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Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Héritage de la colère

(Money, Women and Guns)

L'histoire

A la veille de Noël, le vieux prospecteur Ben Merriweather se fait attaquer par trois bandits ; il réussit à abattre deux d’entre eux mais il est tué à son tour. Avant de mourir et de voir s’enfuir le troisième larron, il a le temps d’écrire son testament sur un morceau de bois sur lequel il dit léguer sa considérable fortune à quatre personnes. La mission que l’on confie contre une somme très coquette au célèbre "détective" Silver Ward Hogan (Jock Mahoney) est de retrouver les quatre légataires afin d’enquêter sur leur moralité et leur faire parvenir le cas échéant la somme due. On lui confie dans le même temps le soin de découvrir l’identité de l’assassin qui a réussi à fuir. Ward va donc se mettre à aller trouver tour à tour les différents héritiers couchés sur le testament : le commerçant John Briggs qui semble n’avoir jamais eu aucune relation avec le défunt ; David Kingman, garçon d’une dizaine d’années qui vit auprès de sa mère, Mary (Kim Hunter), jeune et jolie veuve dont Ward s’amourache ; le cambrioleur Clinton Gunston (William Campbell) qui a décidé de poser les armes à la demande de sa jeune épouse Sally (Judi Meredith) mais qui, pour faire soigner cette dernière, va commettre à nouveau un hold-up ; et enfin le vieux Henry Devers (James Gleason), ex-chercheur d’or qui passe désormais son temps au sein d’un fort abandonné à jouer aux cartes avec son ami (Lon Chaney Jr.. L’inquiétant Johnny Bee, qui a entendu parler de la prime accordée pour la capture du meurtrier anonyme, ne va avoir de cesse de suivre la trace de Ward, ce dernier ayant refusé de faire travail commun...

Analyse et critique

Un homme est à la recherche des héritiers testamentaires d’un vieux chercheur d’or assassiné ; tous ont un secret pas forcément glorieux à cacher ou glissent actuellement sur une mauvaise pente. Au contact de l’enquêteur et de "l’ombre du mort", ils vont être amenés à faire repentance ou à s’engager dans une voie plus honnête, retrouvant ainsi la sérénité ou la tranquillité. Le tout sans morts ni violence une fois le prologue terminé. Et si Richard Bartlett avait voulu faire avec son dernier film pour le cinéma un conte de Noël à la Capra comme le suggérait le premier titre pressenti, Dreams remplaçant alors Guns, et avec les auteurs situant leur intrigue justement la veille de Noël ?! Ce ne serait pas du tout ni impossible ni incongru. Quoi qu’il en soit, tout comme Joe Dakota l’année précédente, L’Héritage de la colère sera à nouveau un western totalement atypique et unique, son scénario à tiroirs en faisant une histoire à la Agatha Christie : sa structure en fait quasiment un film à sketchs, les bénéficiaires du testament n’ont aucun lien entre eux, chacun des segments constitue en quelque sorte une parabole morale. Le cinéaste ne réalisa qu’une poignée d’à peine dix films ; L’Héritage de la colère sera donc malheureusement son dernier (le précédent étant le jubilatoire Joe Dakota, déjà un western avec Jock Mahoney, de la même teneur et encore plus réussi), avant qu’il ne se consacre exclusivement au petit écran en mettant en scène des épisodes de séries, notamment à nouveau dans le domaine du western (Bonanza, La Grande vallée, Laramie, Cimarron City...). "Je suis un disciple du Christ, et un artiste... Je hais le sexe et la violence" confiait-il à Bertrand Tavernier lors de leur unique rencontre. Effectivement, on peut à nouveau vaguement deviner une parabole chrétienne sous cette intrigue policière à préoccupations morales, qui évoque la rédemption et la repentance des différents protagonistes qui au contact du détective et de l’ombre du défunt vont tous rentrer dans le droit chemin.

