Menu
Critique de film
Le film

Le Masque

(The Bat)

L'histoire

Romancière à succès, Cornelia van Gorder (Agnes Moorehead), s’installe pour l’été dans l'immense propriété des Chênes. Mais ce vieux manoir inquiète la population locale : un homme sans visage, aux mains gantées de griffes, y tue des innocents à l’aide de chauve-souris ! Effrayé, le personnel abandonne la romancière. Seule avec son chauffeur et sa femme de chambre, elle va tenter de résoudre cette étrange énigme…

Analyse et critique

En 1908, la romancière Mary Roberts Rinehart écrit son best-seller, L’Escalier en colimaçon (The Circular Staircase). Ce roman policier devient une pièce de théâtre à succès, montée à Broadway en 1920. Il est ensuite adapté au cinéma par Roland West en 1926 (The Bat) puis, toujours par le même réalisateur, en 1930 (The Bat Whispers). Pendant les décennies suivantes, la pièce est jouée à travers les Etats-Unis et rencontre un succès constant. Vers le milieu des années 30, Bob Kane assiste à l’une de ces représentations théâtrales. Il semblerait que le meurtrier de la pièce inspire alors le jeune créateur et lui donne l’idée du personnage de Batman. Pour la petite histoire, rappelons que Bob Kane a eu différentes sources d’inspirations lorsqu’il créa ce héros en 1939 dans Detective Comics #27. Parmi ces sources, on trouve le roman Dracula de Bram Stocker,  Le Signe de Zorro (film réalisé par Fred Niblo en 1920 avec Douglas Fairbanks) et donc la pièce de théâtre The Bat !

Considéré comme l’un des 100 meilleurs "mystery" de tous les temps (1), le roman de Mary Roberts Rinehart est longtemps resté un classique de la littérature policière. En 1959, Crane Wilbur l’adapte à nouveau au cinéma, c’est cette version du roman à laquelle nous nous intéressons ici...

Crane Wilbur n’est pas un cinéaste reconnu. Vous ne trouverez pas son nom dans 50 ans de cinéma américain et rares seront ceux capables de citer deux titres de sa filmographie ! Néanmoins, son parcours est intéressant car typique de celui des pionniers du cinéma. Né en 1886, Wilbur démarre une carrière de comédien en 1910 et se met en valeur grâce à un physique d’Apollon. Il tourne dans une trentaine de films, en met certains en scène et écrit des scénarios. Wilbur est un touche à tout comme on en rencontre beaucoup dans les premières années du cinématographe. Toutefois, il se concentre essentiellement sur l’écriture et connaît un joli succès. Il laisse notamment sa trace dans le registre du fantastique (Il Marchait la nuit d’Alfred L. Werker, L’Homme au masque de cire d’André de Toth) et du film noir (The Phenix City Story de Phil Karlson). Il est également l’auteur controversé de I Was a Communist for the FBI (Gordon Douglas), film de propagande anti-communiste. Pendant ce temps-là, il continue à mettre en scène quelques long métrages parmi lesquels l’intrigant Patient de la chambre 18 (1938) ou Le Pénitencier du Colorado (1948). En 1959, Crane Wilbur réalise son dernier film, Le Masque, dont il signe également le scénario.

Produit par C.J. Tevlin (dont ce sera la seule contribution à l’histoire du cinéma !) le film s’appuie sur le roman de Mary Roberts Rinehart. Côté casting,  Wilbur et Tevlin ont l’heureuse idée de réunir Vincent Price et Agnes Moorehead. Dans l’équipe technique, on remarque la présence du talentueux directeur de la photographie Joseph F. Biroc. On se souvient de son travail chez Samuel Fuller (Le Jugement des flèchesQuarante tueurs), Frank Capra (La Vie est belle) et Robert Aldrich (Attaque !) avec lequel il collaborera surtout pendant les années 70 (Fureur apache, L'Empereur du Nord, Plein la gueule). Le film sort sur les écrans américains le 9 août 1959.

