L'histoire
Angela et Pasquale ont grandi ensemble dans une petite ville d’Italie et sont tombés amoureux. Ils aimeraient pouvoir se marier mais leurs familles respectives, de modestes paysans, n’ont pas assez d’argent pour organiser la noce. Face au désarroi de leurs enfants, ils trouvent bientôt un stratagème qui devrait leur éviter trop de dépenses inutiles : Angela et Pasquale devront fuguer et rester seuls pendant quelques jours. À leur retour, il ne restera plus qu’à les marier sans cérémonie officielle, donc sans frais…
Analyse et critique
Jours d’amour est une très attachante romance que l’on peut associer au courant du « néoréalisme rose ». Ce terme correspond au virage du néoréalisme italien vers une veine moins sinistre et désespérée, où les cadres et protagonistes modestes s’inscrivent dans une approche plus lumineuse, teintée de comédie sans pour autant abandonner le propos social. Cette tendance s’affirme au début des années 50 avec parmi les œuvres fondatrices Dimanche d’août de Luciano Emmer (1950). Ce virage correspond à une pression à la fois commerciale et politique. En effet, la réalité misérabiliste dépeinte par les films néoréalistes ne correspond pas à l’image que l’Italie en plein redressement économique souhaite véhiculer aux yeux du monde. Les réalisateurs phares du mouvement doivent donc se réinventer, à l’image d’un Vittorio de Sica qui voit une Palme d’or qui lui était promise pour Umberto D (1952) lui échapper à cause d’une supposée intervention de Giulio Andreotti, alors secrétaire d'Etat au Tourisme et au Spectacle. L’Or de Naples, l’un de ses films suivants, choisit ainsi d’équilibrer le ton entre rires et larmes dans une structure de film à sketches tout en maintenant sa veine engagée. Les films s’inscrivant dans le néoréalisme rose vont ainsi allier tonalité plus comique, imagerie solaire, satisfaire un pittoresque touristique plus exportable à l’étranger et un rire plus à même d’attirer le public local – préparant ainsi le terrain au virage vers la comédie italienne plus grinçante en fin de décennie avec Le Pigeon (1958).
Jours d’amour est une œuvre qui correspond en tout point à cette mue. Le thème du mariage contrarié par les contraintes économiques reprend l’argument de Deux sous d’espoir de Renato Castellani (1952), œuvre pionnière du néoréalisme rose. Le cadre rural, les contraintes sociales et morales qui y sont associées, sont quant à eux au cœur de Pain, amour et fantaisie de Luigi Comencini (1953) qui est sans doute (avec ses deux suites) le titre emblématique du néoréalisme rose. Le parcours de Giuseppe de Santis au moment de réaliser le film s’apparente d’ailleurs en partie à celui de Vittorio de Sica puisqu’il signe deux des plus grands classiques du néoréalisme italien avec Riz amer (1948) et Pâques sanglantes (1950) avant de réaliser un film dans les canons du néoréalisme rose évoqués plus haut.
L’histoire nous conte l’union contrariée de Pasquale (Marcello Mastroianni) et Angela (Marina Vlady), amoureux et voisins depuis l’enfance et désormais jeunes adultes, aspirant à se marier. Cependant l’union tant attendue est semée d’embûches financières, logistiques et sociales. Les familles paysannes des fiancés n’ont pas les moyens de payer une cérémonie dont les dépenses diverses correspondent avant tout à une logique du paraître. La première partie voit le couple se heurter au prix des bagues, de la robe, décorations, des victuailles et du nombre d’invités dont la difficulté repose sur une volonté d’avoir un mariage « comme ceux des autres » plutôt que selon leurs moyens. De Santis illustre avec humour ce poids sous-jacent de la collectivité avec le cadre de ce village où la promiscuité est symbole d’ancrage chaleureux entre ces habitants, mais aussi d’une intimité exposée et jugée constamment par le tout-venant. Le plus infime geste tendre entre Pasquale et Angela est soumis et arrêté par le moindre regard inquisiteur, au sein de la famille ou par une connaissance quelconque du quartier – le seul abris étant le vis-à-vis de leurs fenêtres. Le seul moyen de s’aimer librement repose sur ce fameux mariage à la concrétisation impossible. L’empêchement repose aussi sur le conditionnement mental et social des fiancés. Pasquale est prêt à balayer toutes les conventions pour se marier modestement, quand Angela aspire à tous les clichés ornementaux et supposés romantiques du mariage pour correspondre à la norme. La solution va dès lors s’appuyer à la fois sur la transgression et cette inquiétude du quand dira-t-on.