Après Joe Dakota, voici encore un western serein et d’une souveraine nonchalance qui, malgré une superbe distribution, repose principalement sur les épaules de son principal protagoniste ; et donc sur celles sacrément solides de Jock Mahoney, réjouissant de bout en bout et qui prouve à nouveau (surtout pour ceux qui, comme moi, l'ont découvert ces dernières années grâce à l’éditeur Sidonis), qu’il fut l’un des cow-boys les plus attachants du genre. Avec une exemplaire sobriété, l’acteur crève l’écran de par sa stature, son regard et sa démarche particulière, le costume arboré par le comédien pendant ce film finissant de le rendre inoubliable : "C’est pour le style, pour que l’on me remarque" dira d’ailleurs ironiquement son personnage de détective à un homme qui lui demandait pourquoi porter un accoutrement aussi voyant. Alors qu'il s'est vu octroyé par Richard Bartlett probablement les rôles les plus réjouissants de sa carrière, rappelons brièvement une dernière fois comment Mahoney en est arrivé là, puisque nous n’allons plus avoir souvent l'occasion de parler de l'acteur. On vit d’abord son nom au générique de multiples films de séries B, voire Z, sous différents patronymes. A défaut de parvenir à être acteur, il fut d’abord la doublure de très grandes stars de l’époque comme Errol Flynn, John Wayne, Randolph Scott ou Gregory Peck. C’est l'acteur Charles Starrett qui le premier vit en lui des talents de cascadeur et de comédien, et qui lui offrit quelques rôles dans la série des Durango Kid pour la Columbia. Sa première cascade d’importance eut lieu dans Les Aventures de Don Juan où il doublait Errol Flynn lors d’une séquence à hauts risques. Après des dizaines de rôles de figuration durant le début des années 1950 (notamment dans les westerns Columbia avec Randolph Scott), il obtint le deuxième rôle d’importance aux côtés de Dale Robertson et Lyle Bettger dans respectivement les très agréables A Day of Fury signé Harmon Jones et Showdown at Abilene réalisé par Charles F. Haas. Outre tous ces films, il trouva encore d’autres occasions de faire montre de son talent comme par exemple dans Duel dans la Sierra (The Last of the Fast Guns) de George Sherman, toujours dans le domaine du western. En 1958, il entama une série télévisée qui sera celle qui le fera le plus connaître au public américain, Yancy Derringer, et il tournera encore deux agréables Tarzan à la suite de Gordon Scott, ce qui le "vengera" en quelque sorte d’avoir été préféré à Lex Barker pour succéder à Johnny Weissmuller à la fin des années 1940.

Dans L’Héritage de la violence, son interprétation est jubilatoire de la première à la dernière minute ; rien que sa manière de sourire, de croquer nonchalamment sa pomme, d’attendre que les joueurs de poker aient terminé leur partie avant de leur adresser la parole, de proposer à Kim Hunter de "sortir avec elle" ou encore de sauter sur son cheval, s’avèrent des moments bougrement jouissifs. Il se révèle donc être une nouvelle fois le plus grand atout d’un film qui n’en manque pourtant pas, à commencer par tout un lot d’autres petits détails insolites et (ou) amusants, qu’il serait trop long à tous énumérer mais qui méritent néanmoins qu'on s'y arrête quelques secondes. A commencer par quelques éléments de décors comme la ferme de William Campbell, étonnamment toujours cernée par des rafales de vent et de poussières alors qu'aux alentours il n'en est rien (petit aspect fantastique), ou encore l’antre du vieux chercheur d’or, ex-coéquipier du mort, située à l’intérieur d’un fort en ruine gardé par quatre Indiens : l’image de ces quatre guerriers assis sur un banc comme s’il s’agissait de personnages de Pagnol à la terrasse d’un café est génialement cocasse. La chanson du générique à la mélodie très vite entêtante est très éloignée de celles que l’on entend habituellement, celles chantées par Ned Washington entre autres, elle est ici bien plus légère et annonce parfaitement le ton d’ensemble de ce western policier gorgé de bons sentiments (cependant jamais sirupeux). Ce ne sont peut-être que des détails mais ils participent activement à ce ton décalé qui prévaut sur toute la durée du film. Des idées originales ou insolites, nous n'en trouvons pas seulement à travers de multiples détails et des situations mises en place, mais aussi dans la forme ; car contrairement à ce que j’ai lu et entendu à droite à gauche, je trouve qu’avec un minimum de moyens financiers Richard Bartlett tire le maximum de ce dont il dispose et s’empare parfaitement bien du Cinémascope, témoin le prologue en extérieurs, le blocus de la maison de William Campbell ou plus simplement ce premier plan en ville totalement insolite par son cadrage - certains personnages à l'avant-plan ne laissant dépasser que le haut de leur tête.

