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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Femme du dimanche

(La Donna della Domenica)

L'histoire

A Turin, l'architecte Garrone est brutalement assassiné. Les soupçons du commissaire Santamaria, officier méridional chargé de l'enquête, se reportent dans un premier temps sur la séduisante Anna Carla, auteur d'une lettre où elle disait vouloir tuer Garrone. Mais c'est en réalité toute la bonne société et la grande bourgeoisie de la ville qui vont bientôt se retrouver dans son collimateur, pour une enquête sulfureuse où il sera question de jalousies, de prostitution, d'homosexualité et de phallus en pierre...

Analyse et critique

En 1974, la critique officielle a fait mine de découvrir Luigi Comencini. Au mieux, on l’avait jusqu’alors considéré comme un habile artisan, capable de passer d’un genre à un autre et au pire, on avait accablé ses films de maux délirants - que l’on se souvienne par exemple de l’accueil cannois de  L'Incompris  en 1966. En 1974, toutefois, les choses allaient changer : avec la projection au Festival de Cannes d’Un vrai crime d’amour, avec la publication d’un conséquent dossier analytique dans Positif, et enfin avec une rétrospective de son œuvre, la première, aux rencontres cinématographiques d’Avignon, alors, enfin, on n’envisagea plus sa filmographie comme une succession décousue de travaux plus ou moins dignes d’intérêt, mais on commença à établir du lien, un réseau de correspondances, entre des films aussi indispensables que La Grande pagaille (1960), Casanova, un adolescent à Venise (1969), Pinocchio (1972) ou L’Argent de la vieille (1972).

Ironiquement, cette réhabilitation tardive coïncida avec une période à venir parmi les moins intéressantes, artistiquement parlant, de l’auteur, mais puisqu’on avait alors décidé que c’était un grand cinéaste, on se mit à soutenir des films mineurs avec la même énergie que l’on avait méprisé ses plus grandes réussites. Comencini, de son côté, savait probablement qu’il ne fallait pas s’inquiéter trop des soubresauts de l’immédiateté critique et que le temps allait faire son œuvre (cofondateur de la Cineteca Italiana, il avait conscience, mieux que quiconque, du poids des ans dans la balance de la postérité) et poursuivit son bonhomme de chemin, avec la vitalité et la volonté d’éclectisme qui, de tout temps, caractérisèrent son travail.

En 1975, il réalisa donc La Femme du dimanche, un film policier... non, pardon : un drame bourgeois... non plus, disons : une comédie de mœurs... enfin un film assez inclassable comme il savait si bien les faire, lequel est, pour au moins une raison, resté cher aux aficionados du cinéma italien : le film est en effet l’unique œuvre sur laquelle ont (indirectement) collaboré deux des plus fameux tandems de l’histoire culturelle de l’Italie de la deuxième moitié du vingtième siècle. A ma droite (y compris politiquement), il y avait  les turinois Carlo Fruttero et Franco Lucentini, auteurs en 1972 du roman ici adapté, et qui furent longtemps appréciés des lecteurs de La Stampa pour leurs ravageuses chroniques bimensuelles, L’Agenda di F&L, réunies en anthologie dans la célèbre Trilogie du crétin. A ma gauche (idem), les romains Agenore Incrocci et Furio Scarpelli, alias Age et Scarpelli, auteurs depuis quinze ans d’un chef-d’œuvre de la comédie italienne sur deux ou presque : Le Pigeon, La Grande guerre,  Larmes de joie, La Marche sur Rome, Les Monstres, Ces messieurs-damesL’Armée Brancaleone, Au nom du peuple italien ou encore Nous nous sommes tant aimés ! , excusez du peu !

