L'histoire
Alfredo et Antonio sont deux flics faisant partie d’une brigade particulière, qui agit contre la criminalité sans se soucier des lois ni des règlements. Les deux hommes sont presque des criminels eux-mêmes, se permettant toutes les violences et toutes les exactions dans leurs missions. Lorsqu’ils doivent traquer Roberto Pasquini, un parrain éminent, ils vont se trouver confronté à une organisation aussi violente qu’eux.
Analyse et critique
Avant de devenir le principal auteur du poliziottesco, Fernando Di Leo s’était d’abord fait connaitre comme un scénariste important du cinéma italien, notamment dans le western, en contribuant à l’écriture des deux premiers films signés Sergio Leone ainsi que des deux Ringo réalisés par Duccio Tessari. L’année 1976 marque pour lui une forme de retour à ce statut, puisque s’il met en scène Mister Scarface, il confie également deux scénarios à d’autres réalisateurs, Libres, armés et dangereux pour Romolo Guerrieri d’une part, et Deux flics à abattre pour Ruggero Deodato d’autre part. Cette dernière rencontre intrigue. Comment imaginer une collaboration entre le maitre du polar, auteur d’un cinéma singulier et particulièrement stylisé et l’une des icônes du cinéma d’exploitation, qui fait ici sa seule incursion dans le genre ? Ce n’est certainement pas l’esthétique, et encore moins la lecture sociale qui peut rapprocher les deux hommes. Ils se retrouvent plus certainement dans une certaine fascination pour la violence, qui explose par à-coups dans le cinéma de Di Leo, et qui est le fond de commerce de Deodato.
Car s’il n’est pas le polar italien le plus violent de tous les temps comme l’annonçait à l’époque certaines campagnes publicitaires, Deux flics à abattre reste l’un des films les plus violents du genre. Il apparait comme une forme d’aboutissement du genre, où une police déchainée est clairement désignée comme la source de la violence dans la société italienne. Cela s’affiche dans la séquence d’ouverture, une des plus belles du film, qui porte très nettement la marque de Di Leo lors d’une longue course poursuite en moto dans laquelle la cruauté policière du final surpasse celle des criminels poursuivis. La logique du récit dépasse ainsi celles de beaucoup de poliziotteschi, notamment ceux mettant en scène l’inénarrable Maurizio Merli. Si souvent, on peut imaginer que la violence de l’environnement est décuplée par l’imaginaire ou la folie du policier, entrainant ses propres actions, elle procède ici directement et concrètement du délire, ou de la bêtise, du duo Alfredo-Antonio. Leur chef le dit lui-même, ils ont un profil de délinquant et sont rigoureusement les mêmes que ceux qu’ils combattent. Etonnamment, malgré ces éléments, le ton du film est loin d’être oppressant et sombre. Le duo est présenté avec légèreté, voire avec humour. Si leur inconséquence renforce la gratuité de leurs actions, et donc le danger qu’ils représentent, Deodato semble avoir délibérément choisi de dédramatiser le propos. Deux flics à abattre est presque avant toute chose une comédie, malgré la société violente qu’il dépeint.
Ainsi le propos social et politique, s’il existe bien, apparait régulièrement comme masqué, dilué par les choix du réalisateur, alors que l’on pressent leur existence dans le scénario initial de Di Leo. Entre autre la scène où l’on voit les deux drôles de flics bruler des voitures de luxe devant le tripot clandestin du parrain Pasquini apparait comme le reflet d’un véritable commentaire politique du cinéaste. D’autres de ses propos ont totalement disparus, comme l’attirance homosexuelle entre les deux personnages principaux, dont nous savons qu’elle était un thème sur lequel Di Leo travaillait depuis longtemps, sans pouvoir financer le projet correspondant, et qui fut une dimension complètement rejetée par Deodato. Au contraire, le réalisateur pousse les curseurs à l’extrême inverse, avec des séquences machistes particulièrement maladroites, notamment dans l’exploitation des personnages féminins, ou dans les dialogues d’Alfredo et Antonio, d’une lourdeur à toute épreuve. Pourtant les deux personnages ne sont finalement pas détestables. La réussite de Deux flics à abattre repose largement sur le charisme des deux acteurs principaux, Marc Porel et Ray Lovelock, qui parviennent à gagner la sympathie du spectateur, malgré la bêtise de leurs personnages. Le film repose sur une mécanique de Buddy Movie, qui mettrait ici en scène deux sales gosses qui finiront, dans l’absolu, par faire triompher la loi.
Le casting est d’ailleurs la grande force du film. Hormis les deux personnages principaux, on y retrouve avec plaisir le toujours génial Adolfo Celi, dans le rôle du chef de cette étrange cellule policière, et surtout un Renato Salvatori marquant dans le rôle du dangereux Pasquini. Deodato semble d’ailleurs avoir mesuré la force de l’acteur, dans les scènes dans lesquels il apparait semblent plus soignées, notamment dans leur découpage, que d’autres, où le travail du réalisateur apparait un peu plus lâche. Deux flics à abattre sort presque au même moment que Flics en jeans, un autre poliziottesco qui lorgne vers la comédie. Si le film de Deodato sera un succès public, le cinéaste pensera toujours avoir souffert de la concurrence du film de Bruno Corbucci, indéniablement mieux maîtrisé. Il marque aussi, en creux, la qualité de l'œuvre d'un Stelvio Massi, ou d'un Umberto Lenzi : le polar italien, même ancré dans la série B, nécessite une lecture précise de l'état de la société italienne. Di Leo le démontre, par son scénario mais aussi par ses réalisations, Deodato est plus éloigné de ces qualités. Il reste toutefois un film proposant quelques scènes marquantes, et une distribution qui retient l’attention. Suffisant pour prendre du plaisir devant ce qui est un bon divertissement.