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Critique de film
Le film
Affiche du film

L'Air de Paris

L'histoire

Ancien boxeur, Victor Le Garrec (Jean Gabin) dirige une salle d'entraînement dans le quartier de Grenelle et rêve de découvrir un poulain qui deviendra champion et réalisera ainsi les ambitions que lui-même n'a pu tenir. Son épouse Blanche (Arletty) a pris son parti de cette passion excessive pour la boxe ; elle continue de tenir la comptabilité de la salle alors qu’ayant hérité elle aurait préféré qu’ils aillent couler des jours heureux sur la Riviera. Lorsque Victor rencontre André Ménard (Roland Lessafre), un ouvrier ferroviaire déprimé qui révèle des dons pour le noble art, il l'arrache à sa vie médiocre, le fait travailler pour en faire un champion. Mais le jeune homme tombe amoureux de Corinne (Marie Daëms), une jeune mannequin qui monte dans la haute société, et délaisse les entrainements pour assouvir cette passion naissante. Quant à Blanche, elle se sent délaissée par son mari depuis qu’il a pris le jeune homme sous sa coupe...

Analyse et critique


Pour la majorité du grand public, Marcel Carné c’est surtout et avant tout Drôle de drame, Le Quai des brumes, Le Jour se lève et Les Enfants du paradis ; soit ses films en collaboration avec Jacques Prévert, à en croire certains sans lequel Carné n’était plus grand-chose hormis un technicien hors pair. Sur ce dernier point personne ne le contredira, L’Air de Paris étant une nouvelle preuve de son formidable talent de plasticien. Mais c’est oublier qu’au cours de cette période, le tout aussi inoubliable Hôtel du Nord était signé par le duo Henri Jeanson /Jean Aurenche et que Les Portes de la nuit n’était pas forcément au niveau de ses classiques précédents même avec le célèbre poète officiant encore une dernière fois pour lui. Il serait donc temps de ne plus tenir compte de ce qui a a longtemps été considéré comme un état de fait, et de ne plus être forcément convaincu que Marcel Carné n’a brillé durant sa carrière qu’avec les apport de Jacques Prévert aux scénarios et aux dialogues. Sans minimiser les immenses réussites qui ont découlé de ce brillant duo d’artistes, d’autres des œuvres plus tardives du cinéaste ne déméritent vraiment pas, à commencer par cet assez peu connu mais superbe L'Air de Paris. Avant ce dernier, il y eut déjà une excellente adaptation de Georges Simenon avec La Marie du Port, avec Gabin encore en tête d’affiche, puis plus tard encore Les Tricheurs ou Les Assassins de l’ordre qui démontrèrent que le cinéaste possédait encore du talent sur le tard.


Thérèse Raquin ayant reçu un très bon accueil l’année précédente, Marcel Carné décide de renouveler sa collaboration avec le scénariste Jacques Viot pour L'Air de Paris, film à l’atmosphère néanmoins beaucoup moins sombre et à l'ambiance générale bien moins noire, même si son intrigue se déroule dans les milieux pas toujours reluisants de la boxe. Il nous propose l’histoire d’un entraineur qui s’illusionne et espère trouver un poulain pour en faire un champion du noble art, ce qu’il n’était jamais parvenu à réussir lui-même. Il va placer tous ses espoirs en la personne d’un ouvrier ferroviaire désabusé qui n’a plus aucune confiance en lui et qui déprime avec son salaire et sa situation de misère, incapable de croire en la bonté d’autrui et donc à une quelconque aide. Carné fera de même avec le comédien Roland Lessafre qui interprète le jeune boxeur, l’ayant pris sous son aile, l’ayant aidé à avoir une carrière honorable et ayant gardé avec lui jusqu’à la fin de sa vie une forte relation d’amitié. "Ce qui m’intéressait - en plus de l’atmosphère particulière du milieu - c’était d’évoquer l’existence courageuse des jeunes amateurs qui, ayant à peine achevé le travail souvent pénible de la journée, se précipitent dans une salle d’entraînement pour « mettre les gants » et combattre de tout leur cœur, dans le seul espoir de monter un jour sur le ring..." dira-t-il dans son autobiographie. Paris, la boxe et un arrière-plan social qui le touche beaucoup, le réalisateur part donc très confiant pour ce nouveau long métrage mais les producteurs sont frileux, ne croyant pas à ce projet. Heureusement Robert Dorfmann, qui venait de triompher avec ces deux chefs d’œuvre que sont Jeux interdits de René Clément et Touchez pas au grisbi de Jacques Becker, lui apporte son soutien d’autant que la boxe le passionne aussi.


