Menu
Critique de film
Le film
Affiche du film

La Jeune fille à l'écho

(Paskutine atostogu diena)

L'histoire

Vika (Lina Braknytė) passe le dernier jour des vacances au bord du littoral de la Mer Baltique, non loin du cabanon de son grand-père. Elle fait la rencontre d’un garçon peu sociable, Ramus (Valeriy Zubarev) et rencontre des problèmes avec une bande du voisinage.

Analyse et critique

Comme d’autres cinéastes en Union soviétique, Arūnas Žebriūnas a découvert qu’une manière efficace d’éviter l’ingérence des censeurs était de réaliser des films non pas tant pour qu’avec des enfants. La Jeune fille à l’écho, avant La Belle, témoigne de cette révélation. D’une durée courte (une heure six), primé à Locarno, le film affirme une approche reçue chaleureusement qui permettra par la suite à Žebriūnas une certaine latitude critique (au prix d’un ésotérisme du commentaire) quant à la vie quotidienne en Lituanie. Ce film, toutefois, est moins un commentaire de la sorte qu’une exploration à la fois enjouée et cruelle d’un environnement dont une jeune fille, la grande et maigre Vika, fait l’expérience le temps d’une journée, à la fin des vacances. En se mettant à sa hauteur (un entre-deux âges plein de possibles et de chagrins occasionnels), il donne à ressentir autant un sentiment de liberté que le prix qu’il peut coûter. Rêveuse et solitaire, sa jeune fille s’aliène un groupe de garçons qui lui font payer assez durement sa différence. Ce faisant, ce groupe met à l’épreuve la loyauté d’un de ses membres les moins bien intégrés, Romas, plus introverti, plus intéressé par la compagnie de Vika et qui la rejoindra dans son exploration de la plage et des falaises avoisinantes. Au-delà de la modestie de l’argument, il n’y a là rien de triomphant : nous sommes à la fin de quelque chose, une ère de temps libre et de repos, et la réalité de la vie scolaire, combinée au lieu où leurs parents travaillent (on devine qu’ils ne sont pas du même milieu) les séparera au final.

Le rapport au groupe, le goût mais aussi le poids de la solitude, la tension entre l’ouverture au monde et l’ennui, sont des motifs centraux de l’œuvre de Žebriūnas qui, tout en s’intéressant à des individus forts, ne fait pas réellement l’apologie d’un individualisme. Liens familiaux marqués par l’absence et les retrouvailles (avec le père, après que le grand-père a été la figure adulte présente), amitiés difficilement conquises et maintenues, il y est au fond plus question de rapports à l’autre que de stricte affirmation de soi (qui quand elle se fait, s’accomplit dans la douleur et, souvent, l’humiliation). La cruauté du monde des enfants lui sert de révélateur de la difficulté qu’il y a à vivre en société, à affronter la pensée de groupe et la sagesse conventionnelle. Là où La Belle se concentre sur cette dimension sociale, ce film, plus aéré et solaire, regarde moins vers la société (nous sommes littéralement à sa bordure) que vers le monde : jeux avec l’eau, avec le ressac de la mer Baltique, vues sous-marines, présence des méduses et des dauphins, écho des cris parmi les falaises du « Doigt du Diable »... Il s’agit moins là de communication (toujours difficile chez Žebriūnas) que d’être au monde, d’éprouver son corps, et sa capacité d’expression, parmi les éléments. Cela sous forme de jeu : les appels farceurs de Vika depuis une cabine téléphonique à des habitants renvoient à l’émerveillement (et la pointe de terreur) devant le fait que sa voix trouve un écho démultiplié parmi les rochers. Un enfant joue du cor, crie en l’air ou appelle des inconnus, pour s’amuser, s’étonner de ce qu’elle exprime lui soit renvoyé. Elle existe et elle peut s’en assurer en jouant.

Le jeu sert ici la découverte d’un rapport espiègle à l’altérité, mais il peut tout autant permettre l’exploration de zones moins attendrissantes de la nature humaine. Les garçons qui se dandinent autour d’un transistor semblent exprimer par là moins leur autonomie que ses limites et ils en veulent immédiatement à la liberté dont témoigne Vika en nageant nue non loin de leur presqu’île... ce dont ils se vengent en la privant de ses habits. La nudité, qui est neutre pour une personne seule, devient un lieu de honte face aux autres, exprimant l’écart indépassable entre une perspective à la première et la troisième personne. Adapté d’une histoire de Youri Naguibine, le film produit un effet différent d’un texte littéraire : la nudité non seulement de la nageuse, mais de l’interprète, est partiellement donnée à voir au public, placé dans une position de témoin lointain, voisine de celle des garçons (c’est du reste de cela que naîtra le dilemme moral de Romas quand elle lui demandera de l’aider à se revêtir). La différence d’époque, et la dimension culturelle du naturisme, sont à prendre en compte, mais ce que cela peut avoir de gênant (la gêne devant son propre corps de celle qui n’est plus complètement une enfant mais de loin pas une adulte) exprime une ambiguïté de l’approche du cinéaste, qui paraît parfois traiter de l’univers de l’enfance quand il veut au fond parler de celui de l’âge adulte. Qu’il en ait résulté une honte dans sa vie de tous les jours pour la jeune actrice (ses camarades d’école ayant pris bonne note du film) dit bien que ce n’est pas un choix neutre.

Si Žebriūnas peut se montrer d’une certaine dureté dans son approche, il aboutit à un cinéma dénué de sentimentalité, mais riche en revanche d’expériences, de sensations, de cataclysmes émotionnels en miniature, d’émerveillement (et de petits effrois) devant des paysages naturels. Beaucoup moins mat et dépressif que son film d’enfance estivale suivant (tourné après une adaptation du Petit Prince et un court téléfilm portant également sur des jeux d’enfants), c’est une balade enthousiaste et inquiète, quelque part entre Au bord de la mer bleue de Boris Barnet et Le secret de Roan Inish de John Sayles. Un film qui donne envie de se rendre seul,  ou au maximum à deux, aux abords de plages vides ou de falaises désertes, là où éprouver ce qu’il y a en nous de vie sauvage.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Jean Gavril Sluka - le 12 mai 2021