Bien qu’opposés politiquement, les deux duos (ou les quatre larrons si vous préférez) se rejoignaient sur un sens aigu de la satire, pourfendant volontiers toutes les formes d’asservissement (social, politique, religieux, militaire...) pesant sur la société de leur époque, le tout avec un sens de l’ironie inégalable. La Femme du dimanche (le roman dans un premier temps, le film ensuite) est donc né de cette vivacité d’esprit commune, et s’il ne s’agit pas de l’œuvre majeure ni des uns ni des autres, l’incontestable force du film vient justement de cette férocité décuplée lorsqu’il s’agit de portraiturer l’entre-soi de la grande bourgeoise turinoise. Grande prétention intellectuelle ne dissimulant en réalité qu’une profonde vacuité (Boston ou Boston ?) ; souci constant de préserver les apparences ; mépris des classes sociales inférieures, notamment dans cette manière de considérer les agents de police comme de vulgaires domestiques ; déshumanisation des rapports sociaux, qui fait considérer l’autre comme une simple marchandise... le trait est ici impitoyable à l’égard des personnages principaux, tous suspects d’un meurtre, mais finalement tous coupables d’un autre crime, bien plus global.

A cet égard - et puisque, nous l’avons évoqué au début, à partir de 1974, on a le droit d’établir des correspondances au sein de la filmographie de Luigi Comencini - le film ne va pas sans rappeler la très puissante dernière partie du Commissaire (1962), l’une des plus méconnues mais plus achevées incursions du cinéaste dans le registre policier, et qui déjà, traitait sans complaisance les inégalités, sociales mais aussi morales, de la justice italienne. Toutefois, la nature du trait de la comédie italienne du milieu des années 70 n’est plus du tout celui du début des années 60, et La Femme du dimanche fait parfois - contrairement donc au Commissaire, qui ne révélait que très progressivement sa nature profonde - dans l’épais, voire dans le grossier. La charge n’en est évidemment pas moins virulente, mais, à titre d’exemple, le fait que la victime (au passage, un type bien vulgaire, ce qui n’excuse rien mais n’en est pas mois révélateur) soit assassinée avec un gigantesque phallus de pierre est une provocation à laquelle les auteurs n’auraient probablement pas cédé dix ans plus tôt. En cherchant partout à renifler le soufre (adultère, prostitution, homosexualité...), La Femme le dimanche aime assez foncer dans le tas avec la jovialité et la férocité mêlées du cabot dans le jeu de quilles, et le désordre gaillard y gagne alors, assez largement, ce que l’élégance peut y perdre.

Mais si la férocité, dans toutes ses modalités, est l’une des plus réjouissantes récurrences de la comédie italienne des années 60-70, il est toutefois un aspect qui rend La Femme le dimanche autrement singulier : tourné en 1975, le film sort en pleine effervescence du giallo, genre auquel des cinéastes comme Dario Argento (1975, c’est l’année de Profondo rosso), Umberto Lenzi ou Sergio Martino donnent alors ses lettres d’ignoblesse. Par les fausses pistes narratives qui alimentent le suspense d’un véritable whodunit, par l’exploration incertaine de zones périlleuses où les protagonistes cherchent la clé de l’énigme mais finissent par trouver la mort (toute la séquence qui précède le deuxième meurtre, dans le quartier turinois du Balon), comme, finalement, par sa résolution, assez furtive et presque inattendue, le film emprunte ce qu’il faut au giallo pour composer sa propre nature, hétéroclite mais attachante. En réalité, on pourrait reprocher au film d’être avant tout une œuvre de producteur, un film de compromis ratissant assez large du côté de ce qui avait alors une chance de provoquer la venue du public ; mais force est d’avouer qu’on serait ravi si toutes les démarches opportunistes de producteurs débouchaient sur des films d’une telle tenue...

D’autant que le film bénéficie - outre d’une photographie habile de Luciano Tovoli et d’une ritournelle efficace, à défaut d’être follement originale, d’Ennio Morricone - d’un casting de tout premier plan, dans lequel Jacqueline Bisset fait notamment des merveilles en bourgeoise vénéneuse. Mais le coup de génie du film, c’est probablement d’avoir confié le rôle du méridional commissaire Santamaria à Marcello Mastroianni : avec son charme et sa malice (évoquons cette merveilleuse répartie, face au personnage incarné par Jean-Louis Trintignant, reposant sur la polysémie du mot Constitution), il effaçait des années de caricatures policières pour composer une figure populaire, immédiatement adoptée par le public, et pour autant non dénuée de complexité. Tant de (belles) raisons, donc, pour aller passer un moment dans les bras nébuleux de cette Femme du dimanche.

DANS LES SALLES

DISTRIBUTEUR : TAMASA

DATE DE SORTIE : 15 juin 2016

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Par Antoine Royer - le 15 juin 2016