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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Fleuve de la dernière chance

(Smoke Signal)

L'histoire

Milieu du XIXème siècle. Alors qu’un petit de détachement de cavalerie rentre de patrouille, il trouve en arrivant à son fort de rattachement la garnison presque entièrement décimée par les Indiens de la tribu des Utes. Le Capitaine Harper (William Talman) apprend que les Utes ont attaqué le fort pour libérer Brett Halliday (Dana Andrews), un officier de cavalerie qui devait passer en cour martiale pour avoir déserté et trahi l’armée en rejoignant le camp indien quelques mois auparavant. Halliday a beau dire qu’au moment de sa capture il avait quitté le camp Ute pour aller trouver un médiateur Apache qui aurait pu mettre un terme aux récents conflits entre Indiens et Blancs, personne ne veut croire à son histoire. N’étant encore pas arrivés à leurs fins, les Indiens continuent d’assiéger le fort. Le capitaine envoie un courrier à cheval pour réclamer des renforts, mais le cavalier est abattu. Halliday conseille alors aux quelques survivants de descendre la rivière Colorado en canoë bien qu’elle soit jugée extrêmement dangereuse. Harper refuse dans un premier temps, sa fierté lui interdisant de trouver bonne une idée émise par un prisonnier. Mais suite à une nouvelle attaque, il se rend vite compte que c’est la seule solution qu’il leur reste pour échapper au massacre. Prennent alors place à bord des canots la petite troupe commandée par Harper, un trappeur (Douglas Spencer) ainsi que les quelques rescapés de la garnison dont Laura (Piper Laurie), la fille du commandant du fort tué peu avant ainsi que son prétendant, l’arrogant Lieutenant Wayne Ford (Rex Reason). Les guerriers Utes décident néanmoins de les suivre du sommet du canyon...

Analyse et critique

Après nous avoir ravi la même année avec Je suis un aventurier (The Far Country) d’Anthony Mann, la compagnie Universal nous délivre cette fois-ci, avec Smoke Signal, non plus un chef-d’œuvre du genre mais néanmoins une série B comme elle en avait le secret : efficace, bien construite, sans temps morts et formidablement divertissante malgré un scénario dans l’ensemble sans grandes surprises. Comme le faisait déjà La Rivière sans retour et comme nous le fait pressentir le titre français, le deuxième western de Jerry Hopper (après Pony Express avec Charlton Heston, qui avait d’ailleurs dans un premier temps été envisagé pour le rôle de Halliday tenu ici par Dana Andrews) nous fait parcourir les États-Unis à bord de frêles embarcations, ici sur la rivière du Colorado serpentant entre les falaises majestueuses du grand Canyon. Cette fois ce sont des soldats qui, acculés au sein d’un fortin sur le point de tomber aux mains des Indiens beaucoup plus nombreux, n’ont qu’une solution pour essayer de s’en tirer (même s’ils estiment leur chance de réussite à une sur cent), s’enfuir par le fleuve qui se trouve à proximité : "The Grand Canyon of the Colorado, known as one of the most dangerous rivers in the world" nous prévient-on dès la fin du générique pour bien nous mettre dans l’ambiance de ce "western d’aventure". Autant dire que le pitch de départ est assez original ou tout du moins plutôt nouveau pour un western. Et, sans vouloir aucunement faire de la provocation, le scénario des duettistes George F. Slavin et George W. George (déjà auteurs entre autres d’un honnête The Nevadan de Gordon Douglas) s’avère de mon point de vue bien plus captivant que celui du film d’Otto Preminger.

