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Critique de film
Le film
Affiche du film

L.627

L'histoire

Lucien Marguet, dit « Lulu », est un flic de terrain. Enquêteur de deuxième classe de la police judiciaire, il se retrouve muté dans une équipe de stups à la suite d’une altercation absurde avec l’un de ses supérieurs. Manquant terriblement de moyens, le petit groupe lutte avec passion et énergie contre les dealers, au détriment souvent de leur vie personnelle.

Analyse et critique

Le projet L.627 est né pour le cinéaste Bertrand Tavernier d’une rencontre avec Michel Alexandre, enquêteur spécialisé dans la lutte contre le trafic de drogue. Le flic lui raconta son quotidien, les rues, les planques, les dealers et les moyens déplorables dont son groupe de la 1ère DPJ disposait pour remplir sa mission. Un matériau parfait pour le réalisateur, qui y trouve l’opportunité de se confronter à la réalité sociale de son époque ainsi que de filmer des personnages au travail, caractéristique récurrente des films du Lyonnais qui le distingue dans le paysage cinématographique français, bien moins enclin à mettre en scène le travail quotidien que le cinéma américain par exemple. Pour construire son film, Tavernier demanda à Michel Alexandre une accumulation de faits, sans se préoccuper de la moindre structure dramatique. C’est ensuite seulement qu’il tenta de les lier, essentiellement par l’empathie qu’il crée pour ses personnages. En effet, L.627 se présente comme une pure chronique dans laquelle Tavernier ne cherche pas à développer de sous-intrigues consistantes et vise plutôt à construire son message par une mécanique d’accumulation plutôt que par le développement d’une situation complexe.


Ce choix pourrait faire craindre un film sans relief, pourtant Tavernier parvient à mener son film pendant 2h30 sans ennuyer une seule seconde. Le principe fonctionne : nous comprenons la lutte sans fin des forces de l’ordre contre le fléau de la drogue, leur impuissance devant l’état de certains toxicomanes comme l’illustre la sublime séquence qui confronte dans son bureau Lulu à un jeune camé dont on devine qu’il ne décrochera jamais, et la dimension insurmontable de leur tâche. L.627 est avant tout une boucle, la situation de fond est inchangée entre le début et la fin du film, nous comprenons que le quotidien des personnages ne changera pas, et que leur combat sera sans fin. Ce que filme Tavernier, c’est le sacerdoce des flics de terrain, illustré par la vie de Lulu, trop rarement présent auprès de sa femme et de sa fille, absorbé par un travail qui ne s’arrête jamais et qui ne paie pas, l’obligeant à arrondir ses fins de mois en faisant le caméraman lors de mariages, l’occasion d’une séquence cocasse qui offre une respiration salutaire à un film qui accumule les séquences d’une violente lucidité. Le surréaliste décor des bureaux du groupe de Lulu, installé dans des Algeco, est probablement un des éléments les plu marquants. Tavernier disait de cet élément qu’il lui avait donné envie de tourner le film, il en symbolise aussi le propos, la disproportion entre les moyens offerts aux policiers et le mal à combattre. Cela vaudra une levée de bouclier de la part du gouvernement en place, notamment du ministre de l’Intérieur Paul Quilès qui niera la réalité de telles images. Issues de l’expérience de Michel Alexandre, elles sont pourtant bien réelles. Les institutions sont gênées par la mise en évidence du dénuement des forces de police et de la nécessité qu’ils ont de recourir à des méthodes peu légales, comme le confirme Lulu dans une des scènes les plus fortes du film : « Si on veut des résultats, on est dans l’illégalité 24h/24 » dit-il, constat implacable.