Le fait, comme l’a également fait remarquer Bertrand Tavernier au sein des bonus du DVD, de ne proposer quasiment aucune entrée de champs contribue également à donner ce style très original au film, une étrange impression d’ellipse participant à la nonchalance de l’ensemble. Alors quand le style de mise en scène épouse à ce point le ton de douce indolence du scénario, s’il est compréhensible que cela puisse interloquer, il me semble assez injuste qu'une telle cohérence ait pu faire faire croire à une réalisation sans idées ni saveur. J'oserais même affirmer le contraire, presque persuadé que ce western doit se bonifier au fil des visions tout autant pour son fond que pour sa forme. Et puis la galerie de protagonistes mis en scène s’avère elle aussi tout à fait charmante, à commencer par les deux "women" du film (qui ne sont pas aussi inintéressantes qu’a pu le dire Patrick Brion) : l’épouse malade de William Campbell ainsi que la veuve dont le personnage joué par Jock Mahoney va s’amouracher. Que ce soit Judi Meredith ou bien Kim Hunter - la superbe interprète d'Une question de vie et de mort (A Matter of Life and Death) de Michael Powell ou d'Un Tramway nommé Desir (A Streetcar Named Desir) d'Elia Kazan) - elles sont toutes deux inoubliables ici, la première lors de la séquence au cours de laquelle elle supplie son jeune mari de ne pas reprendre les armes, la seconde à chacune de ses apparitions, le couple qu’elle forme avec Jock Mahoney se révélant aussi amusant qu’attachant. Il faut dire que les dialogues que tous les comédiens doivent déclamer sont d'une grande classe et d’une très appréciable légèreté. On n’oubliera pas non plus de si tôt William Campbell, une fois n’est pas coutume sans aucun cabotinage, dans l’un de ses rôles les plus touchants (sa manière d’avouer sa faute et de jeter l’éponge nous ferait presque verser quelques larmes), le jeune et espiègle Tim Hovey ou encore toute cette galerie de seconds couteaux dont James Gleason, Lon Chaney Jr. ou, pour finir, le shérif interprété par un impeccable Gene Evans. L’idée qu'à ce dernier de se tenir la tête entre les mains lorsqu’il discute dans son bureau avec Jock Mahoney viendrait-elle de lui ou du metteur en scène ? Quoi qu’il en soit, elle demeure intrigante tout comme la multitude d’autres curieux détails qui parsèment l'histoire et le film, certains néanmoins plus discutables que d’autres tel celui tout à fait risible du chercheur d’or écrivant son testament en tressautant lors de la première séquence. Les fautes de goût de ce style seront cependant et heureusement très rares.

Money, Women and Guns est un western déconcertant : amusant, nonchalant et décontracté, malgré sa scène initiale mouvementée et son postulat de départ. La première minute passée, il n’y aura plus ni coups de feu ni morts, ni chevauchées ni pugilats, ni fusillades ni violence. Autant dire que les amateurs d’action resteront un peu sur leur faim. En revanche, pour ceux qui recherchent dans le western autre chose que du spectaculaire et d’autres thématiques que celles ressassées jusqu’à plus soif (conflits familiaux, entre ranchers et fermiers, entre Blancs et Indiens...), le risque de déception au final devrait être minime. Au contraire, il se pourrait que cette allégorie humaniste leur semble tout à fait hors norme d’autant que sa structure construite sous forme de mini-intrigues leur fera plus penser à un film noir qu’à un western, son ton et ses personnages pittoresques plus à une comédie. Humour, intelligence et ironie pour une quête morale traitée sur le mode de la légèreté. Une mise en scène parfois inventive à défaut d'être inoubliable, en tout cas pas si terne qu’on a bien voulu laisser entendre, un scénario fascinant et malin, des dialogues aux petits oignons, un casting quatre étoiles ; que peut-on demander de plus ? Au final, une intrigante petite perle de la série B westernienne, un petit bijou délicat, envoûtant et entêtant comme son charmant thème musical principal. Un film atypique pétri de qualités humaines, portant fièrement en avant de hautes valeurs morales, regorgeant de surprises et de fantaisie et qui, à défaut de vous captiver, vous laissera une impression unique. Une sorte de puzzle ludique et décalé à l’image de son inoubliable héros, une parabole pacifiste sur le rachat qui, à l’instar de la résolution du whodunit et de la dernière scène confinant à la comédie familiale, est aussi déconcertante que jubilatoire ! Il ne s'agit certes pas d'un chef-d'oeuvre, mais il n'en aurait pas fallu de beaucoup pour qu'il le fusse !

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 6 juin 2014