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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Vallée de la poudre

(The Sheepman)

L'histoire

1880. La tranquille petite bourgade de Powder Valley voit l’arrivée d’un Texan nommé Jason Sweet (Glenn Ford) qui semble vouloir semer la discorde parmi les habitants, allant même jusqu’à provoquer la plus forte tête de la ville, Jumbo McCall (Mickey Shaughnessy), à qui il inflige une sévère correction en réussissant à le mettre KO. Pourquoi une telle volonté de provocation ? Pour faire d’emblée comprendre aux habitants qu’il sera capable de se défendre si l'on vient lui chercher des noises, en pensant ainsi éviter de futures querelles ! Mais pourquoi croire qu’on lui voudrait du mal ? Tout simplement parce qu’il a dans l’idée de venir faire paître son troupeau de moutons (gagné aux cartes) sur les terres de cette région d’éleveurs de bovins. Pas question pour les citoyens de Powder Valley de laisser ces bêtes puantes venir empester leurs terres ! Les hostilités sont ouvertes entre Jason et les éleveurs du coin chapeautés par le plus puissant d’entre eux, Stephen Bedford (Leslie Nielsen), que l’on nomme ‘le Colonel’. Ce dernier fait tout pour empêcher les moutons de descendre du train qui les amène. Ce dont personne ne se doute, c’est que Jason et Stephen se connaissent très bien pour avoir été tous deux joueurs professionnels, un peu truands sur les bords. Ne pouvant manœuvrer comme il le veut sous peine de voir son passé peu reluisant dévoilé à ses concitoyens, le désormais "respectable" colonel loue alors les services d’un tireur d’élite, Choctaw Neal (Pernell Roberts), pour accomplir sa sale besogne, celle de déloger l’importun berger. Les deux ex-gamblers vont également s’opposer à propos d’une femme, la charmante Dell Payton (Shirley MacLaine), qui doit devenir l’épouse du riche éleveur...

Analyse et critique

Le prolifique George Marshall eut un genre de prédilection tout au long de son imposante carrière : la comédie. Quand il aborda le western, il insuffla souvent beaucoup d’humour à la plupart de ses films, le plus célèbre et le plus réussi d'entre eux étant Destry Rides Again (Femme ou démon) avec James Stewart et Marlene Dietrich, symbiose quasi parfaite entre drame et comédie. Il réalisa aussi une amusante parodie de western avec Red Garters (Les Jarretières rouges), une curieuse comédie musicale expressément tournée à l’intérieur de décors stylisés à l’extrême. Il mis ensuite en scène un remake de son Destry Rides Again avec Destry (Le Nettoyeur) dont l’acteur principal était Audie Murphy, à nouveau en haut de l’affiche de Guns of Fort Petticoat (Le Fort de la dernière chance) qui, au vu de son titre et de son argument principal (un homme et une vingtaine de femmes réunis dans une mission abandonnée), aurait pu suggérer à nouveau un western à forte dose humoristique, voire une comédie. Il n’en était cependant rien, le ton de ce western étant on ne peut plus sérieux, tout comme l’était quelques mois plus tôt le singulier Les Piliers du ciel (Pillars of the Sky), l’un des rares westerns ouvertement "chrétien". Une filmographie westernienne très inégale donc (on trouvera également des films extrêmement mauvais tel Valley of the Sun) mais bougrement intéressante et plutôt hors norme. Si ses westerns réalisés juste avant étaient ainsi loin de prêter à rire, en revanche, avec cette Vallée de la poudre nous sommes bien à nouveau devant une pure comédie westernienne, l’une des plus réussies qui soit, mixture harmonieuse entre humour et action !

