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Critique de film
Le film

Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages

L'histoire

Fred l'élégant a réussi un coup fumant en mettant la main sur un tas d'or. Mais sa petite amie Rita l'a trahi en informant Charles le Téméraire qui s'empare du magot sans laisser sa part à Rita. Cette dernière se tourne alors vers sa tante, Léontine, une terreur dans le milieu, pour la récupérer.

Analyse et critique

En 1966, Michel Audiard annonce lors d’une interview dans la presse écrite qu’il va passer à la réalisation. Après plus de soixante-dix films en tant que scénariste, dialoguiste ou adaptateur, et alors qu’il n’a jusque-là mis en scène qu’un court métrage en 1951, un documentaire humoristique intitulé La Marche, il évoque alors un film qui doit alors s’appeler Opération Léontine, et mettre en scène Danièle Gaubert, Jean Pierre Darras, Philippe Noiret, Jean Yanne et Jacqueline Maillan. A ce moment de sa carrière, Audiard est une institution, un dialoguiste populaire reconnu, mais il recherche une liberté totale, une maîtrise complète de ce qu’il écrit, et une vraie reconnaissance de son travail d’auteur. Cette démarche se concrétise en mars 1968 alors que le tournage débute. Marlène Jobert a remplacé Danièle Gaubert, qui a renoncé quelques semaines plus tôt pour des raisons personnelles, et l’ensemble du casting est réorienté vers des proches de Michel Audiard. N’aimant pas le titre initial Opération Léontine, Audiard choisira également d’en changer. Alors que tout le monde lui recommande un titre court, pour des raisons commerciales, il choisit par provocation un titre extrêmement long, une expression tombée en désuétude : Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages.


Audiard avait annoncé être inspiré par Help !, le film de Richard Lester, et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’esprit pop est très présent dans Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages. Dans la droite ligne de Ne nous fâchons pas qui affichait déjà cette influence, le premier film du dialoguiste adopte une esthétique résolument colorée, avec une photographie particulièrement tranchée signée Georges Barsky. Le film s’ouvre sur un générique animé et décalé qui n’est pas sans évoquer ce que feront plus tard les Monty Pythons, et Audiard utilisera par la suite plusieurs autres incrustations d’images animées dans le film. Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages fourmille d’autres idées : le détournement de publicité - pour le compteur bleu, lancé en 1963 -, un faux micro-trottoir, une parodie des comédies musicales de Jacques Demy lors de la rencontre entre Rita et Tiburce, le neveu de Charles, ou la vitesse de défilement des images accélérée lorsque Charles fuit son appartement. Enfin, idée peut-être la plus audacieuse dans un film qui est initialement une comédie populaire, Audiard brise régulièrement le quatrième mur en demandant à ses interprètes de s’adresser directement à la caméra. Beaucoup d’inventivité donc, surtout pour une comédie, ce qui pourrait, en poussant un peu le bouchon, nous faire rattacher le premier film de Michel Audiard au cinéma moderne, sinon à la Nouvelle Vague, par ses audaces de montage image et son et ses digressions récurrentes. En tout cas, Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages montre une rupture nette par rapport aux films que dialogue habituellement Audiard, et nous comprenons bien sa volonté de mettre en scène lui-même : sa vision du cinéma est plutôt originale dans le paysage du cinéma français.

S’il est inventif, le cinéaste débutant n’est par contre pas le plus grand des techniciens. Une lacune assumée : la technique l’intéresse peu, ce qu’il aime ce sont les acteurs, les dialogues et la mise en images. En conséquence, de nombreux faux raccords émaillent le film, qui souffre également, dans sa deuxième partie, d’un léger coup de mou. Rien de grave toutefois, car la fantaisie imaginée par Michel Audiard reste globalement convaincante, notamment grâce à une galerie de personnages mémorables. Celui de Rita, belle ingénue qui révèle littéralement le talent de Marlène Jobert, celui de Léontine, qui offre à Françoise Rosay un dernier rôle formidable, et enfin celui de Charles, interprété par l’inénarrable Bernard Blier, définitivement le meilleur des acteurs pour dire le texte d’Audiard. Dans Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages, les répliques mémorables fusent, avec moins d’argot que dans La Métamorphose des cloportes par exemple, mais un sens de la formule qui fait mouche à chaque fois. Le film s’apparente à un jeu cinématographique, sans prétention sociale ni politique, sinon de se moquer un peu des hippies comme des pseudos gros durs du gangstérisme ou de l'Art moderne. Audiard filme uniquement pour le plaisir de s'amuser avec les images, les mots et le son et réussit son coup, nous amusant follement avec lui.


Sorti en salles le 6 septembre 1968, Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages reçoit un accueil public plutôt tiède, mais la carrière du film va recevoir un coup de pouce inattendu. Lors d’une conférence de presse, le Général de Gaulle cite le titre du film. Un des plus beaux coups de communication - involontaires - de l’histoire du cinéma. La semaine suivante, les entrées triplent et le film va connaitre un beau succès, dépassant les deux millions d’entrées. Une réussite légitime, tant il s’agit indéniablement de l’un des films les plus inventifs d’Audiard cinéaste, tant d’un point de vue visuel que narratif. Seul Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais... elle cause ! sera une réussite artistique et publique comparable, les autres films signés Audiard marqueront un manque d’inspiration qui mettra un terme à sa carrière de metteur en scène en 1974 après Bons baisers... à lundi.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 31 mars 2020