Menu
Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Escalier

(Staircase)

L'histoire

Harry et Charlie, deux homosexuels, vivent en couple. Tandis que Harry se sent vieillir et délaissé par Charlie, ce dernier est empêtré dans ses démêlés avec la justice, qui l'accuse d'incitation à la débauche...

Analyse et critique

Ça pourrait ressembler à Qui a peur de Virginia Woolf ? Un vieux couple qui ne semble tenir que par les griefs réguliers qu'il s'adresse, dont les coups de passion se mêlent aux coups de colère, où la haine tient lieu de ciment. On retrouve d'ailleurs Richard Burton, bien loin de la magnificence de Cléopâtre, enroulé péniblement dans une robe de chambre sans âge et sans teinte, la tête mystérieusement ceinte d'un long bandage blanc qui lui donne l'air d'un éternel malade. Mais voilà, face à lui, ce n'est pas une mégère apprivoisée, mais un autre homme, auquel Rex Harrison apporte son élégance nonchalante. Une histoire d'homosexuels à Hollywood, réalisée par le maître de la comédie musicale classique ? Le projet séduit d'abord par son ambition inattendu. On sent, dans une telle tentative, la volonté de rattraper l'esprit d'une époque. Alors qu'explose le Nouvel Hollywood, les studios tâtonnent, à l'affût de nouveaux sujets qui leur permettraient de retrouver leur public et leur gloire passée. Des pointes d'audace saillent çà et là, le mot « homosexuel » est même lâché. Mais le sexe est passablement triste dans cette histoire d'hommes qui partagent un lit sans se toucher. Dès le début du film, Harry s'offusque de voir, devant sa vitrine, un jeune couple étroitement enlacé. Plus tard, c'est avec mélancolie qu'il surprend un autre couple en pleins ébats sous la pluie : « Ils font l'amour ! », crie-t-il à son ancien amant avec un fond de tristesse et d'émerveillement dans la voix.


Car la chair est triste, hélas, dans ce film plutôt mortifère. Si le film s'ouvre sur un numéro de cabaret où deux travestis chantent joyeusement Staircase, ce prologue contraste douloureusement avec le reste du film : un enfant et un vieillard sont installés dans le cimetière qui jouxte une petite église. La jeunesse de l'un tranche avec le caractère lugubre des lieux, comme un défi au destin. Un élégant panoramique fait alors rentrer dans le champ Harry, accoudé à une barrière, qui contemple le cimetière. Le lieu sera omniprésent tout au long de L'Escalier, symbole d'un temps qui passe et de la mort qui approche. Dans ce Swinging London où les jeunes filles en fleur passent en mini-jupe, où les garçons s'ébattent en slip sur les pelouses, Harry et Charlie font figure de reliques. Constat étrangement émouvant, quand ils sont incarnés par deux acteurs alors en perte de vitesse au cinéma, après des années 1950 glorieuses. La musique, un peu pop, un peu jazzy, renforce ce climat général où la jeunesse a la part belle, et où Harry et Charlie ne sont plus que des anachronismes vivants. Aussi la jeunesse est-elle l'obsession des personnages, coiffeurs de leur état.

Harry porte encore beau. La silhouette est fine, la taille reste élancée. L’œil est brillant, la mise impeccable. Rex Harrison est peut-être plus gâté que Burton dans la construction de son personnage. Lui qui prétend qu'il faut marcher la tête haute (« Walk tall ») ne cesse de chanceler, et d'affirmer sa « normalité » tout au long du film, se raccrochant à son statut de père et de mari.  Face à lui, Charlie n'est guère gâté. Richard Burton promène douloureusement son ventre trop rond et son crâne chauve. Dans un gros plan impitoyable, Stanley Donen révèle la bedaine de son acteur sortant du bain, et qui fait l'objet de plusieurs dialogues : « C'est de me voir dans le miroir qui  a fait ça. […] Je voyais un  vieil homme bouffi souffrir, flasque et ratatiné. La bedaine pendante, tachetée et atroce. […] Tu as gardé tes attraits. Moi je suis fini. » Une laideur que son compagnon ne manque de lui rappeler, dans une série de scènes d'humiliation assez douloureuses. La dégradation physique et la vieillesse sont montrées sans apprêts. Le personnage de la vieille mère, que Harry tente d'habiller et qui ne cesse de crier, de baver, de souiller son lit, offre un portrait atroce de la fin de vie. Un seul moment de douceur sera partagé par les deux personnages : Harry monologue devant sa mère, exprimant sa peine à ne jamais avoir su être « normal », sa solitude, son incapacité au bonheur. Alors qu'il tartine copieusement de maquillage le visage de sa mère, il dénude son âme, laissant couler une larme.


Si certains moments d'émotion percent dans le film, l'ensemble reste cependant d'une lourdeur qui étonne de la part d'un cinéaste aussi subtile que Donen, et qui a signé dans ces années-là des films aussi beaux que Voyage à deux. La faute, sans doute, à un scénario d'origine qui a sérieusement vieilli. La construction du duo s'effectue sur une série de clichés, sans que cela serve ni au comique, ni au tragique. Dans cette histoire d'homosexualité, les rôles restent strictement genrés : à Charlie les conquêtes féminines et les sorties, à Harry les tâches domestiques et les récriminations perpétuelles. Donen parvient bien à ajouter quelques touches d'humour çà et là, opposant la sérénité de Rex Harrison, tout occupé à se faire les ongles avec sa petite lime, face à un Richard Burton qui prépare un poulet avec un énorme hachoir. Mais la caricature dessert les personnages, et la lourdeur de leur rapport, si plein de rancœur, vient ternir l'émotion qui pourrait naître de la confrontation de ces deux hommes qui sont incapables de vivre l'un sans l'autre, accrochés l'un à l'autre dans un monde qui rejette ce qu'ils sont.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Anne Sivan - le 16 décembre 2019