Un éleveur de moutons qui va chercher à imposer son cheptel de bêtes "puantes" dans un pays où les terres ont toujours été consacrées aux bêtes à cornes. Les vachers qui vont tenter par tous les moyens de le chasser. Quoi de plus banale que cette intrigue vue a priori à d’innombrables reprises dans le domaine du western ? Ce qui est en fait déjà faux, quasiment seul le médiocre Montana de Ray Enright avec Errol Flynn avait auparavant abordé cette thématique. Mais c’est à peu près tout. Il faut croire que le cartoon Drag-a-long Droopy de Tex Avery ou l’album de Lucky Luke, Des barbelés sur la prairie, auront tous deux marqué les esprits pour faire passer pour un fait avéré que les conflits entre éleveurs d’ovins et de bovins ont fait les choux gras du western classique. Donc une intrigue pas si commune qu’on aurait pu le croire ! Mais si je vous dis qu’il s’agit dans le même temps d’une comédie ? Oui mais comédie et western ont rarement fait bon ménage ! Qu’à cela ne tienne, le mélange des deux est pour l’occasion parfaitement dosé et réussi, et nous pourrions très certainement nous trouver devant le western humoristique le plus "harmonieux" et le plus rafraichissant qu'il nous ait été donné de voir, avec le film que le même George Marshall avait réalisé en 1939, le délicieux Destry Rides Again (Femme ou démon). Sauf qu’en l’occurrence, il ne s’agissait pas à proprement parler d’une comédie mais d’un western avec une forte dose d’humour, flirtant même à plusieurs reprises avec la tragédie.

Au contraire, point (ou presque pas) d’éléments dramatiques dans The Sheepman qui ne se prend une seule seconde au sérieux (à l’exception du dernier quart d’heure), ce qui ne l’empêche pas de posséder un scénario remarquablement bien écrit et des scènes d’action d’une efficacité à toute épreuve telle la fusillade finale. Il faut dire qu’à l’écriture nous avons l’un des très grands noms du western, non moins que James Edward Grant qui, outre ses innombrables excellents scénarios, aura réalisé un western fortement attachant avec L’Ange et le mauvais garçon (The Angel and the Badman) mettant en scène l’inoubliable couple formé par John Wayne et Gail Russell. C’est de nouveau lui qui signera, deux ans après The Sheepman, le scénario de ce formidable chef-d’œuvre que sera la version d'Alamo de John Wayne. The Sheepman nous propose autant d’action qu’il nous fait rire sans que ce ne soit à aucun moment une parodie du genre. Et ce dès la première séquence d"anthologie, d’une grande drôlerie, qui voit Glenn Ford aller titiller tous les habitants de la ville avant d’aller provoquer l’homme le plus costaud d’entre eux, lui écraser son cigare dans son café, afin de montrer à ses futurs concitoyens qu’il allait désormais falloir compter avec lui et ses bêtes à laine. L’année suivant le sublime 3h10 pour Yuma de Delmer Daves, et dans la foulée du très attachant Cow-Boy du même Daves, l’acteur nous démontrait à nouveau qu’il pouvait être tout aussi à son aise dans la comédie que dans le drame. Ici, c’est lui qui porte le film sur ses épaules avec un personnage tout simplement réjouissant ; les scénaristes, à l’aide également de dialogues constamment savoureux, arrivent à créer une sorte de suspense rien que par le fait de mettre le spectateur dans une position d'attente jubilatoire et sans cesse renouvelée devant les réactions du personnage joué par Glenn Ford face à telle ou telle situations, tel ou tel protagonistes. En effet, sa manière de réagir est constamment inattendue et (ou) surprenante. Et si cela fonctionne aussi bien, c’est également grâce au talent de comédien de Glenn Ford qui, mine de rien, avec placidité, distille un humour parfois dévastateur, prenant à contrepied la plupart de clichés. Un exemple : lors de ses retrouvailles avec le personnage joué par Leslie Nielsen, on apprend que les deux hommes auraient dû par le passé se battre en duel. Leslie Nielsen s’excuse de ne pas avoir pu se rendre au "rendez-vous" sur quoi Glenn Ford lui rétorque qu’il n’était pas au courant, ne s’y étant pas rendu lui-même : il avait conclu que ce n’était peut-être pas la peine de perdre la vie aussi tôt !! Où l’héroïsme est dynamité avec bonne humeur et allégresse !