Tavernier ne cherche pas à déclamer de grands principes, ou à construire un film à thèse. Il veut se rapprocher au plus proche du réel, au point d’inclure dans son film plusieurs plans volés, filmant des deals réels depuis des sous-marins et s’inspirant de moments réellement vécus par Michel Alexandre, qui est présent sur le tournage et oriente le récit au plus proche des réalités de la vie de flic, comme en témoigne le making of qu’il tourne lui-même. Tavernier prend alors logiquement le point de vue de ses personnages, filmant à hauteur d’homme, une marque là aussi récurrente de sa mise en scène. Au-delà de l’effet d’empathie, le cinéaste disait vouloir que l’on soit perpétuellement dans le regard des policiers, et ainsi « éviter tous les clichés des films policiers français traditionnels » qu’ils relèvent de l’imitation du cinéma américain ou de celui de Jean-Pierre Melville. Le pari est réussi pour Tavernier, et L.627 ne ressemble à aucun film policier. On n’y voit aucun acte d’héroïsme, pas de superflic qui parviendrait à triompher du mal malgré le système, ni aucun méchant absolu qui incarnerait le danger. Le cinéaste vise le quotidien, ce qui n’exclut pas le spectaculaire, comme lors de l’interpellation du dealer Place des Fêtes, ni les moments de drôlerie comme l’illustre le gag récurrent du seau d’eau. Il instaure une familiarité avec les personnages et avec les situations dépeintes, qui fait naître chez le spectateur le sentiment de révolte qui anime le réalisateur.


L.627 fut pour Tavernier un film complexe à monter, notamment à cause de son casting, qui séduisait peu les investisseurs. Sans tête d’affiche connue à l’époque de sa production, le film offre pourtant une distribution exceptionnelle, et une collection de performances mémorables au service de personnages finement écrits, qui forment un remarquable film choral où chaque personnage, même le plus mineur, existe pleinement à l'écran. En premier lieu des interprétations notables, Didier Bezace qui trouve en Lulu ce qui est probablement son plus beau rôle sur grand écran, son premier rôle principal aussi, avec un personnage largement modelé sur le scénariste du film Michel Alexandre et qui porte le message de Bertrand Tavernier. Particulièrement, l’humanité de ses relations avec ses indicateurs, les « cousins », est marquante, et l'on ressent fortement l’amitié qui peut naître de ces étranges relations professionnelles. Autour de lui, un jeune Philippe Torreton, plein d’énergie et très à l’aise avec ses dialogues, et une collection d’excellents seconds rôles dont nous citerons Jean-René Milo, qui incarne un flic de bonne volonté mais maladroit, et Jean-Paul Comart dans le rôle de Dodo, chef de groupe qui enchaine les bêtises, au point un jour de balancer l’indicateur de Lulu à d’autres trafiquants. Avec cette galerie de personnages, Tavernier évite l’écueil d’une peinture monochrome des policiers. Certains sont bons, d’autres nuls, certains intelligents, d’autre idiots. Il ne s’agit pas avec L.627 de faire un portrait manichéen de la société dans laquelle les flics pourraient être tous vus comme des héros. Les personnages du film sont normaux, ils ont leurs forces et leurs faiblesses. C'est la situation dans laquelle ils se débattent qui fait s'insurger le cinéaste.


Un film de Tavernier n’existerait pas sans grands personnages féminins, c’est encore le cas ici, avec notamment Marie, interprétée par une géniale Charlotte Kady en flic énergique et féminine qui est au centre du groupe. La performance pétillante de l’actrice reçut une nomination méritée au César et l'on peut regretter qu’elle n’ait pas été le point de départ d’une plus grande carrière. Enfin il y a Cécile, la prostituée toxicomane qui renseigne Lulu, qui ne peut que rappeler celui d’Emilie dans Que la fête commence avec la même stature angélique, et le même rôle d’aiguillon pour le personnage principal à qui elle n’hésite pas à dire ses quatre vérités. Ces personnages tous attachants, la force du constat du film et son écriture qui respire le naturel font de L.627 un film passionnant, qui happe notre attention sans relâche. Rarement le métier de flic aura été dépeint avec une telle acuité, hormis sûrement par Richard Fleischer dans Les Flics ne dorment pas la nuit. Il est l’une des illustrations les plus fortes de cette notion d’humanisme que l’on attache régulièrement au cinéma de Bertrand Tavernier, une foi puissante en ses personnages, malgré leurs faiblesses et les défis qu’ils affrontent, sans toujours pouvoir les vaincre.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 24 janvier 2022