigue sont très intéressantes (même si guère nouvelles), mais celles-ci n’empêchent pas l’ensemble d’être non seulement peu concluant mais également guère captivant malgré quelques éléments cocasses ou étranges qui font que le film pourra néanmoins se suivre sans trop d’ennui.

Ces éléments, ce sont avant tout la personnalité et l’accoutrement raffiné du personnage principal, le fameux mercenaire de minuit selon les distributeurs français. Pourquoi ce titre ? Probablement parce qu’il s’agissait du deuxième western de Yul Brynner et pour évoquer son plus gros succès au cinéma dans Les Sept mercenaires. Car excepté sa tenue vestimentaire qui rappelle beaucoup celle de Chris dans le film de John Sturges (tout de noir vêtu), Jules n’est ni un mercenaire ni n’opère spécialement à minuit. Sous sa veste noire, des chemises de soie à jabot ; son nom, Jules Gaspard D’Estaing qu’il prend un malin plaisir à faire en sorte qu’il soit prononcé correctement ; son hobby, le clavecin (il lui arrive même de s’accompagner lui-même en chantant) ; sa conscience, torturée par un passé violent et un père qu’il méprisait de par sa situation d’esclave ; son aspect inhumain et de prime abord méprisant et cynique... Autant dire un protagoniste de western pas banal. Seulement, malgré son charisme naturel dû à son maintien, son élégance féline, son regard d’acier et son crane rasé, Yul Brynner, comme d’ailleurs tous ses partenaires dans le film, n’est pas très bon dans ce western. Lors de ses grandes tirades antiracistes (SPOILER - il est devenu tueur à gages plus pour se venger des Blancs que pour le salaire que ce métier lui procure - FIN DU SPOILER), toujours aussi hiératique, il ne se montre guère convaincant. Pas plus que lorsque son personnage, sous l’emprise de l’alcool et d’une colère qu’il ne peut plus réfréner, se met dix minutes durant à saccager la ville. La séquence, qui semblait devoir représenter le climax du film, finit au contraire de le rendre raté. On a du mal à comprendre comment, seul contre tous, avec pour toutes armes des barreaux de chaises entre les mains et bien aviné, il arrive à détruire la moitié des devantures sous le regard médusé des habitants qui ne bougent pas le petit doigt. La scène s’éternise sans que la tension ne monte, le ridicule de la situation nous semblant alors gênante pour les interprètes. Ce qui s’ensuit, l’humiliation du bad guy, s’avère tout aussi embarrassant, plus grotesque que réellement puissant comme les auteurs paraissaient l’avoir voulu ; on croirait voir un instituteur taper sur les doigts d'un élève.

Tout ceci est d’autant plus dommageable que, comme nous le disions déjà précédemment, les intentions du couple de scénaristes étaient tout à fait honorables. [Autres nombreux spoilers en vue tout au long de ce dernier paragraphe] Voir le tueur se mettre à douter de sa mission, se posant des problèmes de conscience par le fait d'avoir été embauché pour éliminer le seul habitant de la ville qui semble intègre, le seul à défendre ses droits légitimes ; constater paradoxalement que le seul citoyen à être tolérant envers les Mexicains repoussés de l’autre côté du pont qui coupe la ville en deux, le seul à être anti-esclavagiste... n’est autre que le seul à avoir combattu pour les Sudistes (sic ! là c'est un peu gros) ; voir le tueur retourner la situation en contrant ses employeurs corrompus par l’argent et leurs préjugés, finissant par prendre fait et cause pour l'objet de son "contrat... tout ceci était loin d'être inintéressant même si au final guère crédible. Le message que veulent faire passer les auteurs a traversé trop de situations invraisemblables pour arriver à convaincre. Et ce n’est pas la mise en scène souvent chichiteuse de Richard Wilson qui arrange l’affaire. Il reste néanmoins assez de situations et d’éléments inattendus, la curiosité de voir que la maison du bad guy n’est autre que celle, célèbre, qu’habitait Norman Bates dans Psychose, un Pat Hingle convaincant dans la peau du méchant de service et une belle réussite musicale signée David Raskin pour rattraper l’ensemble. Un western en fin de compte assez médiocre et d’autant plus oubliable qu’il eut des précurseurs bien plus prestigieux et intrigants. Dommage pour ce gunfighter torturé, élégant, froid et hautain qui aurait mérité plus de rigueur dans l’écriture afin d’être plus fascinant et mystérieux ; à l’image de ce qu'aurait pu être le film !

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 14 novembre 2015