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Critique de film
Le film
Affiche du film

Etats d'âme

L'histoire

Le 10 mai 1981, soir de la victoire de François Mitterrand aux élections présidentielles, cinq copains de lycée (Maurice - Robin Renucci, Romain - Jean-Pierre Bacri, Pierrot - François Cluzet, Bertrand - Tcheky Karyo et Michel - Xavier Deluc) se retrouvent à la Bastille pour fêter ce mémorable évènement. A cette occasion ils rencontrent Marie (Sandrine Dumas), une jeune femme qui accouche ce même soir entourée des cinq hommes qui l’ont conduit en urgence à l’hôpital. Durant les quatre premières années du mandat socialiste, chacun d’entre eux aura une liaison avec Marie ; personne n’aura pu concrétiser la belle histoire d’amour qu’ils auront tous rêvé d’avoir avec elle alors même que la grande Histoire n’aura guère plus tenu ses promesses…

Analyse et critique

Jacques Fansten, réalisateur, scénariste et producteur, actuellement président des auteurs et compositeurs dramatiques, est resté malheureusement assez peu connu de la sphère cinéphile. Il fut pourtant assistant de Claude Chabrol sur deux de ses films les plus célèbres, Que la bête meure et La Femme infidèle, mais également à l’origine en tant que réalisateur et scénariste d’un excellent film dans les années 70, Le Petit Marcel avec Jacques Spiesser et Isabelle Huppert dans l’un de ses premiers rôles d’importance. Profitons de cette rare lucarne accordée à Fansten pour revenir rapidement sur ce dernier film qui se situait dans les cités dortoirs de la banlieue parisienne avec comme protagonistes principaux des jeunes au chômage ainsi qu'entre autres des adultes estimant que la police ne faisant pas son travail, s'organisant en milice pour faire peur à ‘la peste’ que représente pour eux cette jeunesse chevelue et désœuvrée. D'une chronique de mœurs façon Pialat de Passe ton bac d'abord, Le Petit Marcel bifurquait à mi-parcours vers un cinéma politique et social à la Costa Gavras. Ca n'en faisait pas un brûlot pour autant mais ça s'en rapprochait parfois assez, nous démontrant également à posteriori que le 'racisme anti-jeune' n'est absolument pas nouveau. Parfois assez ambigu et jamais manichéen même si clairement ‘de gauche’.

De gauche, Etats d’âme l’est évidemment aussi ; et tout aussi lucide car ces jeunes socialistes révoltés qui déliraient le soir du 10 mai 1981 déchantaient tous à peine 4 ans plus tard. Quoiqu’il en soit, malgré les défauts qu’il peut avoir, le thème abordé (l’arrivée de la gauche au pouvoir, la liesse et les enthousiasmes suscités par cet évènement historique) est assez rare pour que le film de Fansten soit en l’état un très intéressant document sociologique tout au moins sur le plan politique, économique et social avec entre autres quelques focus sur la naissance des radios libres, le monde du travail, de l’enseignement, de la politique, de la presse et de la télévision. Il est même assez cocasse aujourd'hui de constater que celui qui devait "manger des petits enfants" à l’époque n’était évidemment pas encore Mélenchon à la tête de ses insoumis mais Mitterrand et le parti socialiste, les plus virulents hommes politiques de l’opposition émettant les idiotes hypothèses que si jamais le parti de la rose gagnait les élections le tourisme ne pourrait plus avoir lieu qu’en URSS !! Ce qui nous fait grandement relativiser ce qui peut encore se dire de nos jours. Cette parenthèse étant refermée, revenons-en en cette année 1986 durant laquelle Jacques Fansten fit appel à six tout jeunes comédiens qui pour au moins la moitié allaient nous accompagner encore quelques décennies durant, les autres allant avoir leur heure de gloire assez éphémère durant cette seule décennie, tout du moins dans le domaine du cinéma. Parlons-en rapidement de cette jeune génération alors très prometteuse et que nous sommes ravis de retrouver ensemble le temps d’un film éminemment sympathique à défaut d’être mémorable.

