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Critique de film
Le film
Affiche du film

Exécutions (Un détective)

(Macchie di belletto (Un detective))

L'histoire

Le commissaire Belli, un flic corrompu, est contacté par l’avocat Fontana qui souhaite lui confier deux missions, contre rétribution. Il s’agit d’une part de faire expulser du pays Sandy Bronson, dont s’est épris le fis de l’avocat, et d’autre part d’enquêter sur un certain Romanis avec lequel le fils de l’avocat souhaite monter une société, avec le financement de son père. Belli s’acquitte de la première tâche en menaçant Sandy, mais lorsqu’il se rend chez Romanis, il ne trouve qu’un cadavre. Mû par l’appât du gain, il va enquêter, plongeant dans une affaire de plus en plus nébuleuse.

Analyse et critique

Malgré quelques réussites marquantes dans le registre du poliziottesco, tels La Police au service du citoyen et Un homme, une ville, tous deux avec l’excellent Enrico Maria Salerno, et quelques bons westerns comme Le Temps des vautours, la carrière de Romolo Guerrieri est plutôt discrète, noyée dans la profusion de grands réalisateurs de genre durant l’âge d’or du cinéma italien, et peut-être minorée par une production relativement faible pour l’époque (seize longs métrages en près d’un quart de siècle d’activité derrière la caméra). Pour son sixième film en tant que réalisateur, Guerrieri décide, selon ses propres mots, de réaliser un polar « casanier ». Il choisit pour cela un roman de Ludovico Dentice, Macchie di belletto, littéralement « Taches de maquillage ». Un titre que Guerrieri voulait conserver, ce qui lui sera refusé par le producteur Mario Cecchi Gori qui imposera le titre, plus international selon lui, d'Un detective. Une fois ce détail réglé, Guerrieri et ses scénaristes s’attaquent à l’écriture pour donner naissance à un polar finalement singulier dans la production de son époque, ni poliziottesco ni giallo, mais néanmoins intéressant pour sa vision du monde plutôt sombre et le très beau rôle qu’il donne à sa star, Franco Nero.


Le récit d’Un détective (aussi titré Exécutions) met en scène le commissaire Belli, un flic corrompu dont le patronyme rappellera aux amateurs de cinéma transalpin celui d’un autre rôle porté par Franco Nero, dans Le Témoin à abattre d’Enzo G. Castellari, sans que les deux films ni les deux personnages n’entretiennent aucun rapport. Belli est entrainé dans une affaire nauséabonde, pleine de rebondissements, après avoir accepté d’agir non officiellement et contre rémunération pour le compte d’un avocat puissant. Ce ne sera pas le premier flic véreux de l’histoire du cinéma, ni même le premier à enfreindre les règles de la morale, mais rares sont ceux qui auront été présentés de manière aussi peu sympathique, tout en étant les héros du film. On peut par exemple considérer les flics interprétés par Maurizio Merli dans les polars italiens comme des êtres dangereux, incarnations d’une forme de fascisme, mais on ne peut leur ôter leur idéal de justice, même si cet idéal est celui d’un fou, fantasmant une insécurité délirante. Belli ne se voit même pas offrir cette « qualité ». Son seul idéal est son portefeuille. Il est pourtant celui qui fait apparaître la vérité dans l’enquête que suit le film, il y a donc du bien qui émane de son action, et Un détective propose ainsi au spectateur un véritable et passionnant dilemme moral dans son rapport au personnage principal. Un dilemme renforcé par l’interprétation de Nero, intense, toujours fascinant par son regard bleu acier et sa prestance. C’est ce type de questionnement de polar qui fait la valeur des films policiers réussis, ceux qui obligent le spectateur à un questionnement difficile, probablement impossible à trancher nettement, et Un détective fait incontestablement partie de ceux-là.


En toute logique, cette noirceur morale s’étend à tous les personnages du film, qui semblent tous prêts à tout par individualisme, au pire parfois, et au mensonge au minimum. Ainsi, Un détective se présente comme une galerie d’individus jouant un double jeu, ce que Guerrieri illustre par une multiplication de jeux de miroirs ainsi que par un montage surprenant au premier abord, qui crée parfois l’illusion de voir deux fois le même personnage à l’écran. Une fois l’effet de surprise passé, le mécanisme apparaît surtout comme une illustration particulièrement pertinente de la duplicité du monde que filme Guerrieri. Au premier degré, ce principe est également un ressort plus qu’efficace pour le suspense du film, qui propose une enquête plutôt classique, mais au suspense maintenu du début à la fin du récit, sans que l’on ne puisse deviner facilement quels seront les retournements qui conduiront au dénouement final. Un détective est ainsi un polar convainquant, qui sait se permettre quelques moments d’action pour relancer le rythme du récit, notamment par une course poursuite formellement classique mais originale dans sa dynamique, dans laquelle Belli essaie de faire parler Sandy Bronson en enchainant les traversées de la ville à toute vitesse.


Filmé à Rome - et à Fiumicino pour sa conclusion -, Un détective offre une mise en scène convaincante, Guerrieri sait ce qu’il veut et donne une direction cohérente à son film, obtenant à la fois un récit efficace et une atmosphère marquante. Autour de Franco Nero se déploie un casting remarquable, duquel émergent notamment Adolfo Celi dans un de ses rôles classiques d’homme puissant et menaçant, ainsi que la toujours magnifique Florinda Bolkan qui incarne à merveille la séduction inquiétante. Accompagné d’une très belle bande originale du chanteur Fred Bongusto, Un détective a tous les atouts du polar solide ; et s’il ne fut pas très bien accueilli à sa sortie, il mérite aujourd’hui d’être redécouvert par les amateurs du genre comme une œuvre plaisante et originale du cinéma italien de la fin des années soixante.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 7 avril 2022