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Critique de film
Le film
Affiche du film

Drôles de cigognes

L'histoire

Après Ferda la fourmi, 5 courts métrages inédits, magiques et facétieux, mélangeant des techniques d'animation originales pour les plus petits !

Analyse et critique

C’est un simple brin de laine. C’est aussi une vague, un oiseau, un drapeau, une maison. Déroulé, effiloché, enroulé, découpé en petits morceaux, noué : d’un matériau modeste, le monde est fait. L’univers de Hermína Týrlová est une perpétuelle célébration de la flexibilité du monde et de la matière qui le compose. Rien n’est ce qu’il semble être, vient nous dire, avec un soupçon de malice, la reine de l’animation tchèque. Et d’ailleurs, pourquoi fixer les éléments dans une triste immobilité, pourquoi cantonner les objets à n’être que ce qu’ils paraissent être ? Avec ces cinq courts métrages, réunis par Malavida sous le titre Drôles de cigognes !, Hermína Týrlová fait doucement tanguer le quotidien dans des fables poétiques d’une tendre simplicité.

Dans un panier, des bouts de laine s’animent et se battent pour une jolie funambule, transformant l’atelier d’une tisseuse en terrain de jeux ; une cigogne peine à porter les bébés qu’elle doit amener à leurs parents ; une flûte magique vient redonner le sourire à une princesse triste ; un lance-pierre sème la pagaille dans un atelier ; un chat et un chien unissent leurs forces pour venir au secours d’un enfant. Autant d’histoires qu’on peut résumer en quelques mots. Bien sûr, la patte de Týrlová est perceptible dans tous ces courts métrages : le tissu occupe une place fondamentale dans sa création, l’animation est mêlée à des prises de vues réelles dans le cas du Cavalier dézingué et de Potes en pelote, les animaux, le jeu et l’enfance sont au cœur des préoccupations de l’auteure. Par ailleurs, les films font écho à des réalisations plus anciennes de la cinéaste : ainsi, la jolie petite danseuse de Potes en pelote a des airs de famille avec Kuku, une poupée que les courts métrages de Týrlová avaient mise à la mode ; quant à l’atelier de l’ébéniste du Cavalier dézingué, il est, sur un mode léger, un clin d’œil à un court métrage de l’après-guerre, La Révolte des jouets. Dans cette histoire, plus sombre que de coutume, un nazi venait arrêter un artisan. Les jouets de son atelier se rebellaient, et faisaient déguerpir l’intrus avec perte et fracas. Dans Le Cavalier dézingué, on retrouve ce décor, ainsi que les personnages. Mais l’histoire reste légère, et la menace passagère.

On aurait beaucoup à dire sur la manière dont ces histoires sont racontées. Si Týrlová revient à ses thèmes de prédilection, si elle s’inspire du folklore ou prolonge d’anciennes histoires, l’esthétique est une perpétuelle recherche qui vient rendre chacun de ces courts métrages unique. L’arrivée de la couleur permet à Týrlová d’insuffler encore plus de vie dans ses marionnettes, faisant délicatement rougir un jouet de bois ou briller une bille magique. Taches de couleurs de petites balles dans une historiette marron et verte, éclatements de laines colorées dans un atelier en prises de vues réelles, la couleur est synonyme de vie. Le Mirliton fripon, en particulier, ravit par la luxuriance de ses décors : entre maison de poupées et livre d’images, le château du conte resplendit.

Les personnages sont volontairement « plats », la profondeur de champ est gommée au profit d’un univers d’une grande mobilité qui se balance et ondoie, non sans évoquer certains plans du Sayat Nova de Paradjanov. L’espace est ainsi revisité, comme dans le dernier court métrage, Panique dans la basse-cour. Esthétiquement, le film tranche avec la profusion décorative développée dans Le Mirliton fripon. Ici, un simple carré vert et bleu suffit pour définir un décor et un monde, où les personnages évoluent à la fois horizontalement et verticalement, comme maniés par les mains d’un enfant joueur.

Ces mains joueuses, démiurges, apparaissent d’ailleurs à deux reprises dans les courts métrages : ce sont les mains habiles de la tisseuse de Potes en pelote, les mains usées par le travail du vieil artisan du Cavalier dézingué. L’une tisse, l’autre sculpte : tous deux sont les créateurs d’un monde qui leur échappe et devient progressivement autonome. Le plaisir matériel que procure le film naît aussi de ces avatars de la cinéaste, qui semble se définir autant comme une artisane que comme une artiste, avançant dans son œuvre point par point, ou plan par plan. Cette vision malicieuse de Hermína Týrlová apparaît nettement au dernier plan de Potes en pelote : la broderie est finie, les petits personnages de laine ont réintégré la trame et viennent former ensemble un nouveau dessin. Toutefois, leurs éclats de rire se font encore entendre, affirmant l’impossibilité d’enfermer l’imaginaire libéré tout au long du court métrage. Les brins de laine ont ce rare privilège d’être multiples, de se remodeler en permanence. En témoigne aussi le brin de laine qui forme une mer, dans Drôles de cigognes. Des bébés menacent de se noyer, et pour les sauver, un petit écureuil se saisit de ce brin de laine. A la grande surprise du spectateur, l’animal enroule cette mer, redevenue brin de laine, dans un moment d’une rare poésie qui affirme le pouvoir de ce cinéma d’animation à suggérer des éléments différents avec la même matière.

Cette poésie suffirait à empêcher les films de vieillir. Mais le contenu même des films, sous des dehors très traditionnels, n’est cependant pas dépourvu de modernité. Ainsi, les deux pelotes de laine rivalisent pour séduire la belle funambule, et si l’une parade sur un cheval, l’autre a tôt fait de rouler en automobile et de semer son concurrent. Le Mirliton fripon séduit par la vivacité de son action : le début du film, tout en mécaniques et destructions diverses, n’a rien à envier au cinéma burlesque de Buster Keaton ou Laurel et Hardy. Que la princesse crie et le décor bascule, les miroirs se cassent : bref, le château devient hors de contrôle, comme animé d’une vie propre. Que les humains tournent le dos et les figurines du Cavalier dézingué font bien du bazar dans l’atelier.

Cette agitation bienfaisante s’achève en général par un retour au calme et l’histoire connaît une chute rassurante. Les éléments perturbateurs rentrent dans le rang - ou sur leur étagère - et le désordre est contenu. Mais on devine que ce retour ne sera que de courte durée : c’est aussi cela que veulent dire les rires qui s’échappent de la broderie finale de Potes en pelote, le rire des enfants qui jouent encore au lieu de dormir, et qui se taisent dès que les parents viennent à passer. Pour reprendre tout aussitôt leur bavardage. C’est tout cela que nous évoque Hermína Týrlová dans cette série de courts métrages qui fera l’admiration des parents et le délice des enfants.

DANS LES SALLES

Drôles de cigognes
UN FILM De Hermína Týrlová (1966)

DISTRIBUTEUR : MALAVIDA
DATE DE SORTIE : 8 MAI 2019

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La fiche IMDb du film

Par Anne Sivan - le 8 mai 2019