Au sein de la catégorie ‘étoiles filantes’, Xavier Deluc dans le rôle du journaliste télévisé, probablement le père de cet enfant/symbole du 10 mai 1981 que met au monde la charmante Sandrine Dumas. Ce beau blond commence à tourner avec Max Pecas pour ensuite obtenir quelques rôles bien plus gratifiants chez Yannick Bellon (La Triche), Jacques Doillon (La Tentation d’Isabelle), Pierre Granier-Deferre (Cours privé) ou encore Gérard Frot Coutaz (Beau temps mais orageux en fin de journée) ; Robin Renucci dans la peau du ministre de gauche antinucléaire faisait déjà partie des acteurs principaux dans deux autres films ‘de groupe’ de la même période, les très agréables Escalier C de Jean-Charles Tacchella ainsi que Vive la sociale de Gérard Mordillat. Quant à Sandrine Dumas qui n'a jamais vraiment percé, ceux qui ont vu l’excellent La Légende du Saint Buveur de Ermano Olmi avec Rutger Hauer doivent encore s’en souvenir ; dans Etats d’âme, tout et tous tournent autour d’elle et on comprend pourquoi tellement elle est rayonnante. Parmi ceux qui au contraire perdurent encore et dont au moins le visage sera familier au plus grand nombre, Tcheky Karyo dans le rôle de Bertrand, le fondateur du centre culturel et de sa radio libre. Avant ça le comédien avait surtout été remarqué dans Les Nuits de la pleine lune de Rohmer ainsi que, déchaîné, dans le non moins forcené L’Amour braque de Zulawski. Dans Etats d’âme il interprète un homme plutôt calme, très éloigné de la plupart de ses personnages passés et à venir. Concernant les deux restants, pas besoin de s’étendre longuement sur leurs rôles et leur carrière car tout le monde les connaît s’agissant de François Cluzet et du regretté Jean-Pierre Bacri, respectivement dans le film le membre du parti communiste et l’enseignant déprimé.

Ces jeunes gauchistes sont des copains inséparables depuis le lycée où ils manifestaient pour un oui et pour un non et qui déchanteront après avoir cru avec leurs convictions bien ancrées que le monde changerait avec l’arrivée des socialistes au pouvoir. "Tout va bouger dans l’enseignement !" clame le personnage de Bacri qui constatera avec amertume l’immobilisme d’une majorité de ses collègues et deviendra inspecteur d’académie ; "Le pouvoir a changé et croyez-moi, ça va se sentir" affirme le protagoniste interprété par Renucci qui finira par rentrer dans le rang des loyaux serviteurs qui doivent surtout avoir en tête de ne surtout pas faire de vagues et qui ne rechignera pas lorsqu’on lui proposera la légion d’honneur malgré n’avoir pas fait grand-chose pour le bien commun : "Le pouvoir, c’est comme l’argent : moins tu t’en sers, plus tu le gardes". Le journaliste télé constate que les socialistes pas plus que les giscardiens avant eux ne supportent la critique et Bertrand, le directeur de la radio libre, comprendra que rester intègre suppose accepter les humiliations et les échecs… A mi-premier mandat ils sont déjà désenchantés, constatent que le gouvernement n’a pas tenu ses promesses et que pas grand-chose n’a changé. Si l’amour et la politique sur lesquelles ils avaient focalisé quelques-uns de leurs rêves n’ont pas tenu leurs promesses, heureusement leur amitié n’a pas été détruite ; et le ton du film en est imprégné car Etats d’âme se révèle être une chronique de mœurs constituée plus que d’un scénario très structuré d’une suite de vignettes plus ou moins légères, sans grande profondeur psychologique ni forte ambition sociologique mais néanmoins intéressante ; une suite de scènettes enlevées, spontanées et sympathiques qui valent avant tout pour leur casting et leur bonne humeur.

Un film de copains, une image de la France effervescente du début des années 80 qui a tout à inventer et à construire grâce à la "revanche des éternels vaincus", un témoignage sur les promesses trahies et les espérances déçues d’une époque euphorique qui semblait devoir bouleverser la vie des Français. Le film s’avère cependant éloigné de la grisaille et de l’amertume auxquelles on aurait pu s’attendre au vu du pitch mais se révèle au contraire frais et tendre ; dommage que l’écriture de l’ensemble manque de rigueur, que celle des personnages soit un peu schématique et que le symbolisme des situations ne soit pas de la plus grande finesse. Fansten sait néanmoins capter l’air du temps et possède assez de métier pour parvenir à ne pas nous ennuyer pas une seule seconde. Ce serait dommage de se priver de la découverte de son film d’autant qu’il était devenu extrêmement difficile à voir.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 13 juillet 2022