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Critique de film
Le film
Affiche du film

Vive la sociale !

 

L'histoire

Il s’agit de l’histoire de Maurice Decques (François Cluzet), un Parisien de Ménilmontant. Né d’un père serrurier (Yves Robert), communiste chevronné, et d’une mère professeur d’anglais (Judith Magre), anarchiste d’origine américaine, Maurice est éduqué au son de l’Internationale. Un début d’asthme à l’âge de dix ans le conduit dans un préventorium de l’île de Ré où il ne se sent pas à son aise, ayant vite le mal du pays, son XXème arrondissement natal. Admirateur du docteur Alain Bombard qui a traversé l’Atlantique sur un bateau pneumatique, lecteur assidu de son livre "Naufragé volontaire" narrant son aventure, Maurice décide de s’évader à bord d’une chaloupe de fortune... A l’âge du service militaire, il s’engage dans la Marine mais la quitte également très vite, Ménilmontant lui manquant à nouveau. Il devient ouvrier, fait la connaissance des camarades qu’il gardera toute sa vie, Pater (Robin Rénucci) et Vantrou (Jean-Yves Dubois), ainsi que de Genichka (Elizabeth Bourgine), une violoncelliste hongroise qu’il épouse un mois après. Les origines bourgeoises de cette dernière font tiquer les parents de Maurice, qui la considèrent comme une ennemi de la Révolution. Pour se venger, Genichka révèle à son beau-père l’existence des goulags en URSS ; l’ex-serrurier aura du mal à s’en remettre mais la vie continue dans ce quartier populaire parisien...

Analyse et critique

Le premier long métrage de Gérard Mordillat est selon lui, plus qu’un récit autobiographique, la chronique d'un quartier populaire parisien, celui dans lequel il a passé toute sa jeunesse, Ménilmontant dans le XXème arrondissement. Le but initial du cinéaste était d’en faire ressentir son état d’esprit, faire revivre les personnages et la syntaxe de langage si particulière de cet endroit de la capitale. Se refusant d’ailleurs de parler d’autobiographie malgré le fait qu’il reconnaisse que la plupart des anecdotes, situations et protagonistes proviennent de sa propre vie, le jeune cinéaste se met néanmoins en scène par l’intermédiaire du personnage de Maurice Decques interprété par François Cluzet. Celui-ci n’a de cesse de raconter sa vie somme toute assez banale en s’adressant directement au spectateur face caméra, le narrateur s’immisçant parfois dans son propre passé, se trouvant parfois nez à nez et discutant avec lui-même plus jeune. C’est donc à un traitement totalement fantaisiste de l’autobiographie auquel nous convie ce gauchiste chevronné qu’est Mordillat, ex-journaliste à Libération, un "exercice de liberté" comme il le définit lui-même dans les bonus du DVD. Le titre Vive la sociale correspond d’ailleurs assez bien à ce "pamphlétaire révolutionnaire", qui avait été le cri de ralliement des Communards pendant la semaine sanglante de 1871.

Né à Paris d’un père serrurier à la SNCF et d’une mère professeur d’anglais anarchiste, Gérard Mordillat s’intéresse très jeune à la littérature et au cinéma. Il écrit et publie des poèmes, travaille un temps avec Roberto Rossellini et, après quelques réquisitoires politiques impitoyables, réalise en 1979 un documentaire / pamphlet sur les patrons avant de devenir responsable des pages littéraires de Libération qu’il quitte en 1981 après la publication de son premier roman, Vive la sociale ! Enchaînant romans, essais mais également films et documentaires pour la télévision (notamment pour Arte des sujets sur le christianisme en collaboration avec Alain Prieur) et le cinéma, il participera aussi à des émission sur France Culture (Des papous dans la tête, La grande table). En politique, il ne reniera jamais son attachement à la gauche de la gauche, le Parti Communiste Français tout d’abord puis le Front de Gauche, soutenant même Jean-Luc Mélenchon à l’occasion des élections présidentielles de 2012. Élevé au son de l’Internationale, il a toujours été fidèle aux convictions qu’on lui a inculquées très jeune mais n’en reste pas moins lucide sur les dérives de cette gauche et la naïveté de certains de ses membres : Vive la sociale ! en est un bon et joyeux exemple !

Malgré l’immense succès de son premier livre, Mordillat n’en est pas pleinement satisfait. Cinéphile aguerri (il a passé des après-midi entières enfermé à la Cinémathèque Française et il rend par exemple de savoureux hommages à Jour de fête et Mon Oncle de Jacques Tati dans Vive la sociale !), il pense être autant capable d’écrire que de filmer. Il décide donc de corriger ce premier jet par une adaptation cinématographique qui est non seulement bien accueillie par la critique mais qui reçoit également le Prix Jean Vigo. Mais, éternel insatisfait, Mordillat n’est une nouvelle fois pas entièrement convaincu par le résultat même si le tournage fut un véritable plaisir, arrivant même à convaincre son idole de jeunesse, Alain Bombard, d’interpréter son propre rôle le temps d’une jolie séquence onirique. Il réécrit donc son roman pour la deuxième réédition, affirmant même qu’il le retouchera environ une fois tous les dix ans, une œuvre n’étant selon lui jamais complètement terminée, estimant qu’elle doit pouvoir vivre sans nécessairement rester figée dans sa situation initiale, au gré de l’envie de ses auteurs / créateurs. En somme, la dernière édition en poche de Vive la sociale ! n’aurait d’après son auteur plus grand-chose à voir avec le premier jet qui a servi de support au film qui nous concerne ici. Si ses livres sont parfois très imagés et d'aspect cinématographique, à l’inverse ses films s’avèrent parfois assez littéraires, Mordillat faisant en l’occurrence ici reprendre par la bouche de François Cluzet des pans entiers de son roman.