Malgré un tournage qui se passe moyennement bien pour tout un tas de raisons, dont des frictions diverses et des relations tendues entre Jean Gabin et Roland Lessafre - le premier estimant que la dernière mouture du scénario lui accordait moins d’importance qu’à son jeune partenaire -, le résultat est à la hauteur des attentes de son réalisateur qui est au final très satisfait de son travail. Et nous ne pouvons que lui donner raison car en effet, son film, renouant avec la poésie populaire de ses débuts, est pleinement réussi à tous les niveaux. Certains ne se sont pas gênés pour parler d’artificialité, de misérabilisme, de bons sentiments (oui, Jean Gabin est un brave type... et alors ?!), d’intrigue vue et revue du niveau d’un roman feuilleton... Mais dans Les Lettres françaises, Georges Sadoul répliquait très justement "qu’on ne crie pas à l’excès, au misérabilisme. Tous ces traits sont justes, typiques, valables pour des centaines de milliers de travailleurs parisiens, jeunes ou non. Jamais peut-être, depuis quinze ans, un film français n’avait peint avec une telle vigueur la vie privée d’un ouvrier." Et c’est vrai que l’aspect documentaire ainsi que la recréation de l’atmosphère de ces milieux populaires sont remarquablement bien restitués. Alors qu’à ceux qui reprochaient une excessive gouaille et de la superficialité décorative, Maurice Arlaud répondait dans Combat : "Non, ce milieu est simple, vrai, direct ; c’est celui qui précède la grande foire de la boxe, celui des salles d’entraînement avec son odeur aigre, sa pureté naïve, ses espoirs et cette part de rêve à bon marché qui se distille là avec des bleus et de la sueur."


L’Air de Paris met en présence deux couples. D’un côté, nous avons celui formé par Jean Gabin et Arletty qui fonctionne à la perfection, les deux comédiens étant d’un naturel confondant. Lui, gérant d’une salle d’entrainement de boxe sans cesse à la recherche d’un futur champion, sa passion pour ce sport le faisant délaisser un peu trop son épouse au grand dam de cette dernière qui préfèrerait désormais aller couler des jours heureux sur la Côte d’Azur d’autant plus qu’elle vient d’hériter. Ne parvenant pas à le persuader, elle fait contre mauvaise fortune bon cœur et continue à aider son mari à gérer la salle en s’occupant de la comptabilité et de l’accueil des nouveaux arrivants. L’autre couple est constitué par les comédiens Roland Lessafre, ex-boxeur dans la vie - ce qui aidera grandement à la crédibilité des combats surtout qu’il se frotte à un véritable professionnel (Séraphin Ferrer, alors champion d’Europe) lors de la longue séquence du match - et Marie Daëms dans le rôle de l’ambitieux mannequin sur le point, par un mariage arrangé, d’entrer dans la Jet Set parisienne. Si Roland Lessafre est très crédible, sa partenaire féminine est absolument formidable dans la peau d’un personnage riche et complexe, bien loin des clichés attendus, que l’on prend au départ pour une bourgeoise méprisante mais qui se révèle en quelque sorte prisonnière de ce monde superficiel dans lequel elle s’est jetée un peu trop vite à corps perdu et qui va trouver un semblant de bonheur dans sa relation avec un simple ouvrier. Contrairement à ce qu’on aura pu lire ici et là, leur histoire d’amour impossible s’avère non seulement bouleversante mais tout aussi passionnante que l’autre intrigue tournant principalement autour de la boxe, de la jalousie d’Arletty à l’encontre du jeune boxeur qui lui parait "prendre sa place" auprès de son époux au point de partager leur appartement.


Outre de fortes qualités d’écriture, une belle richesse psychologique et une grande sureté dans la direction d’acteurs (il ne faudrait pas oublier du côté des nantis les prestations de Jean Parédès en couturier homosexuel extraverti ou de Simone Paris en lesbienne possessive), il nous faut aussi louer la direction artistique, Carné nous octroyant des plans absolument superbes, notamment ceux de la capitale en extérieurs, aidé par la magnifique photographie de Roger Hubert. Une belle histoire aux différentes lignes dramatiques bien définies et parfaitement développées mettant sur le devant de la scène des protagonistes profondément humains avec cependant chacun leurs parts d’ombre, ce qui évite au film d’être trop manichéen. Un des derniers grands rôles d’Arletty et un de plus parmi tant d’autres dans la carrière éblouissante de Jean Gabin. Quant à l’air de Paris du titre, il est un personnage à part entière, celui chaleureux du Grenelle populaire, celui miséreux de Saint-Ouen où se retrouvent la plupart des travailleurs immigrés, celui des Halles alors encore "le ventre de Paris" cher à Zola ou encore celui plus ouaté des quartiers chics. Un film chaleureux, bouleversant, tendre, humain mélancolique et authentique, qui se révèle également à posteriori un intéressant document sociologique sur ce Paris du milieu des années 50.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 1 décembre 2022