Nous n’avons malheureusement pas d’éléments nous permettant de savoir si le film rencontra un quelconque succès. Lors de sa sortie en France, la critique ne fut pas bonne. Citons Les Cahiers du Cinéma, toujours aussi tendres : « Du sous-Agatha Christie, relevé - si l'on peut dire - de quelques notes d'épouvante d'un tout aussi bas niveau. » Qu’en est-il donc de cette production, tombée depuis dans le domaine public, et proposée aujourd’hui par l’éditeur Wild Side en DVD dans sa collection Vintage Classics ?

D’un point de vue scénaristique, Le Masque suit le canevas classique d’un "mystery". Rendu populaire par Agatha Christie, ce genre littéraire vise à résoudre une énigme en démêlant le vrai du faux et en trouvant le coupable parmi les protagonistes du récit. Dans le récit du Masque, des meurtres sont commis dans un manoir par un étrange tueur dont l’identité constitue donc le noeud de l’intrigue. Qui aurait intérêt à trucider ainsi les habitants de la vaste demeure ? A mi-chemin entre une partie de Cluedo et un épisode du dessin animé Scoubidou, le scénario s’emploie à semer des fausses pistes et à entretenir le mystère. On ne trouve rien de bien original là-dedans mais l'ensemble fait preuve d'un certain charme. Observer ces deux dames respectables (Cornelia van Gorder et sa femme de chambre) rester dans la demeure malgré le danger et mener leur enquête est assez savoureux. On regrettera toutefois que certaines intrigues secondaires soient un peu bâclées (on pense par exemple à cet homme innocent, emprisonné à tort et dont on n’entend ensuite plus jamais parler). Au final, le dénouement du scénario n’a rien de bien surprenant et, à l'instar d'un épisode de Scoubidou, l'identité du tueur est révélée après qu'on lui a retiré son masque. Que ceux qui s'attendent à frissonner calment leurs ardeurs car, contrairement à l'une des accroches du film qui nous promettait des sueurs froides (After seeing The Bat, 7 out of 8 people will get cold feet tonight !), le spectateur peut aller se coucher tranquille et dormir sur ses deux oreilles ! On ne trouvera rien de bien effrayant là-dedans donc, mais le côté ludique du scénario pourra amuser certains spectateur adeptes de ce type d'énigme.

Si le scénario fait preuve d'un certain charme, qu’en est-il de la mise en scène ? La photographie de Joseph F. Biroc constitue l’un des points positifs du film : avec des éclairages alternant la douceur (lors des scènes de jour) et les contrastes (lors des apparitions du tueur), Biroc décrit deux atmosphères : celle d’une belle demeure confortable et celle, gothique et plus inquiétante, du terrain de jeu d’un criminel. En dehors de cette photographie assez intéressante, la mise en scène est malheureusement très paresseuse. Les plans fixes ne font preuve d’aucune ambition graphique et leur composition laisse souvent à désirer. Devant la caméra, l’absence de direction d’acteurs est criante : la plupart des comédiens sont dans le "sur-jeu" le plus total, et il faudrait être extrêmement naïf pour ressentir la moindre émotion devant leurs pleurs ou leurs cris… Toutefois, Agnès Moorehead et Vincent Price imposent leur charisme et leur professionnalisme à l’entreprise et sauvent à peu près l'ensemble ! Si Agnès Moorehead n’est pas aussi terrifiante que dans la sombre école de Jane Eyre ou sous la direction d’Orson Welles, elle apporte ici un petit zeste de magnétisme plutôt salutaire. A ses côtés, Vincent Price, acteur emblématique du film d'épouvante, joue dans son registre habituel. Avec sa voix, toujours aussi douce et enivrante, il insuffle une atmosphère mystérieuse à certaines des scènes où on le voit apparaître (notamment la première, assez surprenante). Ses admirateurs apprécieront…

Le Masque de Crane Wilbur ne révolutionnera évidemment pas le genre horrifique. Néanmoins, ce film assez distrayant, porté par deux comédiens charismatiques et illustré par une photograhie soignée, reste assez savoureux pour qui apprécie les enquêtes menées par de vieilles dames !

(1) Par l’association Mystery Writers of America.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par François-Olivier Lefèvre - le 21 février 2012