Par un heureux hasard, je viens de découvrir l’univers de Mordillat à la fois au travers de sa veine sombre en lisant sa description sans concessions de la liquidation d’une entreprise du point de vue de ses ouvriers dans son excellent et touffu roman Les Vivants et les mort, alors que le visionnage de Vive la sociale ! m’en a donné une image toute à fait inversée, celle d’un homme plein de fantaisie et d’humour. Quoi qu’il en soit, sa générosité et sa vitalité sont au rendez-vous dans chacune de ses deux œuvres issues de la grande tradition populaire française (sans qu'il n'y ait la moindre connotation péjorative dans le terme "populaire" en ce qui me concerne). Vive la sociale ! est un joyeux patchwork qui mélange allègrement les genres, la chronique sociale étant phagocytée par la comédie musicale, les blagues de potaches voire le pamphlet politique rigolard virant quelques secondes au tragique (la mort d’Alliende). Cela donne comme résultat à l’écran des tranches de vie chaleureuses, une description attachante du petit peuple goguenard du quartier de Ménilmontant avec ses camelots, ses passants, ses fêtes, ses coups de gueule... A ce propos, le casting choisi par Mordillat est assez réjouissant, notamment en ce qui concerne les seconds rôles puisqu’on y croise Jean-Pierre Cassel (le camelot casseur de vaisselle), Maurice Baquet, Alain Bombard, Ariane Ascarides, Judith Magre et Yves Robert ainsi qu’un choix d’enfants tout à fait juste, notamment le jeune garçon qui incarne Maurice Decques à 10 ans. Les quatre personnages principaux ne sont pas en reste puisque interprétés par les tous jeunes et toniques François Cluzet, Robin Renucci, Jean-Yves Dubois et Elizabeth Bourgine. Renucci et Cluzet sont d'ailleurs inénarrables dans leurs costumes à paillettes ringards vert et rose et ils n’ont (heureusement pour nous) pas peur du ridicule, surtout lorsque Cluzet entonne la chanson Suzelle.

Vive la sociale ! décrit donc l’histoire de Maurice Decques de sa prime enfance jusqu’à la rencontre de l’amour de sa vie, leur séparation puis leur réconciliation finale : la reconstitution des années ainsi évoquées au travers du film (en gros de 1959 au milieu des années 70) a bénéficié d'un travail très soigné au niveau des objets et des costumes. Le film de Mordillat sera en quelque sorte coupé en deux parties d’égale longueur autour d’un entracte musical absolument irrésistible voyant nos trois camarades chargés de s’occuper de mettre de l’ambiance dans un mariage ; la chanson phare de ce segment, Cuba Si, Cuba No, possède une énergie et une vitalité contagieuses d’autant que les chanteurs / danseurs semblent nous inviter à les rejoindre en nous prenant à partie par leurs regards-caméra. Une séquence souvent drolatique après laquelle le film aura du mal à retrouver un rythme aussi harmonieux qu’au début. Notre trio d’animateurs de soirée auront eu un tel succès qu’ils décideront d’ouvrir une société proposant ce genre de services (une idée réjouissante et qui va dans le sens de Mordillat quand il affirme que son film n’est pas autobiographique, cette situation et cette profession ayant évidemment été entièrement inventées). Tout en nous amusant, l’auto ironie du narrateur nous fait également nous poser la question de l’influence parentale dans notre éducation sociale et politique, ainsi que du logique enfermement dans des schémas bien définis auquel elle conduit souvent. On ne compte plus les séquences jubilatoires au cours desquelles les personnages les plus engagés se voient remettre en question dans leurs convictions les plus profondes, telle celle désopilante des mots croisés au où Yves Robert, communiste invétéré, doit trouver le nom propre de six lettres qui correspond à la définition de "dictateur du XXème siècle" et doit se rendre à l’évidence qu’il s’agit de Lénine et non de Franco ou Hitler ; ou cette autre, tout aussi amusante, au cours de laquelle il apprend l’existence des goulags. Le réalisateur explique que la première de ces séquences, celle des mots croisés, lui avait permis d’appréhender la difficulté du timing pour réussir une bonne scène comique ; on sent qu’il a passé du temps à la peaufiner avec son comparse Jacques Audiard car il s’agit effectivement de la scène la mieux pensée et "minutée" à ce niveau-là, et au bout du compte la plus drôle. Car évidemment, tout n’est pas du même niveau : avec une telle débauche d’idées et un tel nombre de séquences différentes, il fallait effectivement s’attendre, surtout au sein d’un premier essai, à ce que l’ensemble soit inégal, qu’il y ait à boire et à manger.

Fantaisie, cocasserie, dérision, vaporeuse amertume et joyeuse nostalgie se mêlent avec une jubilation qui fait plaisir à voir dans cette comédie pétillante et enjouée au ton résolument léger qui accuse cependant quelques baisses de rythme, n’arrive pas à faire poindre la mélancolie dont Mordillat nous parle dans son entretien, et ne parvient pas non plus à dépasser le stade de la chronique, certes sincère et sympathique mais somme toute assez banale, contrairement à ce que savaient en revanche parfaitement faire Pascal Thomas (Les Zozos, Pleure pas la bouche pleine, Confidences pour confidences...) et Yves Robert (Un éléphant ça trompe énormément, Nous irons tous au paradis...) dans les années 70. Cela étant dit, 90 minutes d'une telle bonne humeur ne devraient pas être négligées, surtout par les temps qui courent ; car malgré ses défauts, il s'agit d'un véritable bol d’air frais que cette comédie optimiste et éminemment plaisante.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 6 mai 2014