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Critique de film
Le film
Affiche du film

La Cité de la violence

(Città violenta)

L'histoire

Jeff Heston, un tueur à gages retiré du monde du crime, tombe dans un guet-apens alors qu’il est en vacances avec sa maîtresse Vanessa Shelton. Il échappe de peu à une fusillade durant laquelle il a reconnu l’homme qui lui a tiré dessus et a vu Vanessa s’engouffrer dans la voiture de l’un de ses assaillants. Après de longs séjours à l’hôpital et en prison, il entreprend de retrouver l’homme et sa compagne avec l’aide de son vieil ami Killain. Jeff va alors constater que le monde et le Milieu ont changé.

Analyse et critique

Après avoir marqué de son empreinte le western italien en trois films - Colorado, Le Dernier face-à-face et Saludos hombre - Sergio Sollima souhaite changer de registre. Ce sont Arrigo Colombo et Giorgio Papi, les producteurs à succès de Pour une poignée de dollars qui vont lui en donner l’opportunité en lui proposant le scénario d’un polar, La Cité de la violence. Sollima trouve le scénario banal, sans intérêt, mais il est particulièrement intéressé par l’autre dimension du projet porté par les deux producteurs, celui de pouvoir tourner aux Etats-Unis. Il va donc s’atteler à remanier le script, en collaborant notamment avec Lina Wertmüller. Après l’avoir transformé en profondeur, il obtient enfin un scénario qui lui convient pour lancer le projet. Alors que les producteurs envisageaient initialement une affiche partagée entre Jon Voight et Sharon Tate, le casting va petit à petit évoluer jusqu’à ce que le scénario tombe entre les mains de Charles Bronson. L’acteur est alors en train de construire sa notoriété entre les mains de cinéastes européens, après avoir notamment tourné dans Il était une fois dans l’Ouest et Le Passager de la pluie. Il est convaincu par le script, et, déjà sous contrat avec la production, il obtient le rôle tout en imposant, comme il le fera souvent, sa compagne Jill Ireland dans la distribution. Avec ce casting complété de Telly Savalas, qui est à ce moment-là une star plus importante que Bronson aux Etats-Unis, le projet est définitivement lancé. Il aurait été logique que ce projet s’inscrive dans le genre naissant du poliziottesco sur lequel Sollima travaillera avec Revolver, mais La Cité de la violence s’inscrira finalement plutôt dans la logique du cinéma de genre américain, et précisément celui du Film noir que Sollima modernise à l’extrême, tant dans la construction de ses personnages que dans la structure de sa narration.

En mettant en scène un héros dont la destinée est tracée par une femme machiavélique dont il est amoureux, La Cité de la violence s’inscrit dans la plus pure logique du Film noir et de la figure de la femme fatale. Le récit n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui de La Griffe du passé, film majeur du genre signé Jacques Tourneur. Ce qui fait la singularité du film de Sollima, c’est le traitement qu’il applique à un argument scénaristique bien connu, et notamment le travail de structuration du film qu’il entreprit avec Lina Wertmüller. La narration de La Cité de la violence s’affranchit de la logique chronologique, Sollima choisissant d’entretenir un flou temporel dans son récit qui devient plus un voyage mental dans l’esprit de son héros, Jeff Heston, qu’une histoire criminelle standard. Le film s’ouvre sur une première séquence muette présentant le couple Jeff Heston / Vanessa Shelton, immédiatement suivie par une course poursuite automobile haletante, et elle aussi dépourvue de dialogues. Il s’agit, pour ce qui concerne l’action, du grand moment de bravoure du film. Sollima s’est directement inspiré pour cette séquence de celle qu’il avait lui-même tournée pour Agent 3S3, massacre au soleil en modernisant les prises de vues, accompagné par le talent de Rémy Julienne. Cette ouverture pourrait donner le ton d’un film dominé par l’action mais ce sera pourtant le contraire, et si La Cité de la violence offrira quelques autres moments particulièrement intenses, dont son finale mémorable, il se présente plutôt comme un film qui pourrait presque être décrit comme contemplatif, s’il n’était constamment parcouru d’une forte tension.