Le voyage entrepris en fond de canyon va évidemment s’avérer dangereux et mouvementé mais autant à cause de la présence des Indiens qui ne sont jamais très éloignés que des tensions qui vont régner au sein du petit groupe, d’autant qu’il est composé par des hommes et une femme ayant perdu des proches lors des combats qui les ont opposés aux Indiens et d’un prisonnier accusé d’être responsable du déclenchement de ces hostilités qui ont causé de très grosses pertes. Malgré de très nombreuses séquences assez bavardes, les scénaristes réussissent à maintenir l’intérêt tout du long justement grâce en partie à ces tensions et à la description des relations qui unissent les personnages, par ailleurs très fortement caractérisés sans que cela n’empêche leurs comportements d’évoluer durant ce qui ressemble un peu à un itinéraire initiatique pour chacun d’entre eux. Jalousies, animosités, rancunes, autoritarisme, etc., tous ces défauts vont ressortir de plus belle face aux dangers ; mais au final, le but étant avant tout de survivre, tout le monde va apprendre à mieux se connaître et à changer ses opinions et ses a priori vis-à-vis des autres (enfin, des survivants, car le voyage ne se fera pas sans quelques pertes). Un bon scénario que nous ont concocté les auteurs du film, sans grands motifs d’étonnement ni de jubilation mais assez solide pour nous tenir en haleine du début à la fin. Nous avons même droit à une romance pas désagréable entre la jolie Piper Laurie (que nous étions plus habitués à voir dans des décors de mille et une nuits qu’au sein de paysages du Far West, mais à qui les costumes de l’Ouest vont à ravir) et le taciturne Dana Andrews, à travers laquelle sont abordés les thèmes du racisme et de l’intolérance. En effet, Laura apprend durant le périple que Halliday était marié à une squaw et que, s’il a déserté et a pris les armes contre ses anciens camarades, c’était à cause de l’intransigeance et du sadisme de son commandant (le père de Laura donc) à l'encontre des Indiens qu'il ne se privait pas de torturer voire même de tuer. D'où la révolte qui découla de ces mauvais traitements, qui a mené à la fâcheuse situation dans laquelle tous les personnages se retrouvent désormais embringués.

Mais attention, qui dit film bien et copieusement dialogué ne dit pas nécessairement film privé d’action ; en l’occurrence, Smoke Signal, qui s’apparente plutôt à un film d’aventure, n’en est pas avare. Certains séquences sont mêmes assez spectaculaires d’autant qu’elles étaient inattendus, notamment celle qui voit la chute nocturne de l'un des protagonistes du haut d'une falaise. Hormis cela, Jerry Hopper (qui tournera ensuite bien plus pour la petite lucarne que pour le grand écran), au sein d’une mise en scène dans l’ensemble assez impersonnelle même si efficace, nous distille quelques plans vraiment superbes comme ce plan d’ensemble en plongée, sorte de vue subjective depuis le haut du fort, qui nous montre les cavaliers avancer au milieu d’une mer de cadavres. Même si les transparences lors de la descente des rapides ne sont guère convaincantes (pas plus que ne l’étaient celles de Rivière sans retour), elle sont "relativement" peu nombreuses et le film nous offre par ailleurs de superbes vues du canyon du Colorado superbement photographié par Clifford Stine au sein d’un magnifique Technicolor.

Au travail d’écriture correct, à la très belle photographie et à la réalisation honorable, viennent s’ajouter une bonne partition aux accents parfois "Miklos-Rozsiens" supervisée par Joseph Gersenshon ainsi qu’une très bonne interprétation d’ensemble. Sans faire spécialement d’étincelles, les comédiens font tous leur travail très consciencieusement avec une mention spéciale à William Talman dans la peau du commandant à forte tête. Ceux qui n’apprécient pas particulièrement le jeu très discret de Dana Andrews ne goûteront guère plus son interprétation ici ; une fois de plus, on ne peut pas dire qu’il cherche à voler la vedette à quiconque. Certains parleront probablement de fadeur ; j’évoquerais plutôt une forme de sobriété même si effectivement, on aimerait parfois qu’il affirme un peu plus sa personnalité. Pour une fois le trappeur n’est pas là pour ajouter une touche de pittoresque, Douglas Spencer qui ouvre d’ailleurs le film ne cabotinant jamais, et Piper Laurie, même si son personnage semble avoir été placé là surtout pour qu’il y ait une présence féminine, ne fait jamais potiche. Il n'y a pas grand-chose à dire de plus sur cette série B qui, sans rien révolutionner, sans jamais atteindre des sommets, s'avère cependant un western sacrément plaisant.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 3 mai 2014