Glenn Ford est non seulement follement amusant de par l’aplomb qu’il garde en toutes circonstances mais également très crédible lorsqu’il s’agit de raconter à Shirley MacLaine un épisode dramatique de son passé, et même sacrément charismatique durant ce dernier quart d’heure mouvementé et très efficace, que ce soit lors du duel l’opposant à Pernell Roberts ou durant sa dernière confrontation avec Leslie Nielsen. Ce dernier, après avoir été du casting de l’inoxydable et génial Planète interdite (Forbidden Planet) de Fred McWilcox, est d’ailleurs fort convaincant dans la peau du bad guy distingué, n’ayant évidemment rien à voir avec ses futures rôles de "clown" dans les films des ZAZ et notamment dans celui, célèbre, de l’inspecteur gaffeur de la série des Y-a-t-il un flic... Quant à Shirley MacLaine, en pleine forme et pour une des rares fois avec des cheveux longs, elle est tout simplement à la fois piquante, pétillante et craquante, comme elle le fut avant chez Alfred Hitchcock (Mais qui a tué Harry ?) ou Frank Tashlin (Artistes et modèles). Parmi les innombrables seconds rôles, retenons surtout un acteur qui avait déjà été le partenaire de Glenn Ford dans un western du même George Marshall que nous n’avions pas encore évoqué, le sympathique Texas, à savoir le savoureux Edgar Buchanan dans le rôle d’un maquignon prêt à trahir sa mère pour un dollar. Tout aussi délectables sont le shérif qui part à la pêche à chaque fois qu’il sent qu’il y a un risque pour lui de rester en ville, l’homme de main abruti du méchant de service, ou encore le berger d’un pessimisme absolu interprété par Pedro Gonzales-Gonzales, moins pénible qu’à l’accoutumée.

Un scénario savoureux et malicieux (quoique plus conventionnel dans sa deuxième partie, après une séquence de bal qui a un peu trop trainé en longueur), une interprétation aux petits oignons, mais aussi une mise en scène alerte ainsi que des équipes techniques de la MGM qui ne sont pas en reste : que ce soient les décors, les costumes ou la photographie, tout vient nous caresser l’œil pour notre plus grand plaisir. Déplorons juste, comme dans Libre comme le vent (Saddle the Wind), sorti à peu près à la même date et déjà produit par la MGM, quelques plans en studio qui auraient pu être évités surtout au vu de la beauté des paysages naturels automnaux du Colorado au sein desquels se déroule l’intrigue, parfaitement bien utilisés par ailleurs. Pour une comédie de ce style, il est à noter que le côté plastique est particulièrement soigné ; les toiles peintes et les éclairages, également splendides, rappellent beaucoup celles et ceux de Fort Bravo lors des séquences nocturnes. Puisqu'il est question du chef-d’œuvre de John Sturges, il s’agit également du même compositeur pour les deux films : sans atteindre les sommets de Fort Bravo, Jeff Alexander signe à nouveau une excellente partition que ce soit dans le domaine humoristique, romantique ou mouvementé, finissant de faire de ce drôle de western sans temps morts l’un des plus sympathiques du sous-genre comique (après tout de même le Frenchie de Louis King), là où majoritairement la lourdeur s’impose. Le public et la critique ne s’y trompèrent pas puisqu’ils firent à ce western rythmé, détendu et plein de fantaisie, une véritable ovation. Son scénario fut même nommé pour les Oscars, et la collaboration fructueuse entre George Marshall et Glenn Ford se poursuivit quelques années encore. La Vallée de la poudre est à déguster sans modération, même si au final le film ne vous restera probablement pas longtemps en tête.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 13 décembre 2014