Les fiancés vont simuler une fuite en amoureux où ils « consommeront » leur amour et contraindront leur famille à un mariage immédiat, même modeste, pour échapper aux déshonneurs. Les familles dans la combine simuleront l’indignation et la résignation, tout en faisant de fructueuses économies. Cet argument se jouant des particularismes sociaux anticipe presque, en moins extrême, le génial Divorce à l’italienne de Pietro Germi (1961). Nous sommes cependant ici sur un registre plus tendre que la satire à venir de Germi. Les entraves du monde qui les entoure ont cependant accompagnés Pasquale et Angela dans leur fugue. A l’image de la formalité contraignante qu’à toujours représenté l’institution du mariage pour eux, la concrétisation de leur première nuit va s’avérer impossible. C’est un devoir mêlé de désir pressant pour Pasquale, et un déshonneur avant d’être la satisfaction de ce désir pour Angela sans une union officielle. Ces mécanismes sociaux sont si forts que le frère cadet d’Angela, même mis tardivement au courant de l’astuce, se sent obligé d’avoir un réflexe protecteur machiste quand il comprend que sa sœur va passer la nuit avec un homme.
Giuseppe de Santis libère progressivement son couple en élargissant leur horizon. Le vis-à-vis de leurs fenêtres était le seul espace d’échange discret, la ville et leurs familles respectives une chape de plomb constante à un rapprochement certes physique, mais aussi à une connexion de leurs âmes. L’artificialité de l’environnement, en termes de décor comme de comportements, s’estompe avec nos héros s’invectivant, se disputant, se collant puis se repoussant dans des réactions naturelles se conjuguant aussi à la réalité des paysages ruraux qu’ils traversent. On retrouve, le technicolor flamboyant en plus, les atmosphères de Riz amer lorsque Pasquale et Angela croisent la route de travailleuses agricoles, ou quand s’échangent des caresses et baisers volés derrière une fougère, durant une balade en barque. Ils peuvent tout simplement vivre et s’aimer, libéré des codes sociaux primaires et des désidératas annexes.
De Santis orchestre de magnifiques scènes romantiques, sensuelles et pastorales marquant le décloisonnement charnel et psychique du couple. Comprenant qu’elle sera quoiqu’il arrive considérée comme déshonorée par les autres à son retour en ville, Angela décide de non pas céder à Pasquale, mais plutôt à un désir longtemps refréné pour de mauvaises raisons. Marina Vlady est formidable d’érotisme sobre et lascif – de Santis la filmant avec la même langueur charnelle que les mondines de Riz Amer - dans cette séquence où on la voit passer de l’adolescente apeurée et sur le recul à la femme aimante et pleine d’initiative. De l’autre côté Mastroianni est libéré de l’obligation méridionale d’être « l’homme » viril et décidant de tout (la métaphore du vélo avec lequel il transporte Angela avant de lui apprendre à en faire seule) pour devenir l’amoureux infantile et capricieux à son tour. La dernière partie est à ce titre brillante en prolongeant cet instant magique par une Angela actrice principale de son bonheur lors de la cérémonie improvisée. Les forces extérieures ne peuvent désormais (concrètement comme symboliquement) que les poursuivre sans plus pouvoir les rattraper, et tournées en ridicules dans une des scènes les plus drôles du film – les deux familles simulant les invectives mutuelles avant d’un peu trop se prendre au jeu. Lumineux, touchant et bienveillant.