Le programme du film se trouve plutôt dans le silence des dix premières minutes du film, marquées par une absence totale de dialogues. La Cité de la violence est marqué par la rareté de ces derniers. On y parle peu, surtout dans la première moitié du film. Et lorsqu’un personnage s’exprime, hormis Heston, c’est pour mentir ou se trahir. La violence du titre, si elle n’est pas aussi présente que l’on pourrait l’imaginer à l’image, se trouve en fait dans les mots que reçoit Heston et qui traduisent un monde hostile et transformé. Sa réponse à cette violence est le mutisme. Heston se trouve tel Earl Macklin, le personnage principal d’Echec à l’organisation, confronté à un monde qu’il ne comprend plus, et qui a perdu ses valeurs, comme le décrivent nombre de films criminels du début des années soixante-dix. Nous sommes au temps d’une mafia en col blanc, qui agit dans l’apparence de la légalité comme l’explique Al Weber à Jeff Heston, à un temps où tout le monde trahit, y compris Killain, son ami pourtant fidèle, entrainé par sa dépendance à la drogue sur la voie de la trahison. Jeff choisit de s’extraire de ce monde par le silence, avant d’en disparaitre complètement lors de la scène finale.

Au centre de La Cité de la violence se trouve bien sur Charles Bronson. Au cœur de la période européenne de sa carrière, l’acteur commence à se faire un nom, notamment après son passage chez Leone, mais il n’est pas encore la star qu’il deviendra dans le courant des années 70. Sollima contribue avec ce film à sculpter l’icône. Dès les premiers plans, torse nu, il offre à la camera les images d’un corps et d’un visage fascinants, exprimant totalement le charisme qui fera de lui l’un des interprètes les plus populaires de la décennie. En particulier, il est difficile de ne pas penser devant La Cité de la violence à ce que sera deux ans plus tard Le Flingueur. On y retrouvera le même personnage mutique, enfermé dans le passé, tueur à gages, et des séquences qui se font étonnamment écho, principalement l’ouverture du film de Winner et la conclusion de celui de Sollima, que nous ne décrirons pas ici pour ne pas diminuer l’effet de la découverte. Plus intimement, La Cité de la violence est aussi le film du couple Bronson / Ireland. Alors qu’il se retrouvent pour la seconde fois à l’écran, après Le Passager de la pluie, et avant de nombreuses occurrences souvent imposées contractuellement par Bronson, il faut bien admettre que l’actrice aura rarement été aussi convaincante. Le personnage de Vanessa, qui fut aussi l’objet de développements dans le travail de réécriture du scénario mené par Lina Wertmüller, est le moteur du récit, le personnage fort. Et surtout, le rapport entre Jeff et Vanessa constitue une histoire d’amour mémorable. Régulièrement trahi, il renonce pourtant à la tuer à plusieurs reprises, envoutée par elle. Et il faudra qu’elle s’offre en sacrifice à son amant, ultime preuve d’amour, pour qu’il parvienne à la tuer. Leur relation faite d’amour et de trahison est puissante et devient presque, avec le recul, l’élément prédominent du film.


La Cité de la violence est un virage dans la carrière de Bronson. Il est aussi, symboliquement, un virage de sa vie, puisqu’il est impossible d’évoquer ce film sans parler de la troublante anecdote du pacte de sang qu’échangèrent lors du tournage l’acteur américain et Michel Constantin qui mourront 33 ans plus tard... à deux jours d’intervalle. Il s’agit aussi d’un virage dans la carrière de Sollima, qui abandonne le western pour le polar, un polar étrange, très loin des canons italiens du genre. La Cité de la violence est une œuvre fascinante, peut-être décevante si l'on en attend une succession de scènes d’action menées par un héros viril, mais qui vaut d’être vu pour son atmosphère, sa remarquable B.O. signée Ennio Morricone et son finale inoubliable.

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La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 9 février 2023